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Projet de loi C-15 - Loi no 1 d’exécution du budget de 2025

03 décembre 2025

[TRADUCTION]

Par courriel : LCJC@sen.parl.gc.ca

L’honorable David M. Arnot
Président, Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (LCJC)
Sénat du Canada
Ottawa (Ontario) K1A 0A6

Object : Projet de loi C-15 - Loi no 1 d’exécution du budget de 2025

Monsieur le Président,

Nous vous écrivons au nom de la Section du droit de la famille et du Sous-comité des questions judiciaires de l’Association du Barreau canadien (les sections de l’ABC) au sujet du projet de loi C-15, Loi no 1 d’exécution du budget de 2025, plus précisément de la section 30 de la partie 5. Nous remercions le Sénat de nous permettre de formuler ces commentaires, et tenons à exprimer notre appui à la réaffectation de postes judiciaires aux tribunaux unifiés de la famille (TUF), comme prévu à la section 30.

L’ABC est une association nationale de plus de 40 000 membres, dont des avocats et avocates, des étudiants et étudiantes en droit, des notaires et des universitaires. Son mandat consiste notamment à améliorer le droit et l’administration de la justice. La section du droit de la famille rassemble des spécialistes provenant de toutes les régions du pays et possédant une expertise approfondie en droit de la famille, tant sur le plan substantiel que pratique. Le sous-comité des questions judiciaires se penche pour sa part sur les politiques relatives aux nominations, à la rémunération, à la discipline et à l’indépendance judiciaires.

Soutien à l’élargissement des tribunaux unifiés de la famille (TUF)

Les sections de l’ABC appuient fermement les modifications proposées à la section 30, lesquelles prévoient l’attribution de huit postes de juges à des TUF ontariens, ainsi que deux postes à la Cour d’appel de l’Ontario1. Depuis longtemps, la section du droit de la famille soutient que l’élargissement des TUF, notamment par l’autorisation de nouvelles nominations judiciaires et l’affectation de ces ressources aux tribunaux spécialisés, est essentiel à l’amélioration de l’accès des familles à la justice pour et à la réduction des délais au sein des systèmes civil et pénal à l’échelle du pays2. Une résolution de l’ABC, adoptée en 2005, appuyait déjà l’élargissement des TUF « en vue d’éliminer la juridiction fragmentée en droit de la famille, d’accroître l’uniformité dans le règlement des problèmes en droit
de la famille et de favoriser l’intégration des services pour les familles en instance de séparation »3.

La complexité du droit de la famille

Le droit de la famille demeure complexe, notamment en raison de son application dans de multiples tribunaux. Le divorce et les questions patrimoniales relèvent des cours supérieures, alors que la protection de l’enfance et de nombreux différends familiaux sont traités par les tribunaux provinciaux de la famille. Cette structure à paliers multiples entraîne souvent de la confusion quant à la compétence, ainsi que des coûts accrus et des processus parallèles. Des causes peuvent être introduites au mauvais tribunal, ou des questions déjà tranchées dans un forum peuvent être indûment soulevées dans un autre. Il en résulte pour les familles la nécessité de naviguer à travers plus d’un système judiciaire, difficulté exacerbée lorsque des allégations criminelles ou des enjeux d’immigration s’ajoutent au dossier.

La prévalence de la violence intime

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière des données préoccupantes : 44 % des femmes — soit environ 6,2 millions de personnes — subiront de la violence intime au cours de leur vie4 Des modifications à la Loi sur le divorce 5 ont été adoptées, incitant les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, à guider juristes et parents vers une meilleure prise en compte de la violence familiale et des enjeux de sécurité dans les plans parentaux, tout en reconnaissant les difficultés liées à la preuve dans ces dossiers6.

L’insécurité croissante en matière de revenu et de logement contribue également à l’instabilité familiale et à un risque accru de violence. La structure spécialisée des TUF facilite l’accès aux services de soutien pour les familles en transition et pour celles nécessitant des mesures de protection. La présence de juges spécialisés au sein des TUF est indispensable pour assurer une réponse judiciaire adaptée à ces réalités variées et complexes.

Des arriérés dans le système judiciaire

La nomination davantage de juges de cours supérieures aux TUF est nécessaire pour donner suite aux recommandations de longue date de divers organismes nationaux œuvrant auprès des familles7. La difficulté et le volume des affaires civiles, familiales et criminelles sont en hausse, exerçant une pression croissante sur les ressources judiciaires, pression amplifiée par les délais stricts applicables depuis l’arrêt R. c. Jordan8.

