Ras-le-bol-des-cachotteries

11 janvier 2024

Chère Advy,

Que pensez-vous du fait de recourir à des journées de santé mentale? Il y a des jours où je me réveille et je me sens accablé par l’anxiété et la pression qui m’attend au travail. Bien que ces journées soient heureusement peu nombreuses et peu fréquentes, j’ai l’habitude de les prendre comme des « congés de maladie », affirmant à mon employeur être terrassé par un petit microbe d’une journée. Je crains que, si je dis la vraie raison, soit le fait que je ressente trop d’anxiété pour aller travailler, cela nuise dans une certaine mesure à ma carrière. Je sais que si je publiais cette question dans des médias sociaux, la réponse évidente serait que, évidemment, vous pouvez prendre une journée de santé mentale, que vos congés de maladie ne devraient pas être remis en question, mais nous savons tous que notre profession a une culture différente. Nous sommes formés pour ne pas montrer d’émotions et nous hésitons à discuter de santé mentale en général. Peut-être que je me trompe ou qu’il ne vaut pas la peine d’établir une distinction. J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

Cordialement,
Ras-le-bol-des-cachotteries


Cher Ras-le-bol-des-cachotteries,

Je répondrai d’abord à la partie facile. Les gens devraient-ils être en mesure de prendre des congés de maladie quand ils en ont besoin, qu’ils aient un problème de santé physique ou mentale? Je suis d’accord avec ce que vous dites concernant la réaction potentielle dans des médias sociaux : bien sûr, vous devriez pouvoir le faire.

Abordons maintenant les aspects plus difficiles de la question. Vous craignez que, si vous confiez à votre employeur que l’anxiété que vous ressentez, et non la grippe qui vous cloue au lit, est la raison pour laquelle vous prenez une journée de maladie, cela entraîne des conséquences négatives sur votre carrière. J’aimerais pouvoir répondre par la négative à cette affirmation, tout en demandant quel genre d’employeur retiendrait contre vous le fait que vous avez un cerveau qui a parfois besoin de soins et d’entretien… Cependant, nous savons tous que dans le monde réel, il y a toutes sortes de personnes, aussi bien des employeurs que des collègues, qui considéreraient la reconnaissance de l’anxiété (de la dépression ou de tout autre problème psychologique) comme un signe de faiblesse qui doit être punie ou exploitée. Je mentirais si je soutenais le contraire.

Prenons du recul et abordons cela sous un angle différent pour un moment. Si nous stipulons que votre patron limiterait votre carrière parce que vous révélez souffrir d’anxiété, est-ce vraiment un endroit qui mérite que vous y consacriez votre temps, vos efforts et vos compétences? Je sais bien que ce n’est pas comme si vous pouviez quitter votre emploi demain et avoir dix autres offres d’emploi, mais je peux presque vous garantir que vous avez beaucoup plus d’influence dans votre relation de travail et plus de possibilités d’emploi que vous le croyez. Les patrons minables sont légion dans le monde et permettez-moi de vous dire qu’un patron qui punit votre anxiété en serait du nombre. Vous ne méritez pas un patron minable.

Il est possible que la façon dont vous utilisez les congés de maladie pour prendre soin de votre santé émotionnelle cause des problèmes dans votre milieu de travail. Lorsque des employés s’absentent fréquemment pour cause de maladie avec peu de préavis, cela peut mettre beaucoup de pression sur leurs collègues. Une équipe qui compte sur vous peut être vraiment déroutée par une absence soudaine. Que cette absence soit due à l’anxiété, ou qu’il s’agisse vraiment d’une grippe n’est pas la question. Je ne mentionne pas cela pour que vous ressentiez de la culpabilité, mais simplement pour vous donner une idée de certaines répercussions qui vont de pair avec l’utilisation de congés de maladie, quelle que soit la raison. En tant qu’enjeu professionnel, la raison de votre absence pour cause de maladie importe peu. Ce qui importe, c’est la façon dont vous le faites. Si vous vous préoccupez de la façon dont cela affecte votre rendement ou dont on vous perçoit au travail, il peut être utile d’en discuter franchement avec votre patron ou vos collègues. Encore une fois, cependant, la cause de l’utilisation de ces congés de maladie n’est pas pertinente, à moins qu’il s’agisse de la source d’un modèle de comportement problématique lié à votre absentéisme. Je n’ai pas l’impression que c’est le cas dans votre situation, mais il vaut la peine de garder cela à l’esprit.

