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Détaillants en herbe : faire commerce du cannabis légal

01 février 2015 | Doug Beazley

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Il était une fois un gouvernement fédéral qui avait un problème de drogue. En public, il menait une guerre contre cette drogue. En privé, il savait qu’il était en train de perdre à la fois la guerre et le débat.

Une commission gouvernementale lui recommanda de dépénaliser l’usage récréatif de cette drogue. Et les compagnies de tabac — avides de récupérer ce qu’elles considéraient comme une menace pour leur marché principal — commencèrent à explorer l’idée de se mettre aux herbes légalisées.

« La seule véritable menace pour notre entreprise serait que la société trouve d’autres moyens de satisfaire ces besoins », indiquait la note de service confidentielle d’un dirigeant de l’industrie du tabac.

Ce gouvernement était celui de Richard Nixon. L’Administration Nixon décida d’ignorer la recommandation de la commission présidentielle de 1972 et de maintenir la prohibition de la marijuana. Mais les parallèles entre le débat américain sur la drogue d’il y a 43 ans et celui qui se déroule actuellement au Canada sont frappants.

Aux États-Unis, dans les années 1970, beaucoup de gens croyaient que la légalisation du cannabis était imminente et que les géants du tabac seraient les mieux placés pour exploiter son usage récréatif. Au Canada, grâce à la décision du gouvernement Harper l’an dernier de remanier le régime du cannabis médicinal — le détournant de sa culture à domicile par les patients au profit d’un système de licences de production pour grands producteurs sûrs —, les bases d’une industrie de l’usage récréatif sont peut-être déjà en place.

De quoi inquiéter Eugene Oscapella, avocat à Ottawa et cofondateur de la Canadian Foundation for Drug Policy (Fondation canadienne pour une politique sur les drogues). Oscapella est favorable à la légalisation et à la réglementation de la marijuana comme moyen de réduire les méfaits du marché noir, mais il craint qu’en refusant d’examiner dès maintenant les règles de base d’un marché de l’usage récréatif, Ottawa risque de laisser le secteur privé façonner le secteur.

« Pour le moment, le produit est entre les mains d’un marché noir stupide, violent et gourmand qui provoque beaucoup de décès et de dommages », explique-t-il. « Mais dès que de grandes entités commerciales se mêlent d’un produit, les gouvernements sont soumis à une forte pression pour en accroître la disponibilité. Et c’est ce qui risque d’arriver avec le cannabis. »

Là où Eugene Oscapella voit une menace, d’autres voient une promesse. Beaucoup d’entreprises de cannabis médicinal en démarrage qui ont fait appel au capital de risque l’an dernier ont vu la valeur de leurs actions exploser, entraînée par une combinaison de calcul et d’instinct du parieur. Le cannabis médicinal est appelé à devenir une industrie de plusieurs milliards de dollars. De nombreux observateurs attribuent en partie l’activité frénétique sur le marché du cannabis médicinal à la spéculation : certains investisseurs font le pari que les producteurs pour l’usage médicinal seraient en position de dominer un éventuel marché de l’usage récréatif, ou représenteraient des cibles idéales pour une prise de contrôle par les fabricants de tabac.

« Ces petits producteurs pourraient-ils former la base d’un marché de l’usage récréatif? C’est possible », affirme Michael Lickver, avocat chez Bennett Jones, à Toronto. Avec l’aide de son collègue Hugo Alves, partenaire du cabinet, il a mis en place ce qu’il croit être le premier service juridique « holistique » spécialisé dans le démarrage d’entreprise de cannabis médicinal.

« Ce serait logique. C’est à eux qu’incomberait le développement de ce marché. Ce sont eux qui auraient les installations sécurisées dernier cri. »

Alves et Lickver se voient au seuil d’un tout nouveau secteur des services juridiques. Comme cette industrie est à la fois très jeune et politiquement controversée, confie Alves, il s’agit d’une spécialisation prometteuse.

