Prêcher-par-l’exemple

05 octobre 2023

Chère Advy,

Mon lieu de travail prétend mettre la santé mentale au premier plan, mais, dans l’ensemble, il semble que ce ne soit que de belles paroles ou qu’il s’agisse purement d’une tactique de recrutement. Avez-vous des suggestions sur la meilleure façon de faire comprendre aux hauts dirigeants à quel point il est important de prendre la santé mentale de leurs employés au sérieux?

Sincèrement,
Prêcher-par-l’exemple


Bonjour Prêcher-par-l’exemple,

Il y a quelques choses que je dois dire avant de répondre à votre question. La première est que votre question constitue essentiellement LA question qui sera traitée à la Conférence de l’ABC sur le bien-être, qui aura lieu le 7 novembre 2023. Envisagez d’y assister ou peut-être de visionner certains enregistrements après la tenue de l’événement pour obtenir plus d’informations.

Le point suivant est que la compréhension du problème par autrui est hors de votre contrôle. Je comprends. Nous sommes tous des juristes ici. Est-ce que le fait d’amener des gens à changer d’avis n’est pas un peu ce que nous faisons? Bien sûr! D’ailleurs, les compétences de représentation que vous utilisez tous les jours vont vous être utiles. Cependant, à l’instar de ce que vous faites lorsque vous vous présentez devant un tribunal, vous ne pouvez pas mesurer votre succès ou votre échec en fonction de ce que quelqu’un d’autre décide. Vous gagnez certains arguments, mais vous en perdez aussi. Un juge peut parfois se tromper, quelle que soit la gravité de l’affaire que vous défendez. Tout ce que vous pouvez vraiment contrôler, c’est ce que vous faites. Ainsi, si vous tentez de persuader ces supérieurs de prendre cette question au sérieux, assurez-vous d’accomplir du bon travail pour les convaincre. Si vous abordez cette question avec l’impression que, s’ils ne changent pas, vous avez échoué, vous ouvrez la voie à une déception et peut-être même à l’épuisement professionnel.

Continuons avec cette analogie du travail de représentation dans un procès, car cela s’applique assez bien au cas présent. Voici dix façons de mettre cette analogie en application dans la situation actuelle :

  1. Établissez clairement vos objectifs dès le départ – Pourriez-vous organiser votre cause, rechercher des preuves ou effectuer des recherches en droit de la même façon, que vous cherchiez à obtenir un acquittement sur une accusation de voies de fait ou que vous travailliez sur une injonction interlocutoire? J’espère que votre réponse est non. L’objectif d’une affaire détermine tout ce que vous faites. L’objectif de votre présentation au cabinet pour qu’il améliore sa culture orientera aussi tout ce que vous faites. La charge de travail est-elle trop élevée et doit-elle être ajustée à la baisse? Les stagiaires et les jeunes juristes sont-ils jetés aux lions lorsque des clients sont mécontents du service reçu, alors qu’ils ont plutôt besoin de soutien? Les résultats précis que vous cherchez à changer peuvent être très variés. Réfléchissez au résultat que vous souhaitez obtenir et prenez-le en note. Planifiez tout ce que vous faites pour y parvenir et consultez cette note de temps à autre pour vous rappeler les domaines sur lesquels vous devez vous concentrer.
  2. Rassemblez des faits et des preuves – Vous devez vous préparer en ayant les faits et preuves qui soutiennent la cause que vous défendez. Vous dites que, dans l’ensemble, le cabinet semble manifester un intérêt de pure forme par rapport au fait qu’il affirme mettre la santé mentale au premier plan. Rassemblez les courriels, notes de service ou autres communications qui vous amènent à tirer cette conclusion. Si la preuve prend la forme de conversations verbales auxquelles vous avez participé, notez les dates et les personnes qui ont fait des déclarations le plus précisément possible. Évidemment, faites preuve de respect envers la vie privée d’autrui. Comme vous le feriez lors de la préparation d’une cause, recueillez les éléments de preuve et demandez-vous si vous devez les censurer ou simplement ne pas les partager. Comme dans le cas de certaines causes, le tableau de la situation que vous brossez ne repose peut-être pas sur des preuves irréfutables, mais plutôt sur la somme de plusieurs éléments plus petits qui, individuellement, semblent triviaux, mais qui, combinés, représentent une menace sérieuse au bien-être. Rassemblez tout cela de la façon la plus cohérente qui soit.
  3. Clarifiez le « droit » – Dans ce contexte, les déclarations publiques que le cabinet fait au sujet de ses priorités et de sa culture constituent le « droit ». Je suppose ici que le comportement qui vous préoccupe au sein du cabinet ne va pas à l’encontre de l’éthique en soi ou n’est pas illégal. Si votre cabinet enfreint des lois sur la santé et la sécurité au travail ou des obligations éthiques, alors, oui, prenez-les également en compte. Cependant, si des questions d’éthique ou de sécurité sont en jeu, alors il n’est peut-être pas suffisant de persuader vos supérieurs de faire la bonne chose. Montrez clairement ce que sont exactement ces déclarations, reconnaissant qu’elles peuvent se trouver sur le site Web du cabinet. Certaines peuvent aussi être présentes dans le matériel de recrutement que vous avez reçu, d’autres peuvent être des promesses verbales faites au moment de votre embauche. Vous dites que le cabinet ne respecte pas les normes qu’elle prétend établir. Montrez des façons précises dont son comportement contrevient à ces normes.
  4. Connaissez votre tribune et votre décisionnaire – Cela ne vous aidera pas à faire une excellente présentation à quelqu’un qui ne peut rien faire pour résoudre le problème. Soyez au courant de la personne au sein de votre cabinet que vous devez persuader pour changer la culture de l’entreprise. Vous devriez également en apprendre le plus possible sur la façon de penser de cette personne ou de ce groupe de personnes pour pouvoir adapter votre message le mieux possible. Le décisionnaire sera-t-il motivé par les coûts économiques que le manque d’attention au bien-être pourrait supposer pour le cabinet? Il existe de nombreuses ressources qui peuvent vous aider. Sera-t-il motivé par des histoires personnelles? Faire la bonne chose sera-t-il un bon facteur de motivation? Réfléchissez aux points qui trouveront le plus écho auprès de votre public.
  5. Demandez de l’aide là où vous le pouvez – Une compétence clé que les juristes peuvent acquérir est la connaissance de leurs propres limites. Vous ne pouvez probablement pas faire tout sans aide. Même si vous le pouvez, votre « cause » pourrait être plus solide si vous avez la contribution d’autres juristes partenaires qui peuvent examiner le problème sous divers angles auxquels vous ne pensez peut-être pas.

