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Tous les jours, Terry Whyte met sa casquette de plombier, s’empare de sa boîte à outils, et prend le chemin du travail. Selon le client, il pourrait passer sa journée à réparer un raccordement complexe, ou à venir à bout d’un pénible pétrin alambiqué. Il est passé maître dans sa spécialité. Mais sa boîte à outils ne comprend ni clés anglaises, ni ruban adhésif en toile – ses « outils » sont sa bonne écoute et sa tendance à chercher des solutions qui ressortent de l’ordinaire.
Me Whyte est associé du cabinet Templeman Menninga LLP, qui a des bureaux à Belleville et à Kingston (Ontario). Il se spécialise dans le domaine de la négociation de dossiers de droit du travail. Bien avant de faire ses études en droit à l’Université Queen’s, il travaillait comme plombier. Il se souvient donc de ses humbles débuts chaque fois qu’il entreprend des négociations au nom d’un client.
L’art de la négociation réussie, explique Me Whyte, est de savoir faire preuve d’empathie envers la partie opposée et mettre de côté son amour-propre. Il poursuit : « En tant qu’avocat, je ne suis rien de plus qu’un ouvrier spécialisé. Ma spécialité, ce sont les mots – discuter de problèmes, et les résoudre. Je ne cherche pas à dénigrer la pratique du droit, parce qu’il y a des ouvriers spécialisés sensationnels, tout comme il y a des avocats sensationnels. Mais les avocats sensationnels ne sont pas sensationnels parce qu’ils sont avocats, mais plutôt parce qu’ils sont réfléchis, intelligents et parce qu’ils comprennent les relations humaines.
Privilégier la résolution de problèmes
Les relations humaines sont au cœur de presque tous les conflits juridiques et constituent donc le fondement des règlements négociés. Peu importe que les parties au conflit soient une société et ses employés syndiqués, un consommateur mécontent et un propriétaire de magasin récalcitrant, ou un mari et sa femme qui se sont séparés, le tout premier souci est de comprendre les nuances de la relation.
Entrent alors en jeu des différences subtiles qui ne sont pas souvent reconnues par le système juridique, au sein duquel les jugements des tribunaux sont fondés sur des questions de droit et les dénouements sont typiquement sans nuances. Cependant, le système juridique exige maintenant de plus en plus de règlements négociés afin d’éviter les pertes de temps, les coûts et l’acrimonie qu’entraînerait un procès.
« Plutôt que de partir en guerre chaque fois que survient un problème, s’il est possible de parvenir à un règlement négocié, tout le monde y gagne. Les parties reconnaissent l’existence d’une relation actuelle, qui doit être protégée », explique Me Whyte qui, entre ses carrières de plombier et d’avocat, a travaillé 20 années dans le domaine des relations humaines des secteurs minier et industriel.
Lorsqu’il a commencé ses études de droit à l’âge de 40 ans, il a été surpris d’apprendre que la négociation et le règlement des différends ne faisaient pas partie du cursus. Pendant neuf ans, il a enseigné un cours sur la négociation à la Faculté de droit de l’Université Queen’s et, l’année dernière, il a obtenu sa maîtrise en négociations collectives à la Faculté de droit Osgoode Hall.
Me Whyte poursuit : « Dès les années 1970, les démarches de négociation étaient déjà très en vue dans le cadre du mouvement syndical. On y fait désormais de plus en plus appel dans le cadre de litiges. C’est une façon de faire progresser les dossiers et de réduire le nombre de causes qui figurent au plumitif. Lorsqu’un problème peut être résolu au moyen d’un processus de négociation, la pression que subit le système juridique s’en trouve diminuée et les solutions qui découlent de la négociation sont – dans une certaine mesure – meilleures. »
Là où gain de cause n’entraîne pas une situation de « tout ou rien » La possibilité de façonner une solution qui ne désigne ni gagnant ni perdant, est un des grands avantages des règlements négociés. Songez, par exemple, au cas de l’achat d’une voiture d’occasion qui tourne mal. La cliente exige un remboursement car la voiture en question a besoin d’importantes réparations. Le concessionnaire déclare que l’auto avait été vendue « telle quelle » et qu’il a un contrat pour le prouver. Les esprits s’échauffent et la tension monte.
« S’ils avaient été devant le tribunal, le juge aurait déclaré : ‘Vous avez raison, et vous avez tort’. Peut-être que de l’argent aurait été échangé – ou peut-être que non. Quelqu’un aurait gagné, et quelqu’un aurait perdu », explique Andrew Pirie, professeur de droit à l’Université de Victoria et auteur du livre intitulé « Alternative Dispute Resolution: Skills, Science, and the Law ».
