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Attention au fossé

15 juillet 2014 | Emily White

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Il y a toujours eu, dans une certaine mesure, des conflits entre les générations au sein des cabinets juridiques. Par exemple, les avocats qui y sont entrés dans les années 1960 risquaient d’avoir peu en commun avec la génération qui les précédait, dont les membres avaient vécu la Deuxième Guerre mondiale. Mais ce qui se produit aujourd’hui est différent.

On peut discerner trois générations dans les cabinets juridiques : les baby-boomers (qui ont 50 ans ou plus), les membres de la génération X (dans la trentaine et la quarantaine) et les membres de la génération Y (dans la vingtaine). Ce qui est le plus frappant au sujet de ces différentes cohortes – et qui distingue les conflits entre générations actuels de ceux du passé – est la démographie. Les membres des générations X et Y sont moins nombreux que ceux de la génération du baby-boom.

C’est la conscience de la différence qui teinte les conflits dans un effectif multigénérationnel – alors même qu’employés et employeurs sont aux prises avec des changements dans le marché des services juridiques ainsi que dans la santé des cabinets d’avocats et services juridiques et, bien sûr, avec la concurrence au sein de chaque génération pour les voies de carrière et les titres les plus convoités. On sent que si les baby-boomers n’avaient d’autre choix que de « marcher au pas », les membres des générations plus jeunes peuvent choisir à leur gré là où ils pourraient bien travailler.

« Avec les baby-boomers, nous avions deux fois autant de candidats qu’il ne nous en fallait pour les mêmes postes, la même sécurité d’emploi, les mêmes possibilités d’avancement, affirme Linda Duxbury, professeure à l’École de gestion Sprott de l’Université Carleton. Ils devaient donc se soumettre et faire tout ce qu’il fallait pour conserver leur emploi. Mais la génération Y? Ses membres ne sont que 40 % aussi nombreux que ceux de la génération qu’ils doivent remplacer [la génération X]. Ils peuvent avoir tout ce qu’ils veulent. »

Et ce que les générations plus jeunes recherchent et attendent de leur lieu de travail est très différent de ce que les baby-boomers voulaient. Il y a un choc des valeurs, les nouvelles générations attachant une plus grande importance à l’équilibre travail-vie personnelle que ne le faisaient les baby-boomers à leur âge, selon Alan Levy, spécialiste du changement organisationnel de l’Université de Brandon qui a récemment présenté à la Société du Barreau du Manitoba un exposé de DP sur le règlement des conflits entre générations au sein de cabinets d’avocats.

Les travailleurs plus jeunes estiment que « leurs parents se sont donnés cœur et âme à leur organisation », dit la PreDuxbury, dont les travaux de recherche sur les enjeux entourant la gestion d’une main-d’œuvre changeante ont été reconnus à l’échelle internationale. « Et ils en ont vu les conséquences. Ils ont vu leurs parents se divorcer, consommer du Prozac, prendre des congés pour cause de stress. Ils n’ont absolument aucune intention de sacrifier leur vie à leur travail. »

Choc du futur

Pour le Pr Levy, arbitre et médiateur ayant 25 ans d’expérience en ressources humaines dans les secteurs public et privé au Canada, ce que vivent de nombreux cabinets d’avocats est une forme de « choc du futur » : ils sont confrontés à des valeurs et des comportements qui ne concordent pas avec ce qu’ils attendent d’un avocat. Pour compliquer les choses, de nombreux dirigeants de cabinets ne considèrent pas la situation d’une façon critique et analytique. « Ils y pensent dans l’optique des personnes en cause, ce qui ne fait qu’aggraver le problème. Quand une personne quitte, ils ont le même problème avec la personne suivante.

Les chercheurs désignent le plus souvent la disposition à « plier bagages et partir » comme le trait distinguant les générations X et Y de la génération du baby-boom. Jadis un marché du travail hypercompétitif faisait que même si des baby-boomers aspiraient à un équilibre entre le travail et la vie personnelle, ils étaient dépourvus de la mobilité nécessaire pour réaliser leur but. Les jeunes avocats d’aujourd’hui sont en revanche tout à fait prêts à joindre le geste à la parole.