Selon Statistique Canada, les charges de travail en matière d’affaires civiles, familiales et criminelles continuent d’augmenter9. Pendant l’année 2022-2023, les tribunaux ont traité 768 615 dossiers civils en cours (+ 3 %) et 252 516 dossiers en droit de la famille (+ 2,7 %, dont près de la moitié étaient de nouvelles affaires déposées). Les affaires criminelles ont connu une hausse de 4,2 % en 2023-2024. Ces tendances, conjuguées aux délais prescrits par l’arrêt Jordan, exercent une pression sans précédent sur les tribunaux partout au Canada. Ses conséquences sont graves. En 2022-2023, une affaire d’agression sexuelle sur sept a été suspendue ou retirée pour cause de dépassement des délais susmentionnés10.

Cette demande en croissance met en lumière le pressant besoin d’attribuer les affaires du droit de la famille à une instance spécialisée. Les TUF permettent de soustraire les litiges en droit de la famille aux tribunaux supérieurs et provinciaux généralistes, libérant ainsi du temps d’audience pour les affaires civiles et criminelles.

Les avantages des TUF

Les TUF se distinguent par leurs procédures adaptées et par l’expertise spécialisée de leurs juges en droit de la famille11. Ils sont conçus pour répondre aux besoins particuliers des justiciables en priorisant les modes de règlement des différends, la résolution hâtive des dossiers et la réduction de la confusion découlant du système actuel fragmenté. Leur atout principal réside dans l’existence d’un seul tribunal offrant une gamme complète de services fondés sur les lois en matière de droit de la famille, favorisant ainsi des résultats plus prévisibles et une confiance accrue dans le processus. Les TUF reconnaissent également la diversité des réalités familiales, notamment celles des justiciables qui se représentent eux-mêmes12 ou confrontés à des obstacles linguistiques et culturels. Ils contribuent à la protection des droits des enfants, dont celui de participer aux décisions qui concernent leurs soins13. Les caractéristiques propres aux TUF méritent d’être soulignées et soutenues14.

En somme, les sections de l’ABC estiment que l’augmentation du nombre de juges assignés aux TUF, conformément au projet de loi C-15, constitue une étape cruciale pour améliorer l’accès des familles à la justice, simplifier les processus en droit de la famille et réduire les délais en matière civile et criminelle. La création de nouveaux TUF permettra un règlement plus efficace des dossiers, qu’ils soient familiaux ou non. Nous accueillons favorablement l’engagement gouvernemental, tel que reflété dans le budget, visant à renforcer la diversité et la parité hommes-femmes dans les nominations judiciaires fédérales, conformément à notre récente soumission à la Commission d’examen de la rémunération des juges. Plus largement, nous saluons la reconnaissance par le gouvernement du rôle essentiel des TUF dans l’administration de la justice et dans le maintien de la confiance du public envers les institutions judiciaires. Les modifications proposées à la Loi sur les juges dans le projet de loi C-15 représentent une première étape importante pour remédier au sous-financement chronique du système de justice et pour placer les familles et les enfants au cœur des priorités judiciaires.

Nous espérons que ces observations vous seront utiles. Les sections de l’ABC demeurent disponibles pour offrir tout complément d’information ou soutien au besoin.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération respectueuse.

(lettre originale signée par Yasmin Khaliq au nom de Tracy C. Brown et Roselle P. Wu)

Tracy C. Brown
Présidente, Section du droit de la famille

Roselle P. Wu
Présidente, Sous-comité des questions judiciaires

Fin de notes

 

1 La Loi sur les juges, L.R.C., 1985, ch. J-1, se lit, à l’alinéa 24(4), « Afin de favoriser la constitution de tribunaux provinciaux de la famille, il peut être versé, à quelque moment que ce soit, un maximum de cinquante-huit autres traitements aux juges nommés aux tribunaux visés à l’alinéa (3)b) » alors que le la Section 30, paragraphe 501(4) de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2025 propose le libellé suivant : « Afin de favoriser la constitution de tribunaux provinciaux de la famille, il peut être versé, à quelque moment que ce soit, un maximum de soixante-six autres traitements aux juges nommés aux tribunaux visés à l’alinéa (3)b) ».

