À la suite des modifications apportées à la Loi sur l’aménagement du territoire en 20221, il existait une incertitude quant aux recours dont disposaient les propriétaires de terrains attenants lorsque les municipalités décidaient d’accorder des dérogations mineures à leurs voisins (c’est-à-dire de leur permettre de s’écarter des exigences d’un règlement municipal de zonage).
Dans l’affaire NOVA Chemicals Corp. v. Dow Chemical Canada ULC2, la Cour divisionnaire de l’Ontario confirme que les voisins lésés ont le droit de demander une révision judiciaire de ces décisions, malgré les modifications qui suppriment leurs droits d’appel prévus par la loi. Elle a également confirmé que les municipalités ne peuvent pas s’appuyer sur des motifs passe-partout pour justifier leurs décisions.
Contester des dérogations mineures dans le sillage de la Loi de 2022 visant à accélérer la construction de plus de logements
L’article 45 de la Loi sur l’aménagement du territoire permet à un comité municipal de dérogation d’autoriser une dérogation mineure aux propriétaires lorsque quatre critères sont remplis. La dérogation doit :
- être mineure;
- être opportune pour l’exploitation ou l’utilisation appropriées du terrain, du bâtiment ou de la construction;
- respecter l’objet du règlement municipal;
- respecter l’objet du plan officiel.
Fin 2022, la Loi sur l’aménagement du territoire a été modifiée afin d’accélérer le développement. Les modifications ont notamment limité le droit d’appel des décisions relatives aux dérogations mineures auprès du Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire. En raison des modifications législatives, les propriétaires de terrains attenants ne peuvent généralement plus faire appel d’une décision accordant à leurs voisins une dérogation mineure.
La législation modifiée a été interprétée pour la première fois par la Cour divisionnaire dans l’affaire Loeb v. Toronto (City)3. Dans cette affaire, le tribunal a suggéré que la révision judiciaire n’était pas accessible aux propriétaires de terrains attenants. Selon elle, il est peu probable que le législateur ontarien ait voulu, en supprimant le droit d’appel des tiers, leur permettre de procéder directement devant les tribunaux4. Dans l’affaire Loeb, le tribunal a également jugé que les décisions du comité de dérogation qui ne respectent pas le paragraphe 45(8.1) de la Loi, qui exige qu’une décision soit motivée par des raisons écrites qui répondent aux observations en opposition à la dérogation mineure, n’étaient pas valides5.
Le tribunal a examiné les mêmes questions dans l’affaire NOVA et est arrivé à une conclusion très différente.
Contexte
NOVA et Dow sont des concurrents dans l’industrie des matières plastiques et des propriétaires de terrains attenants dans le canton de St. Clair. Dow a demandé au comité local de dérogation une dérogation mineure aux exigences du règlement en matière de marge de reculement et de hauteur pour construire une annexe. La dérogation demandée visait à supprimer la marge de reculement et à presque doubler la hauteur du bâtiment existant (dépassant ainsi la hauteur réglementaire).
NOVA a présenté des observations écrites et orales lors de l’audience relative à la demande de dérogation mineure pour s’opposer à la construction de l’annexe. Malgré ces objections, la dérogation a été accordée à Dow.
Décision du tribunal
NOVA a réussi à obtenir une révision judiciaire et la Cour divisionnaire a annulé la décision du Comité de dérogation.
Dow a invoqué les modifications de 2022 pour soutenir que NOVA n’avait pas la qualité pour demander une révision judiciaire. Le tribunal a rejeté cet argument. Il a estimé que la nature de la dérogation demandée, à savoir une dérogation qui permettrait de construire une annexe directement sur la limite de propriété, était en soi « un argument de poids pour octroyer au requérant la qualité pour agir »6. L’absence de droit d’appel n’empêche pas une révision judiciaire pour une partie lésée ou concernée7.
Le tribunal a confirmé que le fait qu’un comité de dérogation n’explique pas sa décision dans des motifs pertinents suffit à invalider cette décision. En l’espèce, le comité n’a pas fourni de motifs pertinents, mais plutôt des « motifs nominaux » qui ne donnent « aucune indication » quant à la justification de la décision8. Ceci va à l’encontre du paragraphe 45(8.1) de la Loi sur l’aménagement du territoire et des directives de la Cour suprême dans l’affaire Vavilov9 :
- Le Comité de dérogation doit prendre en compte chacune des exigences énoncées au paragraphe 45(1) de la Loi sur l’aménagement du territoire et démontrer dans ses motifs qu’elle les a prises en compte10.
- Le paragraphe 45(8.1) de la Loi sur l’aménagement du territoire exige que la décision du comité doive être « motivée » et comprendre « une brève explication de tout effet qu’ont pu avoir sur la décision les observations écrites et orales » [relatives à la demande]. Il s’agit d’une exigence obligatoire.
- Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’affaire Vavilov, les motifs ne peuvent pas uniquement reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler une conclusion. Les motifs constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions et une cour de révision doit être en mesure de comprendre le raisonnement du décideur 11.
Le tribunal a rejeté l’argument de Dow selon lequel des motifs passe-partout étaient suffisants compte tenu du faible devoir d’équité que les comités de dérogation doivent assurer aux parties. L’affaire Nova confirme que l’insuffisance de motivation est en soi suffisante pour annuler la décision d’un comité de dérogation 12.
Conclusions principales
Lorsque l’on compare l’issue de l’affaire Loeb à celle de l’affaire Nova, deux leçons essentielles peuvent être tirées :
- Qualité pour agir : Malgré les modifications apportées en 2022, les propriétaires voisins, qui n’ont pas le droit d’interjeter appel devant le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire, peuvent contester les décisions relatives aux dérogations mineures prises en vertu de la Loi sur l’aménagement du territoire dans le cadre d’une révision judiciaire.
- Suffisance des motifs : L’absence de motifs peut à elle seule justifier l’annulation d’une décision de dérogation mineure 13. Les comités de dérogation doivent veiller à expliquer le fondement d’une décision tout en examinant les arguments qui leur sont présentés.
NOVA a été représentée devant la Cour divisionnaire de l’Ontario par Norton Rose Fulbright Canada LLP/S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Les auteurs tiennent à remercier Caitie Isles, stagiaire d’été, pour sa contribution à la préparation de ce résumé jurisprudentiel.
Notes de fin
1 La Loi sur l’aménagement du territoire, L.R.O 1990, ch. P.13 a été modifiée en 2022 par la Loi de 2022 visant à accélérer la construction de plus de logements, L.R.O. 2022, ch. 21.
2NOVA Chemicals Corp. v Dow Chemical Canada ULC, 2025 ONSC 4334
3 Loeb v. Toronto (City), 2024 ONSC 277.
10 NOVA à para 45, citant Vincent v. Degasperis (2005), 2005 CanLII 24263 (ON SCDC), à para 11.