Dans cette cause, les parties avaient eu recours aux services du professeur Pirie, qui devait négocier un dénouement qui serait acceptable aux yeux des deux parties. Le concessionnaire a convenu de faire réparer l’auto au coût d’acquisition. La cliente a convenu de payer le prix de l’auto. Ainsi, la cliente a pu faire réparer sa voiture à moitié prix, alors que le concessionnaire n’a pas dû créer un précédent en lui remboursant son argent. Une solution qui convenait aux deux parties a été trouvée en précisément trois heures, ce qui leur a évité de devoir passer une journée acrimonieuse en cour des petites créances.
« Non seulement les parties ont-elles trouvé ce terrain d’entente, mais en plus elles se sont ensuite levées pour échanger une étreinte. Ceci démontre que lorsque vous encouragez les parties à trouver une solution qui leur convient, au lieu de simplement leur imposer une entente, elles sont souvent plus satisfaites du dénouement », ajoute le professeur Pirie.
Cette cause de « l’automobile d’occasion » dissipe le mythe qui voudrait que la négociation d’un règlement signifie nécessairement que les parties capitulent et conviennent d’un compromis perdant-perdant. En effet, les deux parties ont pu faire connaître leur point de vue et ont « gagné » en obtenant chacune un dénouement qu’elles pouvaient accepter. Le professeur Pirie conclut : « Le processus de négociation a permis de résoudre des problèmes de fond qui portent sur des questions d’argent, mais il a également permis de restaurer une relation qui se poursuit, en y injectant une certaine mesure de confiance ».
L’application de la loi signifie ne jamais devoir s’excuser...
Avec très peu d’exceptions, les tribunaux canadiens n’exigent pas d’excuses. Cependant, certaines provinces, telle la Colombie-Britannique, sont en train d’adopter des lois sur les excuses, qui reconnaissent la valeur thérapeutique d’un témoignage de regret. C’est un mythe de penser que la présentation d‘excuses est un signe de faiblesse alors que, dans bien des cas, c’est plutôt la baguette magique qui ouvre la porte à un règlement négocié.
À titre d’exemple, le professeur Pirie mentionne un dossier, dans lequel il a joué le rôle de médiateur, et qui portait sur une robe importante. Une femme a apporté la robe chez le tailleur pour des retouches, mais lorsqu’elle a été la chercher, la robe ne lui allait pas. « Elle avait l’impression que la robe avait été complètement gâchée », dit le professeur Pirie. « Cela s’est traduit par une vive altercation, avec prise de bec dans un espace public. » Le professeur Pirie a encouragé les deux parties à se présenter des excuses, avant qu’elles ne puissent se parler poliment.
Le professeur Pirie poursuit : « Chacune des deux parties a fini par s’excuser auprès de l’autre. Elle regrettait de s’être comportée de la sorte, et lui aussi regrettait son rôle dans l’affaire. Une fois leurs excuses échangées, les parties ont réussi à régler l’autre problème, quasiment sans avoir recours à mon aide ».
Dans son livre intitulé « The New Lawyer: How Settlement is Transforming the Practice of Law », Julie Macfarlane, professeure en droit de l’Université de Windsor, décrit le « nouvel avocat » comme étant quelqu’un qui est capable de se départir de son rôle traditionnel de l’avocat qui dirige le cours du dossier, pour assumer celui de l’avocat qui travaille en véritable collaboration avec le client. C’est l’avocat qui est moins chien de combat, et davantage chien-guide, qui est – à parts égales – combattant et médiateur, et qui comprend « à quel moment il doit enlever une casquette et mettre l’autre… ou même lorsqu’il doit porter les deux casquettes en même temps. »
Cela pulvérise le mythe à l’effet que les avocats doivent nécessairement se montrer hostiles et intransigeants pour avoir gain de cause. « C’est une mentalité dont il faut venir à bout », dit François Beaulieu, un ancien avocat plaidant et procureur fédéral qui travaille maintenant en tant que conseiller juridique de la Ville de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). « Je me rends compte que, lors de mes études en droit, j’ai reçu une formation d’avocat plaidant, plutôt qu’une formation de négociateur. Je ne savais ni comment gérer les émotions, ni comment communiquer avec mon client. À mes yeux, il y avait là une déconnexion. »
Me Beaulieu se rappelle du dossier d’un certain divorce acrimonieux. Il voulait tellement gagner sa première cause contre un avocat de plus grande expérience, qu’il avait négligé de bien comprendre les besoins de son client. Ses propres émotions ont pris le dessus. Le processus de négociation en avait souffert et, après trois ans et demi de négociations infructueuses, la cause a été réglée en cour.
