Une nouvelle perspective sur les partenariats entre avocats

23 novembre 2017 | James Careless

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Mentionnez à des juristes exerçant dans un petit cabinet ou de façon autonome qu’ils devraient songer à la possibilité d’une collaboration avec un grand cabinet et il y a des chances que vous lirez sur leurs visages une espèce d’incrédulité horrifiée. Pour de nombreux avocats, une telle suggestion équivaut à conseiller à une souris de faire cause commune avec un chat.

Et pourtant, selon Noel Semple, une collaboration entre des juristes exerçant de façon autonome ou en petits cabinets et leurs homologues de plus grande envergure peut s’avérer mutuellement bénéfique. Professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université de Windsor, Me Semple est l’auteur d’un livre numérique publié par l’ABC, intitulé « Accessibilité, qualité et rentabilité pour les cabinets spécialisés en droit des particuliers : Trouver le juste équilibre » (texte intégral disponible uniquement en anglais; sommaire disponible en français).

 « Dans les zones urbaines, les juristes qui exercent en petits cabinets ou de façon autonome sont souvent des spécialistes en droit, qui sont en mesure d’offrir aux cabinets généralistes de toutes tailles du soutien d’expert de grande valeur », explique Me Semple. « Des études suggèrent que, dans certains cas, les spécialistes sont capables d’obtenir pour leurs clients de meilleurs résultats que les généralistes. Ainsi, les collaborations entre les deux groupes pourraient présenter de l’intérêt pour toutes les parties concernées. » À titre d’exemple du fonctionnement de telles collaborations, il mentionne le petit cabinet de Hassell Trial Counsel à Toronto, qui offre à d’autres cabinets les services d’avocats-plaideurs expérimentés.

Et voici un autre exemple d’une telle collaboration : à Ottawa, dès le mois de janvier, le cabinet Momentum Business Law, qui compte six avocats, offrira aux grands cabinets, à titre de prestataire extérieur, des services juridiques pour entreprises. « L’utilisation que nous faisons de technologies juridiques et de processus en ligne nous permet de rationaliser le travail de notre client de manière à réduire le temps de traitement et à obtenir des résultats plus précis et ce, à un coût bien moins élevé qu’en employant des méthodes conventionnelles d’information sur support papier », déclare la fondatrice de Momentum Business Law, Megan Cornell. Me Cornell est convaincue que les grands cabinets ont besoin de l’aide que peut leur offrir Momentum. « J’ai déjà rencontré des avocats travaillant dans des bureaux pancanadiens, qui n’ont encore jamais été confronté aux signatures électroniques. »

De l’autre côté de l’équation, les juristes qui exercent de façon autonome ou en petits cabinets dans les zones rurales sont habituellement des généralistes qui œuvrent au « front » du combat pour l’accès aux services juridiques. « Ce sont dans de tels cas que des collaborations avec des cabinets plus grands et mieux équipés ainsi qu’avec de petits groupes de spécialistes peuvent s’avérer d’une utilité précieuse pour tous les intervenants », relève Me Semple. Il cite en exemple les services de recherche d’Aide juridique Ontario (AJO), qui constituent « un modèle du type de relation dans le cadre de laquelle un spécialiste, qui travaille au sein d’un plus grand cabinet – dans ce cas-ci, il s’agit d’AJO – offre des services de soutien à des généralistes. »

Tous sont réceptifs aux collaborations

Mick Hassell, avocat associé du petit cabinet spécialisé Hassell Trial Counsel, soutien la position pro-partenariats de Me Semple.

 « Je suis d’accord qu’il y a de la place tant pour les petits que pour les grands cabinets », dit Me Hassell. « Les petits cabinets sont bien positionnés pour tester le marché avec des offres de services innovatrices. Les grands cabinets sont capables d’offrir des économies d’échelle qui peuvent se conjuguer aux résultats positifs des offres des petits cabinets. »

Jeremy Hessing-Lewis est un avocat de Vancouver qui exerce seul et qui fait partie du réseau d’avocats indépendants Small Law. Interrogé sur la question à savoir s’il est judicieux, dans le cadre du marché actuel des services juridiques au Canada, d’établir des collaborations entre avocats indépendants, petits cabinets et grands cabinets, Me Hessing-Lewis répond « Absolument. J’en ai déjà discuté avec plusieurs confrères et consœurs, et nous sommes invariablement surpris par le fait qu’il n’y ait pas davantage de partenariats inter-cabinets (semblables aux maillages inter-entreprises "B2B") qui se créent. »

Me Hessing-Lewis propose un troisième scénario justifiant la création de collaborations entre avocats autonomes, petits cabinets et grands cabinets, un scénario qui rappelle le cheminement de joueurs de hockey qui visent des carrières professionnelles, gravissant les échelons des ligues mineures jusqu’à la LNH.

