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Projet de loi C-9 : Loi visant à lutter contre la haine.

03 novembre 2025

[TRADUCTION]

Par courriel : JUST@parl.gc.ca

L’honorable Marc Miller, C.P., député
Président, Comité de la justice et des droits de la personne
Chambre des Communes
Ottawa, ON K1A 0A6A

Objet : Projet de loi C-9 : Loi visant à lutter contre la haine

Monsieur Miller,

Je vous écris au nom de la Section du droit pénal et de la Section sur l’Alliance de la diversité sexuelle et des genres (SADSG) de l’Association du Barreau canadien (sections de l’ABC) au sujet du projet de loi C-9, la Loi visant à lutter contre la haine, qui a été déposé le 19 septembre 2025.

L’ABC est une association nationale de plus de 40 000 membres, dont des avocats et avocates, des étudiants et étudiantes, des notaires et des universitaires. Son mandat consiste notamment à améliorer le droit et l’administration de la justice. La section du droit pénal est composée tant de procureurs de la Couronne que d’avocats et d’avocates de la défense de toutes les régions du pays. La SADSG a pour mission de répondre aux besoins et aux préoccupations des personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer et intersexuées (2ELGBTQI+) à l’ABC.

Le projet de loi C-9 a pour principal objectif de contrer l’augmentation du nombre de crimes haineux dans nos collectivités par la modification du Code criminel dans le but de créer de nouveaux crimes motivés par la haine visant des groupes identifiables. Plus particulièrement, il :

  • criminalisera le fait d’intimider des gens et de les empêcher d’avoir accès à des lieux de culte, ainsi qu’à des écoles, centres communautaires et autres lieux principalement utilisés par des groupes identifiables;
  • fera du crime motivé par la haine une infraction précise, s’assurant que ce comportement est plus clairement dénoncé et que les contrevenants rendent compte de leurs actes;
  • érigera en infraction le fait de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable par l’exposition en public de symboles terroristes ou haineux.

Les sections de l’ABC reconnaissent et appuient les droits des groupes historiquement opprimés. Certains s’inquiètent que malgré l’intention de protection de la mesure législative créant l’infraction liée à la haine, son application puisse entraîner des conséquences imprévues, notamment compte tenu de l’intervention policière excessive passée à l’égard des communautés marginalisées. Les paragraphes qui suivent indiquent les questions soulevées par les sections de l’ABC.

Faire du crime motivé par la haine une infraction précise

Nous craignons que la définition de « haine », bien qu’elle soit tirée de la jurisprudence, crée de la confusion. En particulier, la disposition proposée relative au paragraphe (3), « Précision », comprend un libellé flou qui est tiré hors contexte d’une décision source1. Par leur nature même, les crimes haineux discréditent, humilient ou offensent les victimes. La déclaration selon laquelle le simple fait qu’une infraction discrédite, humilie ou offense une victime ne suffit pas pour être visée par la définition de haine dans cette disposition de précision et nous sommes d’avis qu’elle embrouille davantage la définition qu’elle ne la précise.

Intimider des gens et les empêcher d’avoir accès à des lieux

Nous craignons que la création de cette infraction, dans sa version actuelle, soit problématique. Nous reconnaissons qu’il est important que les personnes puissent avoir accès à ces lieux sans en être empêchées et sans crainte.

Toutefois, nous pensons que cette infraction peut faire l’objet de poursuites dans le contexte d’une réunion ou d’une manifestation qui se déroule devant un des lieux indiqués ou à proximité de ces derniers. La Charte protège la liberté de réunion pacifique en vertu de l’alinéa 2c). La création de cette infraction est susceptible de nuire à cette liberté si l’acte coupable de l’infraction n’est pas clairement défini.

En particulier, le sens des mots « empêcher » et « gêner » est très général. Le moment auquel une personne, ou ses paroles ou actions, empêcherait ou gênerait l’accès n’est pas clair à la lecture des modifications. Malgré une tentative de préciser le sens en déclarant que le fait de « communiquer des renseignements » ne constituerait pas une infraction, nous croyons que cette précision ne suffit pas. L’acte coupable constituant le fait d’empêcher ou de gêner l’accès doit être plus clairement défini, en particulier compte tenu de la violation possible des droits d’une personne accusée garantis par l’article 2 de la Charte.

Symboles liés à la haine

Les sections de l’ABC notent deux préoccupations relatives à cette modification. Tout d’abord, nous craignons que cette infraction nuise à la liberté d’expression. Nous proposons que l’intention coupable de cette infraction soit plus précisément limitée à l’exposition de ces symboles « dans le but de fomenter la haine » de façon à ce que la mesure législative ne vise que l’exposition de ces symboles dans des circonstances ayant pour but de promouvoir la haine contre des groupes identifiables. Ce libellé garantirait que cette nouvelle infraction n’ait pas une portée trop large.

De plus, nous notons qu’un seul symbole lié à la haine qui sera visé par ce crime est indiqué clairement dans le Code criminel. Compte tenu de l’incidence sur la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, il serait plus prudent de clairement indiquer tous les symboles liés au terrorisme et à la haine qui seraient visés par le Code criminel, plutôt que de renvoyer à un règlement qui sera mis à jour régulièrement.

Nous espérons que ces observations seront utiles. Les sections de l’ABC sont disponibles pour fournir une assistance technique en matière de rédaction.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de notre considération respectueuse.

(lettre originale signée par Julie Terrien pour Melanie Webb et Kyla M. Lee)

Melanie Webb
Présidente, Section du droit pénal de l’ABC

Kyla M. Lee
Présidente, Section sur l’Alliance de la diversité sexuelle et des genres de l'ABC

Fin de Notes

1 La décision à l’origine de la définition est l’arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, au paragraphe 41 :

À mon avis, les mots « détestation » et « diffamation » décrivent bien l’effet préjudiciable que le Code vise à éliminer. Les mots qui exposent un groupe ciblé à la détestation tendent à inspirer, d’une manière qui excède le simple dédain ou l’aversion, l’inimitié et une malice extrême envers le groupe. Les messages diffamatoires cherchent à insulter, à déconsidérer ou à dénigrer la personne ou le groupe ciblé pour le rendre illégitime, dangereux, ignoble ou inacceptable aux yeux du destinataire. Les messages qui exposent des groupes vulnérables à la détestation et la diffamation vont bien plus loin que simplement discréditer, humilier ou offenser les victimes.