Je voudrais revenir sur un point clé que vous n’avez peut-être même pas remarqué dans votre lettre. Vous dites que certains matins, vous êtes « accablé par l’anxiété et la pression qui vous attend au travail ». Vous devez parfois prendre un congé de maladie lorsque ces journées sont particulièrement intenses.

Les émotions que vous ressentez vous fournissent des informations très utiles. Votre réaction émotionnelle révèle qu’il y a quelque chose dans les conditions de votre milieu de travail qui doivent changer afin de vous permettre de donner le meilleur de vous-même.

On nous a enseigné que les émotions, ou le fait d’être émotionnel sont simplement une distraction par rapport au fait de faire preuve de logique et de rationalité. Comme vous le soulignez, les juristes, davantage que la plupart des gens, ont accepté l’idée que de montrer des émotions au travail est un problème qu’il faut éliminer dans notre quête de perfection rationnelle. C’est faux.

L’historien Yuval Hariri utilise une analogie utile pour expliquer à quel point l’école de pensée de M. Spock-Wannabe est erronée. Il écrit qu’un singe qui envisage de cueillir un fruit dans un arbre près de l’endroit où dort un lion utilise ses émotions pour calculer les risques relatifs. La peur du singe de finir dans le ventre du lion l’amène à effectuer un calcul de la probabilité que cet événement se produise. En même temps, poussé par la faim, le singe calcule la mesure dans laquelle il a besoin d’obtenir le fruit ou le risque qu’il meure de faim. Ni la peur ni la faim ne mènent à ce que nous considérons comme un calcul rationnel, mais elles peuvent toutes deux déterminer le poids relatif des risques beaucoup plus rapidement et souvent beaucoup plus précisément que si le singe – ou l’un de nos ancêtres humains d’ailleurs – prenait une pause et procédait calmement à l’analyse coûts-avantages. Vous ne voyez pas beaucoup de singes peser les choix risques-avantages sur une feuille de calcul, mais ils se débrouillent cependant assez bien dans ce domaine.

Pourquoi est-ce que je continue à parler de singes mourant d’envie de manger une banane? La survie humaine dépend la plupart du temps de l’efficience et de l’efficacité (habituelle) de nos pensées transitoires sous-rationnelles. Quand nous entendons des pneus crisser, notre tête se tourne vers la source du bruit avant même que nous réalisions consciemment ce qui se passe. Nos paupières clignent pour protéger nos yeux de faisceaux de lumière aveuglants sans que nous y pensions, comme le confirmerait tout photographe qui tente de prendre une série de belles photos pour l’album d’une école.

Votre réaction émotionnelle à ce qui se passe au travail est révélatrice de quelque chose qui mérite de l’attention. Maintenant, à l’instar de beaucoup d’informations que nous obtenons de nos calculatrices émotionnelles, il peut être assez difficile de comprendre ce que le sentiment d’anxiété peut vous révéler exactement. Heureusement pour vous, des conseillers et conseillères qualifiés de votre programme local d’aide aux juristes sont à votre disposition. Ces programmes offrent du soutien psychologique gratuit et confidentiel. Vous n’avez pas à attendre qu’une crise se déclare pour y recourir. Les gens à qui vous parlerez peuvent vous aider à aborder les aspects de votre travail qui vous font ressentir de l’anxiété et vous amènent à prendre un congé de maladie. Ils peuvent vous aider à gérer les symptômes d’anxiété. Mieux encore, ces professionnels pourraient vous permettre de trouver des façons pour que votre employeur vous aide à modifier vos conditions de travail afin de vous éviter l’envie de prendre un congé de maladie. Avez-vous trop de dossiers? Y a-t-il des problèmes par rapport aux limites que peuvent franchir vos clients? Est-ce qu’un peu d’aide vous serait utile pour gérer des clients difficiles? Les objectifs de facturation sont-ils irréalistes? Ne vous méprenez pas, ces éléments sont liés à la bonne gestion aussi bien qu’à de bonnes conditions de travail. Votre employeur mérite de savoir comment il pourrait améliorer le fonctionnement de son cabinet et vous pouvez apporter votre contribution.