« Je suis devenu si fixé sur mes positions, non pas vis-à-vis du mari de ma cliente, mais vis-à-vis de l’autre avocat, que cela en est devenu une compétition. Je ne parvenais pas à contrôler mes émotions », explique-t-il. « Il n’y a pas eu de gagnants dans cette cause. »
Me Beaulieu a toutefois observé son frère, un représentant des ventes pour une société internationale, qui était un excellent négociateur et qui suivait une formation continue afin d’améliorer ses habiletés. Soucieux d’en apprendre davantage, Me Beaulieu a alors obtenu une maîtrise en négociation à la Faculté de droit Osgoode Hall, dans le contexte de laquelle il a élaboré un cours de négociation qu’il enseigne maintenant à la Faculté de droit de l’Université du Nouveau-Brunswick.
Le Barreau du Nouveau-Brunswick l’a récemment chargé d’élaborer un module sur la négociation pour les cours du Barreau. « Avec les connaissances que j’ai maintenant acquises, j’aurais fait les choses bien différemment », déclare-t-il avec le recul.
Le passage de l’acrimonie à l’harmonie
Au Canada, il est estimé que 90 % des litiges en matière civile et commerciale sont réglés avant le procès. Les tribunaux favorisent cette tendance en soutenant la médiation obligatoire, les conférences de règlement et les processus de justice corrective. Les clients exigent maintenant des procédures juridiques plus rapides et moins coûteuses, auxquelles ils peuvent participer, afin d’aider à en façonner les dénouements. Les facultés de droit ont ajouté à leur cursus des cours sur la théorie et la pratique des règlements extrajudiciaires. Une nouvelle génération d’avocats est maintenant équipée pour faire différemment les choses.
Il y a eu un changement d’attitude important depuis que le professeur Pirie a commencé à présenter ces concepts lors de ses cours à l’Université de Victoria. « Au début, il y avait une résistance importante, tout particulièrement face à l’idée de la négociation facilitée », explique-t- -il. « Au cours des 20 dernières années, cependant, nous assistons à une explosion d’intérêt. Aujourd’hui, l’avocat moderne et les étudiants en droit qui viennent d’obtenir leurs diplômes comprennent l’importance de ces processus pour leur travail. »
Par ailleurs, les étudiants sont en train d’acquérir les habiletés qui leur permettront de faire face à cette nouvelle réalité, autant en faculté de droit que dans leurs échanges personnels. En parlant de ses étudiants à l’Université du Nouveau-Brunswick, Me Beaulieu dit : « Je pense, en règle générale, que les étudiants de cette génération ont une plus grande conscience de soi que je ne l’avais en faculté de droit il y a 13 ans et c’est vraisemblablement dû à l’éducation qu’ils ont reçue de leurs parents. Ils sont plus loquaces et communiquent plus efficacement. »
Afin d’illustrer les principes universels d’un processus de négociation efficace, Me Beaulieu utilise dans ses classes des exemples et des exercices qui ont peu à voir avec le droit. Voici quelques conseils pratiques tirés de l’expérience des professionnels :
Conseil no 1 : Ce n’est pas de vous qu’il s’agit. Laissez votre amour-propre à l’entrée. Il ne s’agit pas de gagner la cause, mais d’obtenir un bon dénouement pour votre client. « ‘Gagner’ est un concept démodé. Oui, je voudrais gagner. Mais ce n’est pas le point de vue de mon client, c’est celui de mon amour-propre », dit Me Whyte. « Il faut maintenir son objectivité. »
Conseil no 2 : Assurez-vous de décortiquer la multitude d’émotions en jeu. Commencez par les émotions de votre client, puis les vôtres, puis celles de la partie adverse. Une fois que vous aurez identifié les innombrables émotions en présence et leurs facteurs déclenchant, vous serez mieux équipé pour faire relâcher leur emprise.
Conseil no 3 : Écoutez sans préconceptions. Écoutez très attentivement, même si vous n’êtes pas d’accord, car si vous ne comprenez pas pleinement les problèmes de fond, vous pourriez ne jamais trouver les bases d’une entente. L’empathie ne consiste pas à prendre parti; c’est plutôt une question de compassion et de compréhension.
