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Le Programme des travailleurs étrangers temporaires donne des maux de tête à tout le monde

01 mai 2014 | Doug Beazley

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Nous vivons une période qui demande à tout avocat d’avoir l’âme bien trempée. Fin avril, Jason Kenney, ministre de l’Emploi et du Développement social – éclaboussé par une série de scandales – a stupéfié le milieu du droit en imposant au secteur de la restauration un moratoire général limitant l’accès au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Depuis, le ministre Kenney promet une refonte complète du PTET, qui est en fait un terme générique englobant un groupe de programmes permettant à des entreprises de faire venir des travailleurs étrangers temporaires (TET). Les TET peuvent être des spécialistes hautement qualifiés ou des aides familiaux résidants, mais aussi des travailleurs non qualifiés employés à faible salaire dans des secteurs de services frappés par de graves pénuries de main-d’œuvre.

C’est ce dernier groupe des travailleurs visés par le PTET qui donne des maux de tête au ministre. Les détracteurs disent que ce volet du PTET ouvre la porte aux abus et perturbe les marchés locaux de l’emploi. Les défenseurs font valoir que certaines entreprises – surtout dans le secteur de la restauration et dans l’Ouest canadien, où l’on s’arrache les employés – rendraient l’âme d’ici un an si l’on fermait le PTET aux travailleurs non qualifiés.

Entre ces deux pôles se trouvent des gens comme Betsy Kane, cofondatrice de la société Capelle Kane et avocate en droit de l’immigration parmi les plus en vue de la région de la capitale nationale. Selon elle, les dernières modifications apportées par Ottawa au PTET pourraient servir de séminaire sur les choses à ne pas faire en matière d’orientation stratégique.

« On ne peut plus rien faire sans tout vérifier, revérifier et vérifier encore pour s’assurer que les règles n’ont pas changé pendant qu’on avait le dos tourné », déplore-t-elle.

« Ce n’est pas que la loi, poursuit-elle. La façon déplorable dont nos élus gèrent ce programme nous force à rester à l’affût de la moindre réaction, du moindre coup de barre : ils changent de politiques comme ils changent de chemise, et se tenir à jour relève de l’exploit. »

Tous s’entendent pour dire qu’Ottawa devait faire quelque chose. Une mauvaise nouvelle n’attendait pas l’autre : un TET du Lower Mainland, en Colombie-Britannique, s’était plaint du fait que lui et ses collègues avaient dû travailler des centaines d’heures sans salaire sous menace de déportation; un restaurant saskatchewannais s’était vu accuser de remplacer du personnel permanent par des TET. Les critiques fusaient de toutes parts, même du caucus : trois députés conservateurs avaient signé des lettres pour se plaindre d’infractions apparentes aux règles du PTET.

Le pire, du point de vue du gouvernement, est venu en avril sous la forme d’un rapport accablant de l’Institut C.D. Howe, qui a souligné qu’un assouplissement des exigences relatives aux TET entre 2002 et 2013 (période qui a vu une explosion du nombre de ces travailleurs, passé d’environ 100 000 à 338 000) a fait grimper les taux de chômage dans certains secteurs. L’an dernier, nos élus fédéraux – désireux de frapper un grand coup à la suite du scandale concernant l’emploi de TET par la Banque Royale du Canada – ont aboli une règle qui autorisait les employeurs à verser jusqu’à 15 p. 100 de moins que le salaire normal et imposé aux employeurs des frais pour le dépôt d’une demande d’avis relatif au marché du travail (AMT), la première démarche du processus d’autorisation pour l’embauche d’un TET, en plus de suspendre la procédure accélérée d’obtention d’un AMT.

Fort bien; de nombreux avocats du secteur réclamaient ces changements à cor et à cri. Toutefois, l’imposition soudaine du moratoire – à la suite duquel des milliers de TET se retrouvent avec un statut ambigu quant à leur permis de travail – et la décision d’Ottawa de mettre sur une liste noire quelques entreprises accusées d’abuser du PTET ont laissé plus d’un avocat perplexe quant à savoir si le gouvernement avait un plan ordonné… ou s’il était passé en mode panique.

