Préjugés et Baker

06 mai 2024

Introduction

La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Baker, il y a 25 ans, a joué un rôle fondamental en jetant les bases d’arguments d’équité procédurale comportant une composante de biais1. Bien qu’il s’agisse d’une affaire de mère célibataire noire handicapée confrontée à des motifs de décision explicitement partiaux dans le contexte de l’immigration, la Cour suprême du Canada a négligé de mentionner la race, le sexe ou leur intersectionnalité dans cette décision, déclarant seulement que les normes pour la crainte raisonnable de partialité (« CRP ») peuvent varier et que le Canada est une nation diversifiée2. Le critère pour la CRP indique simplement que cette crainte peut être soulevée lorsqu’une personne raisonnable et informée percevrait plus probablement qu’improbablement que le décideur trancherait la question de manière injuste. La norme de la « personne raisonnable » énoncée simplement comme telle est problématique étant donné que le fait d’être blanc est la norme tacite et dominante de la personne raisonnable, selon le prisme de la théorie critique de la race (« TCR »). Comme l’ont noté les théoriciennes du féminisme critique de la race Trina Grillo et Stephanie Wildman, le fait d’être la norme permet aux individus blancs au pouvoir de ne pas percevoir les préjugés raciaux lorsqu’ils existent3. Si nous ne qualifions pas le problème des biais de préjugés raciaux spécifiquement lorsque la race est impliquée, nous ne pouvons donc pas reconnaître le fonctionnement de tels préjugés raciaux systémiques dans les décisions d’immigration. L’application de la TCR au test de la CRP au stade du contrôle judiciaire peut permettre au pouvoir judiciaire de reconnaître le fonctionnement de l’oppression systémique qui sous-tend les décisions en utilisant un cadre féministe intersectionnel et critique de la race dans les cas impliquant des préjugés subtils que l’on pourrait ignorer en raison d’un écart de privilège si l’on ne fait pas partie soi-même de ces identités marginales. Pour ce faire, il est essentiel de distiller la TCR dans un cadre synthétisé et utilisable, ce qui est au centre de mes recherches actuelles de maîtrise. Dans cet article, j’appliquerai un tel cadre dans l’analyse de la CRP dans Baker pour rendre explicites les préjugés intersectionnels auxquels Mme Baker a été confrontée afin d’illustrer l’utilité de ce cadre pour son utilisation dans les futures décisions en lien avec la TCR.

Le reste de l’article est disponible en anglais uniquement.


Sania Chaudhry est avocate en droit du travail, de l’emploi et des droits de la personne chez Forte Law.

 

Notes de fin

1 Baker c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) [1999] 2 RCS 187 [Baker].

2 Ibid au para 47

3 Trina Grillo & Stephanie M. Wildman, "Obscuring the Importance of Race" in Adrien Katherine Wing, ed, Critical Race Feminism: A Reader (New York: New York University Press, 1997) 34 à 48-49.