Quel a été votre cheminement dans le monde du droit et dans la magistrature?
C’est un parcours qui s’est dessiné au hasard des rencontres.
Au départ, rien ne me prédestinait à une carrière juridique et encore moins à la magistrature. Personne dans mon entourage ne travaillait dans un domaine relié de près ou de loin à la pratique du droit.
J’ai fait mon CÉGEP en sciences pures par choix. J’aimais le raisonnement scientifique et j’étais avide de comprendre comment les choses fonctionnaient. J’avais également un grand intérêt pour la science politique, l’économie et l’histoire. J’adorais lire et écrire. En rétrospective, le CÉGEP est l’occasion d’explorer et d’apprendre tranquillement à se connaître comme adulte. J’étais hantée par le doute au moment de m’inscrire à l’université. J’hésitais entre la pharmacie et la microbiologie lorsque mon professeur d’économie, M. Julien Mardomingo, m’a suggéré de faire carrière comme avocate. Je n’y avais jamais songé!
Je me suis renseignée et j’ai réalisé que des études en droit pouvaient rallier plusieurs de mes intérêts. J’ai donc plongé dans l’inconnu et je me suis inscrite à la faculté de droit. J’ai su que j’avais fait le bon choix lorsqu’en première session, mon professeur de droit criminel, M. Antoine Manganas, nous a demandé de mettre en scène un arrêt de la Cour suprême. J’ai alors découvert l’univers du litige, l’importance des faits et l’art de convaincre!
À la fin de ma deuxième année, j’ai postulé, par hasard, sur un emploi d’étudiante en droit chez Flynn Rivard. À l’époque la course au stage n’existait pas. J’ai eu la chance d’intégrer l’équipe de droit des assurances où j’ai côtoyé des mentors extraordinaires qui m’ont permis de les accompagner à la Cour et de découvrir la pratique à leurs côtés. Ils m’ont appris à travailler, à rédiger des opinions, à gérer des dossiers avec rigueur, efficacité et empathie, à développer une clientèle et à gagner le respect des confrères et consoeurs.
Mes clients ont également fait de moi une meilleure avocate. Ils m’ont permis de toucher à une multitude de dossiers dans des domaines variés et leur confiance m’a fait grandir comme juriste.
Au-delà de la pratique traditionnelle, j’ai toujours eu à cœur de partager ma passion pour le droit. L’enseignement, que ce soit à l’université Laval ou à l’école du barreau m’a aidé, au contact avec les étudiants, à conserver l’énergie de ma jeunesse et à m’ancrer dans l’essence des principes juridiques. Les conférences et la rédaction de textes juridiques m’ont permis d’approfondir certains sujets.
Contrairement à ce que certains pourraient penser, ma carrière d’avocate n’a pas toujours été un fleuve tranquille qui menait vers la magistrature. J’ai aussi beaucoup appris de mes défaites, de la perte de clients, du départ de certains mentors vers d’autres cabinets et de deux liquidations de bureaux d’avocats. Ces embuches m’ont forcée à me redéfinir.
C’est la somme de ces expériences qui, ultimement, m’a préparé pour mon travail au sein de la magistrature. Le travail de juge exige en effet une grande curiosité et ouverture, de la discipline, beaucoup d’empathie et d’écoute et de la pédagogie. Il faut être prêt à travailler dur, à faire preuve de collégialité et surtout aimer le droit, la lecture et la rédaction… J’ai également dû vivre certains deuils : ne plus côtoyer certaines personnes au quotidien, cesser d’enseigner et de publier, perdre contact avec des clients que j’appréciais.
Avec le recul, j’ai bien fait d’écouter les conseils de mon professeur d’économie. Même si je continue à m’intéresser au monde scientifique, et depuis quelques temps à celui de la technologie dans le contexte de la transformation numérique du système de justice, je n’ai aucun regret d’avoir choisi de faire carrière en droit.
Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui se présentent devant vous?
En droit comme en cuisine, la préparation est la clé du succès. Elle évite d’être prise au dépourvu. Cela exige de connaître parfaitement son dossier, ce qui implique de maîtriser à la fois les faits, la théorie de la cause et les principes de droit applicables. Il devient alors plus facile de déterminer les véritables enjeux et de concentrer ses efforts sur ceux-ci. Cela permet également de concéder ce qui doit l’être. Une bonne préparation est gage d’une communication claire et efficace tant à l’oral qu’à l’écrit.
J’insisterais également sur l’importance du respect et de l’intégrité à tous les niveaux. Comme avocate ou avocat, il faut le respect de soi-même et de ses valeurs. Il faut respecter son client et lui donner l’heure juste. Il faut également respecter ses adversaires et l’ensemble des intervenants du système judiciaire. Ils sont tous essentiels. Je n’ai que peu de tolérance face à des demi-vérités et au manque de transparence.
Je terminerais en mentionnant aux plaideurs qu’il est normal d’être nerveux lorsque l’on se présente devant un tribunal. C’est cette adrénaline qui permet de performer. Je sais, pour l’avoir vécu souvent, à quel point une audience devant la Cour d’appel peut parfois être déstabilisante. Pourtant, les juges ne cherchent pas à piéger les plaideurs, mais veulent s’assurer de bien comprendre les arguments avancés et de profiter de leur connaissance fine du dossier.