 « Dans le contexte de ma pratique en droit d’entreprises, la formule du partenariat entre avocats autonomes, petits cabinets et grands cabinets serait un choix évident, et permettrait à un cabinet offrant des services de base à faible coût d’assurer les premiers services aux jeunes entreprises et aux entreprises de taille moyenne dont les besoins juridiques sont relativement restreints », explique Me Hessing-Lewis. « Lorsque la croissance de l’entreprise cliente le requiert et que ses besoins excèdent la portée des services offerts par le premier cabinet, le dossier de la cliente pourrait alors être transféré au plus grand cabinet. Du reste, dans la pratique, c’est déjà la façon de procéder, même si un arrangement officiel pourrait être bien convaincant pour les nombreux clients qui se préoccupent de la portée des services dont ils ont besoin et des coûts qui s’ensuivent  – un tel arrangement correspondrait au modèle de services Toyota/Lexus. »

Dans le même ordre d’idées, les juristes exerçant seuls, les petits cabinets et les grands cabinets pourraient exploiter leurs forces respectives selon les besoins, ce qui leur permettrait d’apporter une plus-value à leurs clients tout en veillant à utiliser les atouts de chaque cabinet de manière avantageuse pour toutes les parties concernées. « À titre d’exemple, notre réseau Small Law pourrait établir des relations avec le cabinet McCarthy Tétrault de manière à pouvoir répondre mutuellement aux besoins de nos clients respectifs », fait remarquer Me Hessing-Lewis. « Les services offerts par McCarthy sont démesurés relativement aux besoins quotidiens en services juridiques de la plupart des petites et moyennes entreprises, mais conviendraient très bien à l’entreprise qui chercherait à mener ses activités sur une plus grande échelle et aurait besoin de conseils plus complets sur des questions réglementaires ou fiscales, ou en matière de valeurs mobilières. »

Par ailleurs, « lorsque des grands cabinets ne disposent pas de l’expertise dont ils ont besoin, ils créeront souvent des partenariats avec de petits cabinets qui en sont dotée », explique Paul Schabas, avocat associé chez Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l à Toronto, et trésorier élu (bâtonnier) du Barreau du Haut-Canada. « Aujourd’hui encore, j’ai envoyé un client chez un avocat en immigration avec qui je collabore régulièrement, afin que celui-ci puisse aider à obtenir le droit d’entrée au Canada pour un témoin dont la présence est nécessaire dans le cadre d’un procès qui aura lieu dans un proche avenir. »

L’immigration n’est pas le seul domaine relativement auquel les plus grands cabinets d’avocats pourraient solliciter l’aide de prestataires extérieurs de services spécialisés. « De nombreux grands cabinets n’exercent ni le droit de la famille, ni le droit pénal », explique Me Schabas. « Dans le domaine du droit pénal notamment, il existe de nombreuses occasions de collaborer avec d’autres avocats, car les entreprises qui sont clientes font souvent l’objet d’enquêtes de nature réglementaire ou portant sur des cas de corruption, de demandes de renseignements ou de mandats de perquisition. Si ces types de dossiers exigent le recours à des compétences en droit pénal, les clientes ont également besoin des ressources que leur offrent les grands cabinets et de l’attention que porteront ceux-ci aux aspects de responsabilité civile qui pourraient se superposer en partie aux enjeux des enquêtes et poursuites criminelles ou réglementaires en question. »

Une occasion qui reste à saisir

Les avantages, pour les deux parties, d’une collaboration entre grands et petits cabinets sont évidents, comme le sont d’ailleurs les avantages dont pourraient bénéficier les clients en matière d’amélioration des services et des résultats du traitement de leurs dossiers.

La peur de perdre des associés qui se joindraient à l’« autre équipe » et le contraste entre le modèle de collaborations inter-cabinets et les idées reçues de ce que constitue la pratique juridique traditionnelle au Canada pourraient expliquer le fait que cette occasion de mettre en œuvre de telles collaborations n’a pas encore été saisie. Me Hessing-Lewis ajoute qu’il « soupçonne que la raison de l’absence de telles collaborations est que les grands cabinets s’inquiètent à l’idée de perdre des clients et notamment la clientèle d’entreprises de taille moyenne qui hésitent à avoir recours aux services des cabinets à cause des frais juridiques ».

Selon Me Hessing-Lewis, il serait bien entendu judicieux que les grands cabinets « ne se laissent pas distraire et canalisent leurs efforts sur les services à leurs plus gros clients, qui sont plus susceptibles de leur permettre de réaliser des profits », et laissent plutôt aux juristes exerçant seuls et aux petits cabinets le soin de s’occuper des services aux clients dont les besoins seraient plus restreints. En fin de compte, écrit Me Semple dans son livre publié en ligne, [TRADUCTION] « il y a de la place tant pour les grands que pour les petits cabinets. L’étendue des besoins non satisfaits en matière de services juridiques au Canada est telle qu’avec les bonnes démarches innovatrices, un marché sain permettrait le bon fonctionnement des deux modèles » et les collaborations entre juristes exerçant seuls, et petits et grands cabinets constitueraient une approche qui serait gagnant-gagnant pour toutes les parties concernées.

James Careless est l’auteur de nombreux articles publiés sur le site EnPratique de l’ABC.