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Selon la Cour fédérale, les tribunaux administratifs peuvent sous-déléguer leurs pouvoirs

27 avril 2018

Dans l’arrêt Best c. Canada (Procureur général), 2017 CF 1145, la Cour fédérale a affirmé qu’une entité administrative, en l’espèce le Conseil canadien de la magistrature, avait le droit de sous-déléguer, à son directeur exécutif, son pouvoir de rejeter sommairement des plaintes au moyen d’un processus d’examen préalable, et que cette décision de rejeter une plainte sommairement était raisonnable.

Contexte

Une société contrôlée par le demandeur a intenté une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario contre 62 défendeurs. Son action a fait l’objet d’une suspension et plusieurs défendeurs ont obtenu une ordonnance intimant au demandeur de verser des dépens, à titre personnel, qu’il a refusé de verser. En 2010, le juge Shaughnessy a conclu que le demandeur était coupable d’outrage civil et a lancé un mandat pour son arrestation et son incarcération. Le mandat de 2010 a fait l’objet d’une suspension jusqu’en 2013, année au cours de laquelle le juge Shaughnessy a ordonné la levée de la suspension et l’incarcération du demandeur. Ce dernier alléguait que le juge Shaughnessy avait modifié le mandat original de 2010 en y ajoutant la mention « [TRADUCTION] “Aucune réduction de peine” », augmentant ainsi la durée de sa peine, et a déposé devant le Conseil canadien de la magistrature (CCM) une plainte à l’encontre du juge Shaughnessy en raison de son comportement. Le directeur exécutif du CCM a rejeté la plainte dans le cadre d’un processus d’examen préalable. Le demandeur a alors déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du directeur exécutif par la Cour fédérale, soutenant que l’examen préalable des plaintes était inconstitutionnel et constituait une délégation illégale des pouvoirs du CCM.

La décision

La Cour fédérale a rejeté cet argument et a confirmé la décision du directeur exécutif, soulignant que le paragraphe 63(2) de la Loi sur les juges prévoit que le CCM peut enquêter sur les plaintes, ce qui signifie qu’il n’est pas toujours obligé de le faire. Le CCM n’est ni un tribunal ni un tribunal arbitral ayant pour mandat de statuer sur les droits des plaignants. Même si des juges siègent comme membres du CCM, ils le font en qualité de membres d’un tribunal administratif et non en tant que juges d’un tribunal judiciaire. Il n’importait par conséquent aucunement que le directeur exécutif qui avait effectué l’examen préalable et rejeté la demande n’avait pas la qualité de juge.

Les Procédures du Conseil canadien de la magistrature pour l’examen de plaintes ou d’allégations au sujet de juges de nomination fédérale du CCM autorisent un examen préalable des plaintes et ne constituent pas une délégation de pouvoirs illégale. Alors que les entités administratives qui jouissent d’un pouvoir discrétionnaire par voie de délégation devraient typiquement exercer ce pouvoir en personne, la législation autorise « généralement la sous-délégation des fonctions administratives, au contraire de la délégation des fonctions législatives, judiciaires ou quasi judiciaires ». L’examen préalable des plaintes est une fonction administrative, car elle ne tranche aucun droit, devoir ou responsabilité de nature légale.  Qui plus est, la sous-délégation des fonctions administratives découle de la nécessité d’aider les tribunaux administratifs à s’acquitter des fonctions et mandats qui leur échoient par voie législative. La Cour a par conséquent conclu que le CCM était autorisé à sous-déléguer l’examen préalable des plaintes à son directeur exécutif.

Elle a ensuite conclu au caractère raisonnable du rejet de la plainte du demandeur par le directeur exécutif. Alors que le comportement d’un juge dans le contexte de la prise de décisions judiciaires peut constituer une inconduite judiciaire, cela aura généralement lieu en présence d’une allégation avérée que la décision était entachée d’un motif illégitime ou de mauvaise foi. En l’espèce, la preuve n’étayait pas une telle conclusion.

La Cour a souligné qu’un juge peut modifier un mandat antérieur motivé par l’outrage. Le mandat de 2010 n’abordait pas la question de la réduction de peine, par conséquent, le mandat de 2013 contenant une condition supplémentaire de « [traduction] “Aucune réduction de peine” » pourrait être interprété de manières différentes. Il pourrait tout simplement exprimer expressément les intentions originales du juge Shaughnessy lorsqu’il a lancé le mandat en 2010. En revanche, il pourrait être considéré comme une modification du mandat de 2010 qui, à toutes fins utiles, accroît la peine du demandeur sans préavis équitable. Toutefois, même si c’était le cas, c’est à un appel que le demandeur aurait dû avoir recours et non au dépôt d’une plainte devant le CCM. En l’espèce, la Cour d’appel de l’Ontario avait déjà rejeté l’appel du demandeur, qui s’était également vu refuser sa demande d’autorisation de dépôt d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

Par conséquent, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, concluant que le directeur exécutif du CCM avait le droit de rejeter sa plainte et que sa décision de le faire en l’espèce était raisonnable.

Christopher Wirth est associé et Alex Smith est stagiaire dans le cabinet Keel Cottrelle LLP