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Cour divisionnaire de l’Ontario : la décision de retirer des annonces « choquantes » affichées sur un abribus et le refus de la ville de s’immiscer dans le différend ne sont pas soumis au contrôle ju

22 mai 2020

Dans la décision People for the Ethical Treatment of Animals, Inc. v. City of Toronto, 2020 ONSC 2356 (en anglais seulement), la Cour divisionnaire de l’Ontario a rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par une société de retirer une annonce placée dans un abribus par un groupe de défense des animaux qui visait Canada Goose, et du refus de la ville d’exiger que les annonces soient de nouveau affichées en vertu de son contrat de location-bail.

Contexte

En août 2018, People for the Ethical Treatment of Animals, Inc. a signé une entente avec Astral Media Outdoors L.P., aux termes de laquelle cette dernière acceptait d’afficher les annonces de PETA dans quatre abribus. Ces annonces faisaient partie de la campagne publicitaire de PETA contre le fabricant de manteaux Canada Goose et comportait les mots « Boycott Canada Goose ». L’entente signée par PETA autorisait expressément Astral à enlever tout contenu qu’elle considérait inacceptable, contraire à ses politiques commerciales ou enfreignant une loi quelconque , sous réserve de rembourser PETA.

Astral construisait, possédait et entretenait les abribus au nom d’un contrat de location-bail passé avec la ville de Toronto l’autorisant à construire les abribus en contrepartie du versement à la ville d’un pourcentage de ses revenus publicitaires. L’accord d’Astral conclu avec la ville l’obligeait à respecter certaines normes de publicité selon lesquelles elle ne pouvait afficher d’annonces [TRADUCTION] « choquantes pour le public pour des raisons religieuses, raciales ou autres » et autorisait la ville à examiner les annonces dont Astral s’inquiétait qu’elles pouvaient ne pas satisfaire aux exigences. Cette entente autorisait en outre la ville à exiger d’Astral qu’elle retire les annonces interdites ou choquantes. Toutefois, elle n’octroyait aucun pouvoir à la ville lui permettant d’obliger Astral à afficher les annonces d’une société particulière ou à examiner sa décision de ne pas afficher d’annonce.

Le jour même de l’affichage des annonces, Astral a informé PETA qu’elle les avait retirées après avoir reçu une plainte de Canada Goose. La ville n’avait pas participé à la décision d’enlever les annonces. C’est une lettre de PETA lui demandant d’ordonner à Astral d’afficher les annonces qui l’a informée du problème. La ville a refusé de le faire, déclarant se trouver dans l’incapacité de conclure que les mesures prises enfreignaient la législation applicable.

PETA a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision d’Astral de retirer les annonces et de la décision de la ville de ne pas obliger Astral à les afficher de nouveau.

Décision de la Cour divisionnaire

PETA et l’intervenante, Animal Justice Canada, affirmaient que les défenderesses, soit Astral et la ville, avaient manqué à une obligation d’équité procédurale envers PETA car elle n’avait pas été informée préalablement au retrait des annonces. Elles affirmaient en outre que les droits de PETA à la liberté d’expression en vertu du paragraphe 2b) de la Charte avaient été violés. PETA demandait à la Cour de rendre une ordonnance de nature certiorari et mandamus intimant à Astral ou à la ville d’afficher les annonces de nouveau.

En réponse, la ville et Astral soutenaient que leurs décisions ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire car elles découlaient d’un contrat privé entre PETA et Astral. Elles soutenaient qu’aucun droit protégé par la Charte n’était en jeu en raison de la nature privée du litige et, à titre subsidiaire, qu’il n’y avait eu aucune violation de l’équité procédurale.

La Cour a conclu que les décisions en cause ne pouvaient pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire et qu’elle n’avait pas compétence à l’égard des litiges entre les parties. Elle a rejeté la demande.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, qui limitaient la possibilité du recours au contrôle judiciaire au cas où il existe un exercice du pouvoir étatique ayant un caractère suffisamment public. La Cour a en outre appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Air Canada c. Administration Portuaire De Toronto Et Al, 2011 CAF 347 dans lequel étaient étudiés les facteurs pertinents pour trancher la question de savoir si un litige se trouve dans les limites de la portée du droit public au point de l’assujettir à un possible contrôle judiciaire. La Cour a rejeté les arguments d’Animal Justice selon lesquels ces principes et ce critère n’étaient pas applicables en l’espèce car des droits protégés par la Charte étaient en cause. La Cour a préféré affirmer que la première question préliminaire était celle de savoir si l’affaire pouvait être entendue en tant que demande de contrôle judiciaire.

Appliquant les facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada, la Cour a conclu que la décision d’Astral ne revêtait pas un caractère suffisamment public pour la rendre passible d’un contrôle judiciaire. Plus particulièrement, la question était essentiellement un litige privé de nature contractuelle entre Astral et PETA. La Cour a souligné la différence entre les affaires dans lesquelles des annonces affichées sur des autobus publics avaient été réputées régies par le paragraphe 2b) de la Charte et l’affaire en l’espèce puisque PETA s’opposait à une décision prise en vertu d’un contrat privé plutôt qu’au nom d’une politique municipale, et que les abribus utilisés comme supports des annonces étaient la propriété d’Astral qui les gérait malgré le fait qu’ils soient situés dans des lieux publics. En outre, Astral était une société privée qui ne fonctionnait ni en qualité de mandataire de la ville, ni en tant qu’entité gouvernementale, et sa décision de retirer les annonces n’était pas fondée sur une loi. Astral n’exerçait aucune forme de pouvoir de contrainte étatique lorsqu’elle a retiré les annonces de PETA et les recours en droit public n’étaient pas appropriés en l’espèce. La décision d’Astral ne tombait pas non plus dans la « catégorie d’affaires exceptionnelles » comportant une mesure qui « a des conséquences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population » au point de constituer « une question de nature publique ».

La Cour a également conclu que pour un grand nombre des mêmes motifs, la décision de la ville de refuser d’exiger d’Astral qu’elle affiche de nouveau les annonces ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il n’existait aucune relation contractuelle ou autre relation juridique entre PETA et la ville. La question était un simple différend de nature contractuelle entre PETA et Astral; différend dans lequel la ville a refusé de s’immiscer. La participation de la ville au litige n’était pas liée à ses responsabilités publiques et son contrat avec Astral ne lui octroyait aucun pouvoir pour obliger Astral à afficher les annonces de nouveau.  

Enseignements

Comme le démontre cette affaire, lorsque la décision en question a été prise en vertu d’une entente privée, elle ne pourra faire l’objet d’aucun contrôle judiciaire si la nature du litige est essentiellement celle d’un différend commercial privé, même lorsqu’elle a trait à l’utilisation d’un bien public.

Christopher Wirth est associé et Shamim Fattahi est stagiaire dans le cabinet Keel Cottrelle LLP.