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La loi et les animaux : entre les meubles et les êtres doués de sensation

31 août 2015 | Doug Beazley

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Un acteur autrefois méconnu de la loi occidentale – le droit des animaux – se trouve depuis peu sous les projecteurs.

En mai, la Nouvelle-Zélande a adopté une loi sur le bien-être des animaux qui les reconnaît comme des êtres doués de sensation – capables de ressentir de la douleur et un trouble émotionnel – et qui interdit notamment les tests de produits cosmétiques. Aux États-Unis, le Nonhuman Rights Project a intenté des poursuites à la défense d’animaux en captivité, dans l’espoir qu’on leur accorde le statut juridique d’une « personne ». Le projet a remporté une victoire au goût amer en juillet, quand un juge de New York a rejeté l’action intentée au nom de deux chimpanzés de laboratoire : il a déclaré que même si la jurisprudence refusait à Hercule et à Leo les droits de l’habeas corpus, l’action en justice était quant à elle tout à fait légale. Autrement dit, selon le blogueur juridique américain Ken Strutin, « les animaux peuvent adresser des requêtes et être représentés au tribunal; ils sont des êtres reconnus par la loi ».

Plus tôt cette année, la France a adopté une loi déclarant que les animaux sont des êtres doués de sensation, eux qui étaient considérés comme de simples meubles dans le Code Napoléon de 1804; elle emboîte ainsi le pas à l’Allemagne, à l’Autriche et à la Suisse.

Au Canada, les progrès sont plus lents, mais nous sommes sur la bonne voie. En juillet, la Colombie-Britannique a officiellement intégré dans sa loi contre la cruauté envers les animaux un code national de déontologie visant les exploitations laitières, en réaction à une vidéo montrant des employés d’une importante ferme laitière en train de battre les vaches avec des chaînes et des bâtons. L’an dernier, la Nouvelle-Écosse a durci les sanctions contre la cruauté envers les animaux et a habilité les autorités à donner des contraventions. Le Québec – auquel l’organisme Animal Legal Defence Fund accorde régulièrement le titre de « meilleur endroit au Canada pour s’adonner à la cruauté envers les animaux » – a déposé en juin un projet de loi à saveur néo-zélandaise.

« On ne peut même pas parler de droits en ce qui concerne les biens inertes, alors j’ai espoir que les droits des animaux se développent à partir de maintenant. »

« Le projet de loi est porteur d’un changement majeur puisqu’au Québec, les animaux sont encore à ce jour considéré comme des biens meubles, au même titre que des pièces d’équipement, a déclaré Pierre Paradis, ministre de l’Agriculture, dans une entrevue avec la Presse Canadienne plus tôt cette année. Ils pourraient être bientôt reconnus comme des êtres doués de sensation. »

Dans une entrevue accordée au magazine National en 2014, Lesli Bisgould, professeure de droit à l’Université de Toronto, a indiqué qu’on avait tenté plusieurs fois, au fil des ans, de sortir les animaux de la catégorie « biens/propriété » du Code criminel, ce qui leur donnerait plus de droits. Des députés lui ont confié que le soutien du public était acquis à la cause, mais selon elle, les politiciens se doutent que l’industrie influencerait les votes contre un tel projet : « C’est leur carrière qui en subirait les contrecoups. »

Pendant ce temps, l’industrie surveille attentivement les efforts des groupes de défense des droits des animaux.

En France, un puissant lobby agricole a soutenu que la nouvelle loi pourrait nuire aux fermiers, particulièrement aux éleveurs de bovins.

« La pression est forte de la part des groupes de défense des animaux, affirme Ron Folkes, un avocat ontarien représentant les transformateurs et les transporteurs de bétail. Leur programme ne vise pas tant le bien-être des animaux que l’élimination de la transformation et de la consommation de la viande au Canada. C’est un mouvement politique soutenu par des systèmes de caméras cachées et les médias sociaux. »

Malgré leur programme, les activistes admettent qu’ils ne font pas bouger les choses aussi rapidement qu’ils le voudraient en ce qui concerne les droits des animaux. D’ailleurs, bien que le projet de loi du Québec ait provoqué tout un tollé en raison de ses sanctions sévères, notamment le risque d’emprisonnement et des amendes pouvant aller jusqu’à 250 000 $, il ne comblera pas le fossé qui sépare les animaux de la ferme des animaux domestiques.

