La décision rendue par la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov1 a modifié la notion de contrôle judiciaire en faisant du caractère raisonnable un critère d’examen dans la plupart des cas et de l’examen du caractère raisonnable un outil plus pénétrant et « robuste » que par le passé. L’arrêt Vavilov a bloqué bon nombre des avenues du « contrôle selon la norme de la décision correcte » que le dernier arrêt de principe avait laissées ouvertes2, mais a allégé le fardeau à satisfaire par les requérants demandant le contrôle judiciaire sur le fond d’une mesure administrative pour faire valoir la norme de la décision correcte, allégeant du même coup le temps et les formalités consacrés au débat sur la norme de contrôle.
Toutefois, l’arrêt Vavilov laisse certaines questions sans réponse ou ambiguës, notamment celle de savoir si la nouvelle norme du caractère raisonnable s’applique à l’examen de la réglementation. Les règlements se distinguent des autres décisions administratives parce qu’ils ont souvent l’aspect d’une loi, sans en être. Ils résultent de l’exercice stratégique d’un pouvoir statutaire délégué, à l’instar d’autres mesures administratives. Il demeure qu’avant l’arrêt Vavilov, la Cour suprême traitait, dans sa jurisprudence, la révision des règlements différemment des autres décisions relevant d’un pouvoir statutaire délégué. Dans Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), la Cour suprême a appliqué une norme de l’hyperdifférence voulant qu’un règlement ne puisse être invalidé qu’en lien avec une question stricte de bien-fondé, c’est-à-dire qu’un règlement ne peut être déclaré ultra vires que s’il est « complètement étranger » à l’objet de la loi3. L’arrêt Vavilov a fait table rase et remplacé cette norme par un critère général d’examen du caractère raisonnable. Laquelle de ces normes s’applique à l’examen des règlements?
La plupart des instances et des observateurs semblent s’entendre pour dire que depuis Vavilov, le caractère raisonnable s’applique à l’examen des règlements, mais d’aucuns sont plutôt d’avis que c’est toujours Katz qui s’applique. Le présent article se veut un examen des arguments avancés par les deux camps, la conclusion étant que certains principes et certaines considérations doctrinales militent en faveur de l’examen des règlements selon caractère raisonnable. En outre, peu d’attention a été accordée dans la jurisprudence récente à un autre motif d’examen dit « traditionnel », mentionné en passant dans Katz et pas du tout dans Vavilov : le non-respect d’une condition statutaire dictée par un précédent. Il s’agit d’un motif distinct du critère du bien-fondé, et il se rapproche particulièrement bien du caractère raisonnable, étant donné qu’il implique habituellement l’analyse documentaire factuelle et l’analyse des motifs. Les conditions qui font précédent aux règlements sont prévalentes dans les affaires de droit environnemental. Or, les tribunaux qui examinent ces règlements semblent avoir du mal à savoir quelle norme appliquer. Par souci de clarté, et eu égard à la règle de droit, ils devraient s’en remettre à l’arrêt Vavilov et à sa norme du caractère raisonnable.
Le reste de cet article est disponible en anglais seulement.
Joshua Ginsberg est directeur d’Ecojustice, une clinique de droit environnemental.