Conseil no 4 : Écoutez avec tous vos sens. Une écoute active fait intervenir tous les sens – odorat, goût, vue, toucher, soit tout ce qui fait partie de la communication non verbale.
Conseil no 5 : Recherchez la cause profonde du conflit. C’est facile de traiter un symptôme apparent, mais cela prend du travail pour découvrir la cause première de la difficulté. Comme le dit Me Beaulieu : « Une bonne analogie serait celle du médecin qui prescrit des antidépresseurs sans analyser la cause profonde de la dépression. Le problème sera encore présent. »
Conseil no 6 : Ne vous mettez pas simplement à leur place, changez carrément de place avec la partie adverse. Il faut que vous compreniez bien les difficultés auxquelles sont confrontées les parties adverses, et vice versa. Soyez aussi ouvert et honnête avec elles que vous souhaitiez qu’elles soient avec vous. « La caractéristique d’un bon négociateur consiste à réussir à gagner la confiance de la partie adverse. Elle peut ne pas être d’accord avec vous, mais elle a confiance que vous lui faites part de toutes les questions que vous jugez importantes », explique Me Whyte. « Cela exige une très grande communication, ce qui met parfois les parties mal à l’aise. Il est important de bâtir ce niveau de confiance dès les premiers moments. »
Conseil no 7 : Abstenez-vous de faire des allusions personnelles, ou faites bien la distinction entre le problème et la personne. Si vous n’aimez pas quelqu’un, si quelqu’un vous froisse, ou si vous vous sentez personnellement atteint, laissez tomber et passez à autre chose. Souvenez-vous que le problème ne tient pas à la personne même. Votre pouvoir dépend de votre capacité à contrôler vos émotions – ne laissez donc pas vos émotions vous contrôler.
Un vétéran des négociations collectives difficiles, Me Whyte prodigue le conseil suivant : « Comportez-vous de façon irréprochable. Ne répondez pas à une attaque personnelle en attaquant l’autre partie personnellement. Cela ne mène nulle part et donne le contrôle à l’autre partie. »
Conseil no 8 : Prenez une pause. Me Whyte fait remarquer qu’il fut un temps où il était acceptable de tirer longuement sur une cigarette, le temps de désamorcer des tensions ou de réfléchir à une réponse. Nous ne pleurerons pas la fin de cette époque-là, mais tentez de trouver une autre bonne excuse pour prendre une brève pause stratégique.
Conseil no 9 : Soyez préparé. « C’est un processus, pas une activité ponctuelle », fait remarquer le professeur Pirie. Identifiez-en donc toutes les étapes et préparez-vous pour chacune d’elles. Cette préparation doit également comprendre l’identification de votre meilleure solution de rechange au cas où les négociations échoueraient. Cette « meilleure solution de rechange » établit un point de référence pour ce que vous cherchez à accomplir au moyen du processus de négociation, et vous aidera à décider s’il est temps d’y mettre fin.
Conseil no 10 : Prenez un cours ou renseignez-vous sur le sujet du règlement extrajudiciaire des différends. Que vous ayez appris vos techniques de négociation en faculté de droit ou dans le cadre de votre emploi, il est toujours possible d’en apprendre plus. Le règlement extrajudiciaire des différends est un domaine dynamique qui, chaque année, engendre de nouvelles données et théories.
Pas besoin d’être un génie, toutefois… Comme la plupart des habiletés pratiques, celles du négociateur se développent avec le temps et l’expérience. Elles ne sont cependant pas du tout réservées à un groupe restreint de praticiens de génie. Les habiletés du négociateur se trouvent depuis bien longtemps dans la « boîte à outils » de tous les avocats, que ceux-ci discutent avec un client des procédures juridiques à intenter ou qu’ils décident, avec leur partenaire de vie, de leur prochaine destination de vacances. Ce sont des habiletés que vous utilisez tous les jours.
Le professeur Pirie conclut : « La négociation a toujours fait partie des fonctions de l’avocat. C’est toutefois dans l’abstrait que de nombreux avocats s’engagent dans des négociations, car ils n’ont jamais suivi un programme d’enseignement officiel sur les habiletés de négociation. Avec l’évolution de ce domaine, nous avons découvert qu’il y avait beaucoup à apprendre. »
Amy Jo Ehman est rédactrice pigiste, et réside à Saskatoon.