2 Lettre au ministre de la Justice, « Unified Family Courts » (disponible uniquement en anglais), 25 janvier 2023; lettre à la ministre de la Justice, « Unified family courts will increase access to justice for everyone » (disponible uniquement en anglais), 11 janvier 2018; lettre à la ministre des Finances, « Prebudget Consultation 2024 », (disponible uniquement en anglais), 12 novembre 2024; « Unified family court, funding, and changes to Legal Professions Act among CBABC proposals to BC », (disponible uniquement en anglais), 21 janvier 2025.

3 Résolution 05-09-A de l’ABC, « Modifications à la Loi sur les juges — Rémunération des juges et tribunaux unifiés de la famille », 2005.

4 Rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, La pandémie de l’ombre : mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes. Rapport sénatorial du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 43e législature, 2e session, avril 2021.

5 L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.) : Ce projet de loi a reçu la sanction royale le 21 juin 2019 et est entré en vigueur le 1er mars 2021; voir gouvernement du Canada, Modifications à la Loi sur le divorce expliquées, 2 décembre 2024.

6 Voir, à titre d’exemple, Barendregt c. Grebliunas 2022 CSC 22.

7 Rapport final du Groupe de travail sur le droit de la famille du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale, « Des changements concrets en matière de droit de la famille : Au-delà des sages paroles », avril 2013; La Société des plaideurs, « Unified Family Courts: The Advocates' Society Calls for the Expansion of the Unified Family Court across Canada »(disponible uniquement en anglais), 2025.

8 R c. Jordan, 2016 CSC 27.

10 Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, « Repenser la justice pour les survivant·e·s de violence sexuelle – l’arrêt Jordan », 19 novembre 2025.

11 Ministère de la Justice du Canada, « Tribunaux unifiés de la famille, Évaluation sommative » 12 mai 2022.

12 Environ 58 % des parties impliquées dans les causes de droit de la famille se représentent elles-mêmes devant les tribunaux; Lyndsay Ciavaglia Burns, Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, « Profil des causes de droit de la famille au Canada, 2019-2020 », 28 juin 2021.

13 Tel qu’établi dans les lois sur la famille, y compris la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.), sous alinéa 16(3)e).

14 Caractéristiques des TUF :

  1. Un TUF offre un point d’entrée unique pour les causes en droit de la famille, ce qui :
    1. réduit la complexité pour les justiciables, notamment ceux et celles qui se représentent eux-mêmes;
    2. élimine les doublons administratifs entre les divers échelons des cours;
    3. simplifie l’accès aux services liés aux tribunaux, comme la médiation, les visites supervisées et les programmes d’aide aux victimes.
  2. Un TUF permet la gestion des affaires civiles, de protection de l’enfance et d’exécution des pensions alimentaires, ce qui :
    1. réduit considérablement le nombre de comparutions devant les tribunaux grâce à des taux de résolution plus élevés, une évaluation précoce et cohérente, des contrôles de suivi et une gestion structurée des points de décision, réduisant ainsi le temps requis pour les conférences, les requêtes et les procès;
    2. permet à des juges spécialisés d’appliquer des protocoles civils et de protection de l’enfance dès le début d’affaires très conflictuelles, garantissant ainsi le respect des droits des enfants et l’adoption d’approches qui tiennent compte des traumatismes;
    3. favorise le règlement de différends par des conférences de résolution spécialisées dirigées par des juges et par la médiation ou la conciliation extrajudiciaire;
    4. Permet à des juges spécialisés de répondre aux besoins en matière de sécurité et de finances par des ordonnances de protection et de soutien, réduisant ainsi le recours aux demandes d’engagement de ne pas troubler l’ordre public devant les tribunaux pénaux et à l’aide gouvernementale provisoire;
    5. Permet de retirer les causes en droit de la famille des rôles habituels des cours supérieures et des cours provinciales, ce qui, d’après les données de Statistique Canada, devait raisonnablement réduire les pressions sur la capacité et accélérer le traitement des dossiers.
  3. Un TUF adapté à une communauté particulière pourrait :
    1. être conçu comme un modèle de tribunal intégré à la communauté et sensible aux différences culturelles qui protège mieux les victimes de violence intime;
    2. offrir des services coordonnés qui réduisent les cloisonnements et la complexité pour les familles et les enfants en transition, notamment :
      1. des programmes d’information et d’éducation parentale.
      2. l’exécution des obligations alimentaires : responsabilisation et accès améliorés.
      3. des voies d’orientation vers des programmes de counseling et de parentalité proposés par des partenaires communautaires.
    3. intégrer des technologies améliorées, réduisant ainsi la nécessité de salles d’audience physiques.