Il y a des mesures que les cabinets d’avocats peuvent prendre pour faire face au changement. Une possibilité est de délaisser le système de facturation horaire. « On ne pense qu’aux heures, dit la Pre Duxbury. Les heures, toujours les heures. Or, ce n’est pas la même chose que de la production et ce n’est pas la même chose que des produits livrables. Pourtant dans le cabinet juridique, on tient pour acquis que si vous travaillez de longues heures, vous êtes bon. »

Une autre chose que les cabinets peuvent faire, ajoute le Pr Levy, est de préciser d’emblée les attentes de sorte que tous les comprennent. « Il faut un certain compromis de la part des membres des générations X et Y », concède le Pr Levy. Il ajoute qu’un compromis est uniquement possible si « les valeurs et la culture du cabinet sont clairement énoncées ». Rien ne s’oppose à ce qu’un cabinet s’attende à de longues heures de travail, mais il doit le faire comprendre à tous ceux qu’il embauche. Sinon, il se retrouvera cinq ans plus tard avec bien moins de personnel.

Le Pr Levy soutient par ailleurs qu’une « sensibilité générationnelle » de la part du cabinet peut produire de meilleurs résultats non seulement avec les jeunes avocats mais aussi avec les clients. « J’ai vu toutes sortes de problèmes entre des avocats plus âgés et leurs clients, dit-il. Si un client est dans la trentaine, il risque de ne pas vouloir se faire dire que faire mais un associé chevronné ne le comprend pas nécessairement et peut commencer à considérer qu’il a affaire à un client difficile. »

« Vous pouvez blâmer vos clients tant que vous voulez, dit le Pr Levy, mais vous ne résoudrez pas vos problèmes ainsi. Vous devez comprendre comment leur perspective est différente de la vôtre. »

Changement d’orientation en milieu de travail

C’est pourquoi, affirme le Pr Levy, les jeunes avocats s’inscrivent à des programmes de MBA pour cadres ou des programmes de travail social – pour mieux comprendre les situations de leurs clients. Cette volonté d’adopter une perspective différente fait partie d’une approche légèrement différente de l’exercice du droit qu’apportent les générations X et Y.

« Ils apprécient véritablement la collégialité et le travail d’équipe, ce qui n’est pas le point fort de certains cabinets, fait remarquer la Pre Duxbury. Ils veulent aussi apporter une contribution et changer les choses, ce qui peut aussi être un peu difficile pour certains cabinets. »

Le défi à relever ne consiste pas à créer un cabinet qui est expressément façonné pour répondre aux besoins d’une génération ou d’une autre. Il s’agit plutôt d’en créer un qui soit flexible et sensible aux besoins d’une variété d’avocats. Une attitude progressiste, des politiques claires, des systèmes de facturation plus souples et des options quant à la façon d’exercer le droit sont des éléments qui peuvent être très utiles pour dissiper la confusion et l’incompréhension susceptibles de surgir entre membres du même cabinet séparés par un certain nombre d’années.

En dernier ressort, ce sont les cabinets qui parviennent le mieux à combler le fossé entre les générations qui prospéreront. « Si un cabinet est réputé accueillant pour les différentes générations et pour les femmes autant que les hommes, il n’aura aucun problème à embaucher du personnel et à le conserver, soutient le Pr Levy. Et il pourra choisir parmi les tout meilleurs éléments, s’assurant une meilleure productivité et un plus grand engagement à son endroit. »

De tels cabinets peuvent même obtenir des membres de la génération Y qu’ils leur consacrent de longues heures en fin de semaine. « Lorsqu’un cabinet commence à appliquer des politiques progressistes axées sur des valeurs, les gens diront : “C’est intéressant de travailler ici. Je travaillerai la fin de semaine parce que je sais que je pourrai prendre des jours de congé à un autre moment.” »

Emily White est une rédactrice établie à St. John’s.