En vertu de ce projet de loi, le bétail doit être traité « selon les règles généralement reconnues », ce qui veut dire, d’après Alanna Devine, directrice de la défense des animaux de la SPCA à Montréal, que les éleveurs de poulets n’auront pas à changer leur équipement.

« La production à grande échelle de l’industrie agroalimentaire est hors d’atteinte, explique-t-elle à la Presse Canadienne. Je ne sais pas si les animaux seront traités avec dignité et respect. »

« D’un point de vue juridique, rien n’a changé avec l’ajout de la mention “doués de sensation”, précise Camille Labchuk, directrice des services juridiques de l’organisme Animal Justice. L’ancien Code civil du Québec exigeait déjà que l’on réponde aux besoins biologiques des animaux. Les lois provinciales considèrent tous les animaux comme des êtres doués de sensation, d’une façon ou d’une autre. C’est une distinction importante, mais qui demeure symbolique. »

Stevan Harnad, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sciences cognitives et chercheur au Groupe de recherche international en droit animal de l’UQAM, croit néanmoins qu’on peut en tirer avantage : « On ne peut même pas parler de droits en ce qui concerne les biens inertes, alors j’ai espoir que les droits des animaux se développent à partir de maintenant. »

Peter Sankoff, professeur de droit à l’Université de l’Alberta, soutient que même un changement symbolique peut prendre vie dans une salle d’audience.

« De nombreux principes énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés avaient originellement une portée symbolique, mais leur interprétation par les tribunaux leur a donné un nouveau poids, explique Peter Sankoff, qui a cosigné des textes fondateurs sur le droit animal. Cette portée symbolique acquiert souvent une force réelle. »

Les tribunaux pourraient bien avoir accordé au mouvement pour les droits des animaux une puissante arme juridique alors que personne n’y prêtait attention.

Depuis des années, des activistes tentent de convaincre l’Edmonton Valley Zoo d’envoyer Lucy, une éléphante d’Asie de 40 ans, vers un climat plus chaud. En 2011, la Cour d’appel de l’Alberta a été saisie d’une affaire où Zoocheck Canada accusait la ville d’Edmonton d’avoir enfreint la loi provinciale pour avoir failli à protéger la santé de Lucy. Zoocheck a perdu son procès. Comme l’a écrit le juge Frans Slatter, en faveur de la décision majoritaire, la justice est réticente à accorder réparation dans de tels cas puisqu’il est de la responsabilité du procureur général d’engager des poursuites dans l’intérêt public.

Un an plus tard, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, la Cour suprême du Canada a reconnu aux tiers la qualité pour porter devant les tribunaux ce type d’affaires, même s’il aurait dû revenir à une autre personne de le faire.

« La Cour suprême a indiqué que la poursuite devait être une façon raisonnable et efficace de porter une affaire à l’attention du tribunal, mais pas le seul moyen envisagé, précise Scott McAnsh, spécialiste du droit municipal établi à Ottawa, qui représentait la Ville d’Edmonton dans l’affaire Lucy. La décision soutient directement les lois sur les droits des animaux. »

C’est même évident : les animaux dépendent de la Couronne et des organismes de réglementation pour la protection de leurs droits, si tant est qu’ils en aient. Sans des intervenants tiers comme Zoocheck et le Nonhuman Rights Project pour les défendre, les animaux ont peu de chance de voir leur cause portée devant un juge.

« La plus grande difficulté est aussi la plus flagrante dans ces cas-là : il est difficile de prouver qu’il y a eu agression si la victime ne peut témoigner, souligne M. Sankoff. Avec un peu de chance, vous aurez des preuves vétérinaires. Or, le simple citoyen ne peut obtenir de mandat de perquisition. Si les organismes de réglementation ne veulent pas inspecter un établissement, personne ne peut les y obliger. »

« La prochaine étape serait d’élargir le rôle des défenseurs des animaux afin qu’ils puissent intenter des poursuites au nom des animaux dans l’intérêt public, conclut Ziyaad Mia, professeur à l’Osgoode Hall Law School. Une fenêtre de possibilités s’est ouverte. »

Doug Beazley est un journaliste d’Ottawa et il contribue régulièrement à EnPratique.