Alléger-la-situation

07 septembre 2022

Chère Advy,

J’aimerais avoir de vos conseils sur la façon de soutenir mes clients et mes témoins à toutes les étapes du processus judiciaire en ce qui a trait à leur bien-être. Avez-vous des suggestions pour que je puisse les aider à gérer leur stress et leur anxiété? Je lis de plus en plus d’histoires sur les personnes que le processus traumatise à nouveau et, bien que je n’aie pas beaucoup de temps pour les préparer, j’aimerais connaître les méthodes que vous suggérez pour les aider à passer à travers cette expérience.

Sincères salutations,
Alléger-la-situation


Cher Alléger-la-situation,

Félicitations de prendre en considération le bien-être de vos clients et témoins dans le processus judiciaire.

Ce n’est pas seulement louable parce que vous démontrez être une personne attentionnée. Même d’un point de vue purement intéressé, il est sage de garder à l’esprit que ces gens dont dépend votre cause sont eux-mêmes des êtres humains qui vivent souvent l’une des expériences les plus stressantes de leur vie. Ce stress peut se traduire par des comparutions manquées devant un tribunal, des oublis, des trous de mémoire, des emportements défavorables et d’autres éléments qui peuvent marquer la différence entre le succès et l’échec lors d’un procès. Maintenant, j’ai le sentiment que vous posez cette question par souci des besoins des témoins et des clients. Je ne mentionne pas ces préoccupations stratégiques seulement pour votre bien, mais parce que vous pourriez avoir à justifier les raisons pour lesquelles vous traiter des témoins avec tant d’humanité à des collègues qui ne sont peut-être pas aussi attentionnés que vous.

Chaque personne est différente

Je vais désigner les témoins et les clients collectivement comme des « témoins ». La partie la plus éprouvante d’une participation à un procès est généralement celle de fournir des preuves. Ainsi, lorsqu’il est question de gérer un traumatisme, c’est le rôle de témoin qui importe le plus. Il y a quelques exceptions à cela et je m’y attarderai ci-dessous.

Le stress qui vient avec un procès touche les personnes qui y participent de diverses façons. Chaque personne qui s’approche de la barre des témoins est non seulement unique, mais les différents rôles qu’elle peut jouer dans la cause en question exercent une influence sur l’expérience vécue au cours du procès. Quelqu’un qui comparaît et risque la perte de la garde d’un enfant, un possible emprisonnement ou même la perte d’une somme d’argent importante vit habituellement une expérience très différente d’une personne pour qui le résultat a de moindres conséquences.

Vous avez raison de souligner que beaucoup de personnes qui ont été traumatisées peuvent l’être à nouveau en raison de ce qu’elles vivent dans une salle d’audience. Si vous avez déjà passé un certain montant de temps dans une salle d’audience, vous avez probablement remarqué que vous avez souvent tort lorsque vous tentez de prédire les témoins qui seront les plus gravement touchés par l’expérience devant le tribunal et ceux qui seront les plus résilients. Les personnes qui allaient selon vous bien se débrouiller s’écroulent parfois totalement, alors que celles que vous croyiez fragiles vous surprennent en gérant parfaitement bien la situation. Votre diagnostic approximatif de la résilience du témoin est souvent erroné. Se souvenir de cette leçon d’humilité peut être très utile pour éviter d’être pris de surprise dans un procès.

Votre témoin est l’expert

La meilleure source d’information sur la façon dont vos témoins réagiront face au stress que génère un procès est vos témoins eux-mêmes. Parlez-leur franchement et ouvertement de ce à quoi ressemblera l’expérience. Si c’est pratique, encouragez-les à regarder d’autres instances pour qu’ils se fassent une idée de ce qui se passe réellement dans une vraie salle d’audience.

