Principes Gladue : les cas de faute professionnelle

21 octobre 2022

Dans l’affaire Law Society of Ontario v. McCullough, 2022 ONLSTH 63 (Section de première instance du Tribunal du Barreau), une formation du Tribunal du Barreau (la « formation ») a pour la première fois pris en considération les origines autochtones d’une avocate pour établir la sanction à infliger pour faute professionnelle, en l’occurrence un détournement de fonds fiduciaires.

Le contexte

Le Barreau de l’Ontario (le « Barreau ») a fait valoir que Helen McCullough (l’« avocate ») avait commis une faute professionnelle en détournant plus de 100 000 $ d’un compte en fiducie mixte pour payer les dépenses courantes de son cabinet, et qu’elle n’avait pas tenu ses livres et dossiers selon les règles. L’avocate ayant admis la faute, la formation devait établir la sanction.

La décision du Tribunal du Barreau

Le comité d’appel du Tribunal avait déjà établi que la sanction de base pour détournement par un juriste était la révocation de permis et qu’il n’y avait lieu de faire exception en cas de malhonnêteté avérée que dans des circonstances extraordinaires.

Le Tribunal avait déjà concédé une telle exception dans d’autres affaires en autorisant une remise de permis au lieu d’ordonner une révocation, mais cette sanction demeurait la moins sévère répertoriée à ce jour.

En l’espèce, toutefois, la formation a tenu compte de l’expérience de l’avocate comme femme autochtone à la lumière de l’arrêt R. v. Gladue, 1999 CanLII 679, où la Cour suprême du Canada a établi les éléments à considérer au moment de déterminer la peine d’une personne autochtone en matière pénale. La formation a jugé qu’il y avait lieu pour le Tribunal du Barreau de l’Ontario de suivre les principes ainsi énoncés lorsqu’un juriste autochtone est mis en cause et de les placer dans le contexte des engagements institutionnels de réconciliation.

Reçue au Barreau de l’Ontario en 1998 à 41 ans, la mise en cause a 65 ans au moment de l’affaire. Elle pratique dans une petite collectivité, principalement en droit de la famille, notamment en protection de l’enfance, pour une clientèle dont la majorité bénéficient de l’aide juridique et dont un bon pourcentage sont autochtones. Sous l’angle des principes Gladue, la formation a signalé les caractéristiques suivantes de la situation de l’avocate :

  • l’incidence de son arrachement culturel à son identité et à sa communauté autochtone;
  • les efforts qu’elle a faits pour surmonter ses difficultés, ses désavantages et la violence qu’elle a subie comme jeune femme, pour enfin réussir à devenir avocate à 41 ans;
  • le fait que, en entamant sa carrière, elle a adopté quatre nièces et neveux qui avaient tous des besoins spéciaux complexes, afin de leur épargner le régime de protection de l’enfance;
  • le stress majeur qu’elle éprouvait au moment de sa faute, en raison de son rôle de pourvoyeuse auprès d’autres membres de sa famille;
  • le fait qu’elle offre ses services comme titulaire de permis à une clientèle considérable constituée en grande partie de parents autochtones ayant besoin de représentation dans des instances de protection de l’enfance.

Compte tenu de ces circonstances extraordinaires, le Barreau ne réclamait pas la sanction de base, soit la révocation de permis. Ayant convenu que la sanction devait inclure une suspension et des restrictions de pratique, les parties ne s’entendaient pas sur la durée de la suspension : le Barreau plaidait pour une durée de douze mois compte tenu de la gravité de la faute et dans une optique dissuasive, tandis que l’avocate proposait quatre mois.

Finalement, la formation a ordonné une suspension de huit mois assortie de restrictions de pratique pendant un an suivant son retour en exercice, tout en obligeant la mise en cause à rencontrer un Aîné ou un « enseignant traditionnel » pendant sa suspension. L’avocate a également dû verser des dépens de 5 000 $ au Barreau.

La conclusion

C’est la première fois qu’une formation du Tribunal du Barreau de l’Ontario applique les principes Gladue dans une affaire de faute professionnelle en raison des origines autochtones de la personne mise en cause. Il est probable que le Tribunal maintienne cette orientation dans des circonstances similaires. Il y a donc lieu pour les conseils disciplinaires des autres ordres professionnels de s’attendre à des requêtes en ce sens lorsque la personne en faute appartient à la communauté autochtone.


Christopher Wirth est associé chez Keel Cottrelle LLP.