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Les puristes des chaînes de blocs imaginent un monde exempt de banques et de compagnies d’assurances comme nous les connaissons maintenant, un monde où les juristes travaillent différemment, croit Usman Sheikh, du cabinet torontois Gowling WLG.
Le potentiel perturbateur d’une chaîne de blocs modifiera le tissu de notre société et créera un bouleversement considérable dans la profession juridique, ajoute-t-il en qualifiant de révolutionnaire la possible incidence sur les juristes.
La chaîne de blocs constitue l’une des technologies les plus déstabilisantes et percutantes jamais conçues, selon certains depuis les balbutiements de l’ère Internet, dit M. Sheikh, qui dirige le groupe des chaînes de blocs et des contrats intelligents de son cabinet, malgré l’incertitude qui caractérise la possible évolution des choses.
Inventées pour être utilisées avec la cryptomonnaie bitcoin en 2008, les chaînes de blocs sont une technologie complexe, mystérieuse et difficile à comprendre pour la plupart des gens qui ne sont pas des programmateurs. Elles permettent la distribution, et non la copie, de renseignements numériques, et peuvent enregistrer de façon permanente des transactions impliquant diverses parties. Wikipédia décrit les chaînes de blocs comme « une base de données distribuée dont les informations […] sont vérifiées et groupées […] en blocs, liés et sécurisés grâce à l’utilisation de la cryptographie ».
Cependant, le terme « contrat intelligent à base de chaînes de blocs » signifie différentes choses pour différentes personnes. Pour les acteurs de la communauté des chaînes de blocs, un contrat intelligent n’est en rien un contrat. Il s’agit simplement d’un code numérique effectué sur une plate-forme, explique M. Sheikh. Les contrats intelligents qui préoccupent le plus les juristes sont ceux se trouvant hors des réseaux de chaînes de blocs, qui opérationnalisent essentiellement des contrats, en partie ou intégralement, par le biais d’un code.
La plate-forme de chaînes de blocs Ethereum a été conçue pour créer des contrats intelligents. Expliqués en termes simples, ces contrats sont programmables et aptes à s’exécuter automatiquement eux-mêmes lorsque des conditions prédéfinies sont réunies. M. Sheikh les décrit comme des promesses à signature numérique qui sont exécutées automatiquement par un code conçu par un logiciel issu de la technologie des chaînes de blocs.
Le concept d’un « contrat intelligent » a été développé pour la première fois en 1994 par l’informaticien, juriste et cryptographe Nick Szabo, qui le décrivait alors comme un protocole de transaction informatisé exécutant les conditions d’un contrat. L’objectif consiste à respecter des conditions contractuelles fréquentes, à minimiser les exceptions accidentelles et malveillantes, et à réduire le besoin de recourir à des intermédiaires de confiance.
En effet, c’est le retrait des intermédiaires, y compris des banques, des marchés boursiers et des compagnies d’assurances, qui est considéré comme l’une des principales menaces de cette technologie. Il est possible que plusieurs autres parties soient affectées par cette technologie, affirme M. Sheikh, ce qui explique pourquoi elle suscite autant d’enthousiasme, mais aussi de préoccupation, à travers le monde, compte tenu de l’incidence qu’elle pourrait exercer dans la nouvelle configuration du tissu de base que l’on voit dans de si nombreux domaines et secteurs.
Les contrats intelligents à base de chaînes de blocs auront également des répercussions sur le rôle traditionnel que jouent les juristes à titre d’intermédiaires de confiance, ce qui mènera probablement à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires pour les cabinets, croit M. Sheikh. Il ajoute qu’il existe déjà des références à des « cabinets intelligents » ou à des « juristes en immobilier intelligent », qui réalisent des transactions immobilières en ayant recours à des contrats intelligents. Aussi, certains cabinets ont déjà commencé à accepter des cryptomonnaies.
M. Sheikh est d’avis que des équipes multidisciplinaires verront le jour au sein de cabinets dans lesquels les juristes collaboreront étroitement avec des développeurs de logiciels, des codeurs et des programmateurs, ou possèderont eux-mêmes des connaissances de base en codage.
