Remarque : cet article a été affiché pour la première fois sur le site Web (en anglais seulement) de Bersenas Jacobsen Chouest Thomson Blackburn. Il est reproduit ici avec autorisation.
Dans l’arrêt Rotor Maxx Support Ltd. c. Canada (Transports), 2018 CF 97, la Cour fédérale du Canada s’est penchée sur une décision, prise en 2015 par Transports Canada, d’émettre une alerte à la sécurité de l’Aviation civile (ASAC) contre Rotor Maxx Support Ltd. Une ASAC est un avis non obligatoire émis par un organisme de réglementation contenant d’importants renseignements en matière de sécurité et des recommandations destinées aux intervenants appropriés quant aux mesures à prendre.
La décision faisant l’objet de l’examen a été étudiée dans un numéro de mai 2015 de Transportation Notes (disponible uniquement en anglais)
La Cour avait antérieurement refusé d’accorder une injonction empêchant l’émission de l’ASAC.
Contexte
Rotor Maxx est un organisme de maintenance agréé certifié par Transports Canada spécialisé dans l’entretien et la réparation des hélicoptères Sikorsky. Pour effectuer l’entretien et la réparation d’aéronefs hors production, les organismes de maintenance approuvés sont autorisés à recertifier des pièces non documentées en vertu du Règlement de l’aviation canadien.
Transports Canada et Rotor Maxx s’opposaient sur la question de savoir si cette dernière satisfaisait aux exigences de recertification desdites pièces. Au départ, Transports Canada a contesté la recertification de trois pièces par Rotor Maxx.
Répondant à ces préoccupations, Rotor Maxx affirmait que les pièces en question n’étaient pas critiques et que, quoi qu’il en soit, elle avait effectué une analyse matérielle et dimensionnelle appropriée et une comparaison avec une pièce authentique connue.
Transports Canada a malgré tout exigé que Rotor Maxx mette en œuvre un plan de mesures correctives pour répondre à ses préoccupations. Rotor Maxx en a proposé trois, qui ont tous été rejetés.
Par conséquent, le 17 mars 2015, Transports Canada a informé Rotor Maxx de son intention d’émettre une ASAC. Rotor Maxx a soutenu qu’une ASAC aurait de graves répercussions sur sa viabilité commerciale.
Le 24 mars 2015, Rotor Maxx a déposé une demande de contrôle judiciaire de l’ASAC.
Pour trancher l’affaire, la Cour fédérale a examiné les deux questions suivantes :
- Transports Canada a-t-il fait preuve d’équité procédurale lorsqu’il a émis l’ASAC?
- La décision d’émettre l’ASAC était-elle raisonnable en soi?
Première question : l’équité procédurale
Après avoir examiné les faits, la Cour a affirmé qu’en l’espèce l’équité procédurale exigerait
- que soit donné avis à Rotor Maxx au sujet de toutes les pièces testées,
- que soient indiquées les raisons pour lesquelles Transports Canada estimait qu’il était satisfait à tous les critères pour l’émission d’une ASAC,
- qu’il existe une possibilité de répondre,
- l’existence d’une procédure transparente de recertification des pièces.
En d’autres termes, l’équité procédurale nécessitait l’absence d’une cible mouvante de ce qui était nécessaire pour avoir un plan de mesures correctives pouvant être approuvé, une explication sur la façon dont les critères d’ASAC étaient respectés et une explication sur les autres options disponibles s’il n’était pas satisfait aux critères.
Dans le cadre du contrôle judiciaire demandé à la Cour fédérale, Rotor Maxx soutenait que l’historique de la procédure en l’espèce démontrait une dégradation de sa relation avec Transports Canada au point où ses droits à l’équité procédurale avaient été bafoués.
Ainsi, Rotor Maxx soutenait qu’elle avait d’abord été informée que seulement trois pièces recertifiées non documentées étaient contestées. Cependant, elle a ultérieurement appris (après avoir entamé la procédure judiciaire) que la décision d’émettre l’ASAC était fondée sur 17 pièces recertifiées non documentées supplémentaires.