Malgré l’importance de parler franchement du stress, il est également essentiel que vous puissiez vous occuper de la délicate tâche d’expliquer que les processus juridiques ne se déroulent habituellement pas comme nous le souhaitons. La compréhension des faits par un client peut bien être contredite par d’autres éléments de preuve et une constatation de fait négative est toujours possible. Les juges et les autres personnes chargées de prendre des décisions juridiques ne sont pas des gens qui voient tout et savent tout. Ce sont des êtres humains qui doivent travailler avec des preuves imparfaites pour comprendre ce qui s’est passé. Cela peut vous sembler évident, mais c’est loin d’être évident pour toute personne qui n’est pas un juriste. Être surpris que la cour, le tribunal, la commission ou tout autre organisme d’établissement des faits ne voie pas les choses de la même façon que vous peut être incroyablement traumatisant.

« Brisez la vitre en cas d’urgence »

Vous devriez également parler à vos témoins de ce que vous faites vous-même pour assurer votre bien-être lorsque vous prenez part à un procès. Vos solutions personnelles pour gérer le stress ne s’appliquent peut-être pas bien à la situation du témoin, mais ce n’est pas l’objectif de cet exercice. L’important est de lui faire comprendre qu’il est acceptable de ne pas se sentir à l’aise, et de développer une stratégie pour vous aider si vous ressentez ce malaise.

Il y a parfois dans les bâtiments des compartiments avec du matériel de sécurité en cas d’incendie. Le message « Brisez la vitre en cas d’urgence » est écrit en caractères rouges gras sur ces compartiments. Quelqu’un a pris le temps de comprendre ce dont une personne aurait besoin s’il y avait un incendie, puis de mettre ces choses dans une boîte vitrée sur un mur pour qu’il soit facile d’y avoir accès au moment opportun. Vous n’avez pas à chercher un boyau ou un objet pour briser une fenêtre pour vous échapper en cas d’incendie. Tout est là pour vous. La planification de ce que vous (et, par ricochet, vos témoins) ferez si l’équivalent psychologique d’un incendie violent se déclare correspond au contenu de cette boîte d’urgence. Soyez le meilleur ami possible de la version stressée de la personne que vous pourriez être dans un avenir proche. Voici la partie vraiment positive de cela : si vous mettez au point un plan de secours, vous aurez l’impression d’être en contrôle de la situation, même dans les pires cas. Ce sentiment de contrôle à lui seul vous aidera à vous en sortir lorsque de mauvaises choses se produiront. Vous pourrez littéralement vous calmer en sachant que vous aviez prévu cette éventualité.

Je parle ici de faire cela pour vous-même, ce qui peut sembler peu pertinent compte tenu de votre question. Comme je l’ai dit, si vous élaborez de façon proactive un plan de secours pour vous-même, cela aidera le témoin à en faire de même. Comme ils disent dans le milieu du cinéma, il faut montrer l’histoire, pas la raconter. Si votre témoin vous voit planifier avec calme ce que vous ferez si les choses tournent mal, il se sentira habilité et encouragé à en faire de même.

Prise de précautions supplémentaires

Si vous savez qu’un témoin a un diagnostic établi en matière de santé mentale, vous devez être conscient de ses besoins particuliers. Puisque la maladie mentale est encore extrêmement stigmatisée dans notre société, vous devez trouver le moyen d’entamer une conversation sur ce sujet avec respect et discernement. Le témoin peut avoir de bonnes raisons de ne pas vouloir partager un diagnostic avec vous. Vous devez non seulement faire comprendre au témoin que vous ne le traiterez pas comme un être humain qui vaut moins qu’une personne n’ayant reçu aucun diagnostic de cette nature, mais vous devez aussi joindre le geste à la parole.

L’un des éléments les plus insidieux de la stigmatisation sociale entourant la maladie mentale est la croyance omniprésente que les personnes atteintes d’une maladie mentale diagnostiquée soient moins crédibles ou moins fiables. Prêtez attention à ce que vous dites à votre témoin pendant et après la discussion à ce sujet. Évitez de lui donner l’impression que vous ne pouvez plus lui faire confiance en raison de ce que vous savez. D’ailleurs, des recherches convaincantes suggèrent que les personnes avec certains types de problèmes de santé mentale sont des témoins plus fiables, et pas le contraire. En particulier, la dépression est souvent associée à une compréhension accrue de la réalité, et non à une perception entravée.