Les questions juridiques qui surgiront de ces contrats intelligents demeurent pour l’instant inconnues, précise M. Sheikh, puisque nous en sommes toujours à nos premiers pas dans cette ère. Tout d’abord, comment les dossiers de chaînes de blocs électroniques feront-ils leur apparition dans les tribunaux? Quels sont les enjeux en matière de ressort territorial lorsqu’un contrat est exécuté dans plusieurs territoires de compétence? Où le litige est-il tranché et quelle loi a préséance?
M. Sheikh déclare que son cabinet, lors de l’embauche de nouveaux juristes, tient compte des connaissances en matière de codage, qu’il considère comme étant un atout. En tenant pour acquis que les contrats intelligents fonctionneront comme ils l’ont imaginé, les juristes devront non seulement comprendre comment lire et probablement comment préparer des contrats écrits, mais ils devront aussi être aptes à saisir le codage qui a une incidence sur ces contrats afin de s’assurer qu’ils expriment l’essence du contrat écrit lui-même. Il ajoute que certains contrats intelligents seront exécutés sans contrat écrit et que, dans ces cas, les juristes devront saisir le codage qui est sous-jacent au contrat lui-même.
Des sociétés ont déjà commencé à se rallier au mouvement des contrats intelligents. Le projet OpenLaw de ConsenSys Media se décrit comme étant le premier à raccorder intégralement des ententes juridiques traditionnelles à des contrats intelligents à base de chaînes de blocs de façon conviviale et conformément à la loi. La société a mis au point un contrat de travail dans lequel la signature déclenche des paiements automatiques avec Ethereum.
Sur son site Web, OpenLaw soutient que la façon dont les contrats juridiques sont créés et générés n’a pas beaucoup changé et que les juristes n’ont pas su profiter des avancées informatiques pour rationaliser et simplifier leur travail. Les ententes ne sont pas programmables et la méthode « fracturée et précaire » de stockage d’accords juridiques importants en fait des cibles pour les pirates informatiques.
OpenLaw promet de concevoir des contrats de travail simples qui permettent la rémunération des employés en temps réel, toutes les minutes, éliminant du coup le traitement de la paie ou tout autre intermédiaire participant intimement à la création et à l’exécution de contrats.
L’argument de vente le plus solide des chaînes de blocs est qu’elles sont « censés être dignes de confiance », affirme Xavier Beauchamp-Tremblay, président-directeur de CanLii à Ottawa. « Ainsi, vous n’avez pas besoin d’avoir confiance dans l’autre partie ou de la connaître, il n’y a pas d’acteur centralisé qui manipule réellement tous les paiements entre les différents acteurs. C’est là que la magie opère. »
M. Beauchamp-Tremblay exhorte les juristes à acquérir les connaissances technologiques suffisantes pour jouer un rôle significatif dans le développement de technologies à base de chaînes de blocs. Il ne croit pas que, malgré la réalité des changements technologiques, les juristes vont programmer des contrats intelligents à proprement parler, de la même façon qu’il doute que les chaînes de blocs mettent la profession juridique en péril au cours des prochaines années. Il invite les juristes à en apprendre le plus possible sur cette technologie, car le moment viendra où ils devront le faire. « Vous devez vous préparer, mais il n’y a rien à craindre à court terme pour votre gagne-pain. »
M. Sheikh décrit la transformation imminente que provoqueront les contrats intelligents comme un changement de paradigme, mais il aborde l’avenir avec philosophie. « Ce n’est pas quelque chose de positif ni de négatif. C’est une innovation. Et les innovations sont bonnes. Les nouveautés, comme Internet, le moteur à combustion ou d’autres innovations, sont des indicatifs de la bonne santé de notre société. »
Toutefois, nuance-t-il, l’innovation reconfigure aussi de façon fondamentale notre société et notre mode de fonctionnement.
Ann Macaulay contribue régulièrement au contenu d’EnPratique.