« Je comparerais cela aux entreprises en démarrage du secteur des énergies renouvelables, à l’exception du fait que la marijuana est beaucoup, beaucoup plus politiquement délicate », affirme Hugo Alves. « Il s’agit d’un secteur hautement réglementé, et ceux qui s’apprêtent à y entrer ne savent pas vraiment dans quoi ils s’embarquent. À mesure que le gouvernement affinera sa compréhension du fonctionnement réel du marché, il affinera ses règlements. Il est donc très difficile pour un demandeur de licence de s’y retrouver. »

Le service offert par Alves et Lickver va de la demande de licence au renseignement politique — le cabinet possède à Ottawa un service de relations publiques qui emploie d’anciens hauts fonctionnaires en mesure d’aviser les clients sur le contexte politique des questions juridiques touchant la marijuana.

« L’une des choses qui préoccupent beaucoup le gouvernement fédéral, par exemple, est le détournement du produit vers le marché noir », explique Hugo Alves. « Il veut une boucle fermée du producteur au consommateur — pas de fuite. Si vous comprenez cela, vous ferez un meilleur travail et augmenterez vos chances de voir votre demande accueillie. La dernière chose que veut un gouvernement, c’est une source d’embarras. »

« Notre approche consiste à voir le patient et le producteur comme un moyeu auquel se fixent plusieurs rayons. Par exemple, si un client cherche un logiciel permettant de tout gérer, des semences à la vente, nous pouvons l’orienter vers un produit compatible avec le cadre réglementaire canadien. »

Le problème de la marijuana comme produit commercial, c’est qu’elle ne coûte pas cher à cultiver. Le prix élevé de la rue reflète l’illégalité de la marijuana, pas son coût de production. En 2002, Marc Emery — le soi-disant « prince du pot » — a affirmé son ambition de devenir la « Martha Stewart » du cannabis à usage récréatif, en se spécialisant dans le matériel accessoire.

Eugene Oscapella, pour sa part, redoute la croissance d’un marché de l’usage récréatif qui serait dominé par de grandes entreprises en mesure de faire pression sur Ottawa pour s’assurer que les règles sur l’utilisation, la production et la publicité soient aussi relâchées que possible. Des produits alimentaires enrichis de cannabis, de la publicité aux heures de grande écoute : tout est à venir, estime-t-il — à moins que le gouvernement fédéral adopte des mesures aujourd’hui pour façonner cette industrie.

« C’est simplement le propre du capitalisme », remarque-t-il. « Une fois que ce sera devenu un intérêt commercial à grande échelle, les entreprises participantes feront ce qu’elles peuvent pour développer ce marché et exploiter de nouveaux créneaux. Si elles peuvent apprendre à votre grand-mère à prendre de la drogue pour son arthrite, elles le feront. »

« Le gouvernement avance à tâtons dans ce dossier. Jusqu’ici, il n’a fait que réagir : réagir aux tribunaux, réagir à la façon dont le produit est utilisé. Ce n’est pas aisé de permettre aux entités privées de contrôler l’offre sans les laisser aussi contrôler le programme. »

Alves et Lickver, quant à eux, n’imaginent pas les compagnies prendre le contrôle du programme en matière de cannabis récréatif. S’ils entrevoient un marché de l’usage récréatif qui laisserait entrer des joueurs plus petits soumis à des exigences de sécurité inférieures — des producteurs « artisanaux », si l’on veut —, ils croient que le cadre réglementaire du marché de l’usage médicinal protège le Canada contre une perte de contrôle.

« Un marché de l’usage récréatif serait notamment fondé sur un cadre réglementaire contrôlant l’accès et la production », souligne Hugo Alves. « Il y aura des limites de possession, des limites d’âge. Un peu comme on réglemente l’alcool. »

« Autrement dit, ce ne sera pas la foire d’empoigne. »

Doug Beazley est un journaliste basé à Ottawa.