« Les changements apportés à ce jour par le gouvernement tiennent plus de la réaction à une mauvaise presse que d’une analyse approfondie », commente Sindura Dar, spécialiste du droit de l’immigration et avocate chez Bellissimo Law Group de Toronto.

« Beaucoup de nos clients du secteur de la restauration sont frustrés des profits que leur fait perdre la suspension de leurs demandes d’AMT », conclut-elle.

« Voyez comment le ministre Kenney gère les changements au programme de la catégorie de l’expérience canadienne », enchaîne Betsy Kane. Il s’agit d’un programme qui autorise les TET à demander le statut de résident permanent.

« Du jour au lendemain, le ministre a déclaré que six métiers n’étaient plus admissibles à ce programme. Il trouvait que trop de gens faisaient une demande de résidence permanente, point à la ligne. Tout se passe maintenant selon les humeurs du ministre et ses réactions aux courants politiques de l’heure. »

Que nous réserve-t-il pour l’avenir? Dans un discours récent, le ministre Kenney s’est fait un féroce défenseur du PTET, mais il parlait surtout des TET les plus qualifiés, et il a du même souffle affirmé que l’embauche de travailleurs non qualifiés dans les secteurs à faible salaire était devenue un « modèle d’affaires » gênant.

C’est donc sans surprise qu’on a vu annoncer à la mi-mai que le ministre songeait à majorer les frais exigés aux entreprises voulant se prévaloir du PTET et à obliger les employeurs à hausser les salaires versés aux TET, ce qui risque de rendre le PTET hors de prix pour la plupart des joueurs de la restauration et du secteur hôtelier.

Cette perspective donne des sueurs froides aux restaurateurs. « Ce serait une catastrophe, prévient Joyce Reynolds, vice-présidente à la direction des affaires gouvernementales de Restaurants Canada. Si cela arrivait, des centaines d’entreprises feraient faillite! Déjà, des employés canadiens se font mettre à pied par des restaurants qui n’arrivent plus à recruter assez pour doter certains quarts de travail.

« Notre secteur doit recruter une main-d’œuvre très convoitée par les industriels et les entreprises du secteur de l’énergie, qui offrent entre 20 et 30 $ de l’heure. Impossible de les concurrencer sur ce plan, et ce n’est pas en nous lançant dans une surenchère des salaires que nous allons régler le problème de fond. »

« Il serait peut-être temps de mettre fin au PTET, exception faite des métiers de la construction et des professions et emplois hautement spécialisés, affirme Julie Taub, une avocate en droit de l’immigration qui a témoigné devant des comités de la Chambre des communes. La grande majorité des TET n’appartiennent pas à ces catégories, et je peine à croire qu’on n’arrive pas à recruter assez de Canadiens pour occuper ces emplois. »

Pour d’autres, la seule solution au problème des travailleurs sans qualification consisterait pour le gouvernement à intensifier le suivi, car les TET de cette catégorie – généralement liés à leur employeur par effet d’un AMT et vivant souvent dans la crainte d’être déportés – sont peu susceptibles de se plaindre d’être exploités.

« Au minimum, il faudrait de sérieuses mesures de surveillance des demandes d’AMT et des mesures de suivi pour garantir la conformité », déclare Fay Faraday, professeure à l’Osgoode Hall Law School et auteure d’un rapport très acerbe sur le PTET paru en avril. Elle cite le cas du Manitoba à titre de pratique exemplaire : recruteurs et employeurs de TET doivent être inscrits auprès de la province, afin que celle-ci puisse vérifier leur conformité.

« Ils vérifient systématiquement les employeurs de TET, précise-t-elle. Toutes leurs mesures d’application découlent de ces vérifications. Aucun travailleur ne s’est manifesté. »

Pour l’heure, la structure juridique du PTET reste mouvante dans son ensemble. Julie Taub estime que les avocats en droit de l’immigration peuvent s’attendre à voir s’amenuiser leur clientèle. Ce sont eux qui traitent les demandes d’AMT et de permis de travail, et il y en aura moins.

« Personnellement, conclut-elle, je préviendrais les employeurs s’apprêtant à faire une demande en leur disant que je ne veux pas leur prendre leur argent : à mon avis, leurs chances de succès sont bien minces. »

Doug Beazley est journaliste à Ottawa.