Travaillez avec vos témoins et, s’ils le souhaitent, faites participer leurs thérapeutes ou leurs proches aidants à l’élaboration d’une stratégie avant le début des audiences pour atténuer les conséquences du processus. Certains troubles de santé mentale sont diurnes, c’est-à-dire que les symptômes changent au cours de la journée. Il peut y avoir des moments de la journée où le témoin est en meilleure santé ou le témoin peut devoir prendre des médicaments à des moments précis de la journée. Vous devez mettre au point un plan afin de vous assurer que cet horaire n’est pas bouleversé par l’heure prévue de l’audience. Les symptômes de certains problèmes, comme la schizophrénie, et les effets secondaires de certains médicaments peuvent ressembler à ce que nous voyons généralement comme des indicateurs de malhonnêteté, même lorsque le témoin est tout à fait honnête. Concevez une stratégie avec votre témoin afin que vous puissiez présenter leur témoignage au meilleur moment de la journée et dans les meilleures conditions possibles. Cela l’aidera non seulement à offrir un meilleur témoignage, mais il aura aussi une plus grande probabilité de passer à travers le procès sans subir de préjudice.

Il est parfois difficile de prendre en compte ces considérations. Rappelez-vous qu’un problème de santé mentale n’est pas quelque chose de honteux. Il s’agit simplement d’un élément à prendre en compte dans votre travail avec le témoin. Si le témoin était en fauteuil roulant, vous ne détourneriez pas le regard en agissant comme si vous ne l’aviez pas remarqué. Vous veilleriez à ce qu’il puisse se rendre à la barre des témoins pour témoigner, puis en ressortir lorsqu’il aurait terminé. C’est la même chose avec la santé mentale.

Encore une fois, rappelez-vous que même si vous comprenez bien ce qu’est la santé mentale et que vous en êtes un champion, il est probable que votre témoin ait vécu des expériences où le dévoilement d’un diagnostic a mené à un rejet et à un préjudice, et non à une aide. Il vaut la peine d’essayer de savoir si votre témoin a une maladie qui requiert des soins particuliers parce que la possibilité de préjudice est encore plus aiguë qu’avec d’autres témoins. Cependant, vous devez aussi vous assurer que les efforts que vous déployez pour vous enquérir de sa situation ne le traumatisent pas. Il n’y a pas de solution facile et vous devrez faire preuve de jugement et de professionnalisme pour trouver cet équilibre. Si cet équilibre est difficile à trouver, essayez d’obtenir des conseils professionnels d’un psychologue ou d’un travailleur social. Malheureusement, la plupart des codes de déontologie des juristes canadiens n’exigent pas que ceux-ci s’assurent de ne pas porter préjudice aux témoins. Cependant, il est plutôt injustifiable de causer un préjudice psychologique ou émotionnel durable à un témoin pour gagner une cause.

La réalité de la « résilience »

Nous sous-estimons souvent la mesure dans laquelle ce que nous appelons la résilience dépend du type de soutien que nous obtenons d’autrui. La résilience est moins une caractéristique personnelle et dépend davantage du réseau de soutien auquel une personne a accès pour passer à travers des événements traumatisants. L’isolement social est l’un des effets les plus malheureux de la stigmatisation associée à la maladie mentale. Si votre témoin a vécu un traumatisme, il risque également de s’être brouillé avec des membres de sa famille et avec des amis qui auraient pu lui apporter du soutien. Prêtez attention aux éléments sur lesquels votre témoin peut compter et apportez-lui l’aide que vous pouvez pour renforcer cet appui.

Je vous encourage à jeter un coup à l’épisode de la série « L’heure du bien-être » sur la prise en compte des traumatismes dans la pratique, disponible sur le site Web de l’ABC.

La chose la plus imprévisible que nous ayons jamais rencontrée dans cet univers jusqu’à présent est la matière grise entre nos deux oreilles. Prédire comment un procès aura une incidence sur l’état mental et émotionnel d’une personne est loin d’être simple. Merci de prêter attention aux besoins de vos clients et de vos témoins. Espérons qu’il y a d’autres juristes attentionnés comme vous.

Prenez bien soin de vous.
Advy