Cela a privé Rotor Maxx de la possibilité de répondre à toutes les préoccupations de Transports Canada, plus particulièrement à l’égard des 17 autres pièces.
Rotor Maxx soutenait en outre que son droit à l’équité procédurale dans le contexte de l’émission de l’ASAC découlait d’une lettre de politique émise par Transports Canada; document qui avait pour vocation de constituer un outil d’interprétation destiné au personnel du ministère à l’égard de certaines propositions de modifications du Règlement de l’aviation canadien pertinentes en l’espèce. Cependant, ces modifications ne sont jamais entrées en vigueur.
Il était manifeste, à la lecture d’une partie de la correspondance entre Transports Canada et Rotor Maxx, que l’organisme de réglementation effectuait son enquête sur Rotor Maxx comme si la lettre de politique était applicable et les modifications du Règlement en vigueur. Dans d’autres échanges, Transports Canada se comportait comme si la lettre de politique soit n’était pas valide, soit n’existait pas.
Cela a créé une situation ambiguë pour Rotor Maxx, qui ne savait pas clairement avec quels protocoles elle devait se conformer lorsqu’elle recertifiait des pièces non documentées.
À ce titre, s’agissant de la seule équité procédurale, la Cour fédérale a conclu que la décision d’émettre l’ASAC devrait être annulée.
Deuxième question : caractère raisonnable de la décision
La Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la décision de Transports Canada d’émettre l’ASAC était raisonnable au fond. Elle avait au moins trois raisons sur lesquelles appuyer sa décision finale selon laquelle ce n’était pas le cas.
En premier lieu, Transports Canada soutenait que l’ASAC avait été émise dans l’urgence. Cependant, cela n’était pas avéré par les faits. L’enquête initiale réalisée par Transports Canada a duré longtemps. Elle a ensuite été suivie de discussions entre Rotor Maxx (en présence d’un consultant tiers) et Transports Canada concernant des plans de mesures correctives. Le processus de consultation de l’ASAC qui a suivi a duré environ deux autres mois. Ces retards ont amené la Cour à conclure que l’affirmation de Transports Canada quant à l’urgence de la question était « inintelligible et injustifiable ».
Ensuite, dans sa correspondance avec Rotor Maxx, Transports Canada alléguait que Rotor Maxx avait continué à recertifier des pièces non documentées pendant le processus de consultation de l’ASAC. Cependant, la preuve établissait que Rotor Maxx avait volontairement interrompu la recertification de pièces longtemps avant la période au cours de laquelle il est allégué qu’elle poursuivait cette activité.
Enfin, Transports Canada affirmait que Rotor Maxx apposait des étiquettes sur les pièces certifiées non documentées indiquant qu’elles étaient « neuves ». La Cour a également conclu que ce n’était pas le cas et que Transports Canada savait que cette allégation était erronée avant de la faire.
Se fondant sur ces trois raisons, la Cour a affirmé que l’émission de l’ASAC devait être annulée au motif du caractère déraisonnable de la décision au fond.
L’ASAC a été annulée et la Cour en a ordonné la suppression de toute forme publiée. Transports Canada a été intimé de payer les dépens.
Enseignements
L’émission et la contestation subséquente de l’ASAC se sont avérées être une épreuve à la fois longue et très onéreuse du point de vue commercial pour Rotor Maxx.
Outre la publicité négative liée à l’ASAC, les coûts financiers étaient très importants. Même si Rotor Maxx a reçu un peu plus de 100 000 $ au titre des frais de justice, les sommes réellement déboursées à ce titre s’élevaient à plusieurs fois ce montant.
Cette affaire démontre à quel point il peut être difficile, long et onéreux de régler des questions touchant à la réglementation.
Rotor Maxx Support Ltd. c. Canada (Transports), 2018 CF 97
Préparé par Carlos Martins, un associé fondateur du cabinet Bersenas Jacobsen Chouest Thomson Blackburn LLP