Vous remarquerez peut-être que j’ai assimilé l’émotion de l’anxiété à l’état psychologique de l’anxiété. Je l’ai fait parce que vous assimilez vous-même votre propre anxiété à l’utilisation d’une journée de santé mentale. Ces deux choses ne s’équivalent pas, mais la meilleure façon pour vous de savoir si l’anxiété que vous ressentez menace réellement votre santé mentale est – vous l’aurez deviné – de travailler individuellement avec un conseiller ou une conseillère professionnel. Aucune chronique de conseils, aucun questionnaire en ligne, aucune application de téléphone et aucun membre de votre famille ou ami ne peut efficacement aller au fond de ce problème avec vous. Si une bosse apparaissait sur votre peau, vous iriez probablement voir un dermatologue avant de conclure qu’il s’agit d’une tumeur cancéreuse ou d’opter pour une chirurgie. De même, il est important d’obtenir une évaluation professionnelle pour déterminer les types d’interventions dont vous ou votre travail avez besoin pour assurer votre bonne santé mentale.

Si vous avez besoin d’accommodements au travail – et encore une fois un professionnel est beaucoup plus apte à vous aider à comprendre cela que vous-même –, le temps est peut-être venu de révéler que les raisons pour lesquelles vous vous absentez parfois ne sont pas « un microbe qui vous affecte pendant une journée », mais plutôt de l’anxiété. Un milieu de travail qui ne sait pas en quoi il vous nuit ne peut pas apporter des changements à vos conditions de travail pour atténuer ces effets. Cela ne vous aiderait pas beaucoup si, en réponse à la fréquence de vos infections grippales de 24 heures, des stations de désinfectants pour les mains étaient installées un peu partout à votre bureau. Je sais que je me lance dans une prédiction risquée en vous prodiguant des conseils médicaux, mais je peux en toute confiance vous dire que le désinfectant pour les mains n’est pas très utile pour résoudre les symptômes d’anxiété. En dissimulant la vérité sur ce qui vous empêche de travailler, vous privez votre employeur des renseignements dont il a besoin pour répondre à vos besoins. Il peut être gênant d’aborder le sujet et, comme mentionné ci-dessus, il se peut que cela entraîne des conséquences négatives dans votre milieu de travail, mais selon toute probabilité, ce ne sera pas aussi mauvais que vous l’imaginez. Un symptôme commun de l’anxiété, qui est en fait un symptôme assez commun du simple fait d’être humain, est d’imaginer un avenir qui est pire que ce qu’il est.

Vous mentionnez également que dans notre profession, nous, juristes, ne passons pas beaucoup de temps à parler d’émotions ou de santé mentale. Vous avez raison. Savez-vous ce qui pourrait changer cette tendance? Que les juristes parlent de santé mentale. La culture de notre profession est constituée des habitudes des nombreuses personnes qui la composent. La seule façon de changer cette culture est de changer notre propre comportement. Votre comportement est la seule chose que vous contrôlez. Veuillez saisir toutes les occasions qui se présentent à vous de parler le plus ouvertement possible de la façon dont vous prenez soin de votre santé mentale. Aussi dur que cela puisse être, c’est la seule façon de changer quoi que ce soit.

Prenez bien soin de vous.
Advy