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Résumé jurisprudentiel : la Cour d’appel confirme la décision selon laquelle les décisions du Conseil canadien de la magistrature sont assujetties au contrôle judiciaire

28 août 2019

Dans notre article du 27 novembre 2018, nous commentions l’arrêt rendu par la Cour fédérale dans l’affaire Girouard c. Canada (Procureure générale), 2018 CF 865, qui affirme qu’une recommandation faite par le Conseil canadien de la magistrature (CCM) pour la révocation d’un juge peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En appel, cette décision a récemment été confirmée par la Cour d’appel fédérale (2019 CAF 148).

Contexte

La question a été suscitée par le rapport publié par le CCM recommandant la révocation de monsieur le juge Michel Girouard, de la Cour supérieure du Québec. Le CCM avait ouvert une enquête après avoir reçu une plainte et une vidéo montrant le juge Girouard en train d’acheter une substance illicite à l’un de ses clients avant sa nomination à la magistrature. Comme notre article précédent le mentionnait, le juge Girouard a déposé des demandes de contrôle judiciaire des rapports du CCM. Ce dernier a déposé une requête en radiation de ces demandes. La Cour fédérale a toutefois affirmé que le CCM et son Comité d’enquête peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire puisqu’ils constituent un office fédéral aux termes de la Loi sur les cours fédérales. Le CCM a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale.

Cour d’appel fédérale

Le CCM a contesté la conclusion de la Cour fédérale portant sur la source et la nature des pouvoirs qu’il exerce. Il soutenait que ses pouvoirs sont inhérents à la façon dont ses membres s’acquittent de leurs tâches et découlent de la Constitution et non d’une loi fédérale.

La Cour d’appel a cependant confirmé la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les pouvoirs du CCM découlent exclusivement de la Loi sur les juges et a affirmé que les pouvoirs du CCM en matière d’enquête sont purement dérivés d’une loi. La Cour d’appel a rejeté l’argument du CCM selon lequel les pouvoirs et la compétence de ses membres sont de nature judiciaire. Elle a affirmé que la Cour fédérale avait conclu à bon droit que les pouvoirs exercés par le CCM étaient des pouvoirs d’enquête tels qu‘ils sont prévus par l’alinéa 60(2)c) de la Loi sur les juges.

La Cour d’appel a souligné la distinction entre les pouvoirs d’enquête et les pouvoirs judiciaires. Ainsi, elle a indiqué que la principale fonction d’un comité d’enquête est de rechercher et de recueillir des éléments de preuve alors qu’un juge se borne à soupeser les preuves fournies par les parties. La Cour d’appel a en outre ajouté qu’il n’était pas incongru qu’un organisme formé de juges soit assujetti à un contrôle judiciaire.

Le CCM soutenait, à titre d’argument subsidiaire, que la Cour fédérale n’avait pas tenu compte du fait qu’une personne nommée en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, tel qu’un membre d’une cour supérieure provinciale, serait exclue de la définition d’un office fédéral prévue par la Loi sur les cours fédérales. Le CCM se fondait sur le fait que plus de la moitié de ses membres représentent des cours supérieures provinciales. La Cour d’appel a rejeté cet argument et adopté la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les juges du CCM effectuent une tâche administrative, tirent leur compétence de la Loi sur les juges, et que les pouvoirs du CCM en tant que comité sont indépendants du statut de ses membres en leur qualité de juge.

La Cour d’appel a souligné qu’une partie qui se fonde sur un argument textuel doit démontrer qu’une interprétation proposée est spécifiquement reflétée dans le libellé et qu’elle se conforme au contexte et à l’objet de la loi. Il ne suffit pas, pour le CCM, d’indiquer une interprétation possible. Le paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges précise que le CCM « est réputé constituer » une juridiction supérieure, mais cette classification est limitée aux circonstances dans lesquelles il effectue une enquête. La Cour d’appel a centré son analyse sur cette restriction et sur l’expression « est réputé constitué » en tant que preuve tirée de la loi que le Parlement n’avait aucune intention d’accorder au CCM l’intégralité des attributs d’une cour supérieure. Comme l’avait souligné la Cour fédérale, la Cour d’appel a indiqué que le Parlement aurait pu expressément qualifier le CCM de cour supérieure s’il avait eu l’intention que ce soit le cas.

La Cour d’appel a en outre précisé que le CCM conserverait sa compétence pour trancher la question de la possible révocation d’un juge d’une cour supérieure, et que la Cour fédérale se bornerait à examiner, dans le contexte du contrôle judiciaire, l’équité procédurale et la légalité des décisions du CCM.

Conclusion

La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel, confirmant la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les décisions du CCM et de son Comité d’enquête peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

Christopher Wirth et un associé, et Armin Sohrevardi est stagiaire d’été dans le cabinet Keel Cottrelle LLP.