Au fait, le changement de la culture d’entreprise est vraiment un travail difficile et il peut s’agir d’une tâche ardue pour vous. Parmi les personnes aptes à vous apporter de l’aide dès le début figure un conseiller ou une conseillère, qui peut vous aider à aborder certains points difficiles. Vous pouvez trouver une liste des services de counseling gratuits offerts dans votre territoire de compétence sur le site Web ABC Bien-être de. N’attendez pas qu’une crise se produise. Votre conseiller ou conseillère est un membre essentiel de l’équipe dont vous avez besoin pour présenter cette affaire.

  1. Ayez conscience des faiblesses de votre cause – Comme vous le savez grâce au travail que vous accomplissez tous les jours, vous devez avoir une bonne compréhension des points faibles de votre dossier. Avec ou sans l’aide d’autres personnes, évaluez les types de contre-arguments que quelqu’un pourrait invoquer par rapport au point que vous tentez de soulever, et planifiez ce que vous ferez en réponse à ces contre-arguments. Par exemple, si le dirigeant de votre cabinet souligne la généreuse indemnité de congé annuel du manuel des avantages sociaux, soyez prêt à démontrer les raisons pour lesquelles le cabinet a pratiquement rendu impossible l’utilisation de cette indemnité.
  2. Lors de la présentation de votre cause, collaborez pleinement avec le décisionnaire – Un outil de persuasion sous-évalué, mais très puissant, nous vient du monde de la philosophie : « le principe de charité ». Il se peut que vous connaissiez davantage son image miroir, « Le sophisme de l’homme de paille ». Quand quelqu’un fait une déclaration, vous devriez interpréter cette déclaration de la manière la plus rationnelle possible, à moins qu’en interrogeant la personne qui fait la déclaration, vous établissiez qu’elle voulait dire quelque chose de plus irrationnel.

Laissez-moi vous donner un exemple. Un associé principal vous assigne une tâche à accomplir d’ici la fin de la semaine prochaine. Vous partez pour deux semaines de vacances demain. Vous pourriez interpréter ses directives comme suit :

« Je ne me soucie pas de vos vacances. Annulez vos plans et occupez-vous de cette tâche. »

« Je ne savais pas que vous aviez des vacances de prévues. Veuillez vous occuper de cette tâche à votre retour. »

Si vous tentiez de faire valoir le caractère raisonnable de la demande de l’associé principal, vous feriez mieux de commencer par la prémisse selon laquelle l’associé ne savait pas que vous partiez en vacances ou qu’il avait oublié, et qu’il n’avait pas l’intention de perturber vos vacances. Si, après avoir posé des questions à l’associé sur ce qu’il voulait dire et lui avoir dit que vous partiez bientôt en vacances, vous vous rendez compte que la première hypothèse est la réalité, soit l’interprétation la plus mal pensante de sa demande, alors vous devrez peut-être vous adresser à d’autres dirigeants. Tant que vous n’avez pas  établi cela, votre argument pourrait tomber à plat parce que votre interprétation de sa demande était tout simplement erronée.

  1. Commencez par votre meilleur argument et terminez en force – Il est possible que vous trouviez beaucoup de choses à changer dans la culture de l’entreprise, et les raisons pour lesquelles des changements s’imposent. Les décisionnaires accordent invariablement la plus grande importance à la première et à la dernière chose que vous dites. Assurez-vous que votre public puisse facilement remarquer vos meilleurs arguments.
  2. Rappelez-vous que la persuasion est un jeu de patience – Vous présentez de nouvelles idées à quelqu’un et vous remettez en question les hypothèses de ce décisionnaire. Dans le monde réel, les gens ne fondent pas en larmes à la barre des témoins en admettant qu’ils mentent depuis le début. De la même manière, vos décisionnaires au sein du cabinet ne vont pas tomber à genoux et vous implorer votre pardon après votre brillant discours. Attendez-vous à du scepticisme, à des doutes et peut-être même à de l’hostilité, mais ne vous attendez surtout pas à des résultats instantanés. Il est possible qu’ils disent tout ce que vous considérez comme de mauvais arguments. Ce qu’ils disent à ce moment-là n’est pas particulièrement important si ce que vous tentez d’accomplir est d’obtenir un changement à long terme. Rappelez-vous également que, parfois, une bonne affaire doit être portée en appel si elle n’obtient pas une audience équitable en première instance.
  3. Concentrez-vous sur l’obtention de résultats concrets – Vous ne cherchez pas à obtenir des mots de réconfort. Ne perdez pas trop de temps à chercher des excuses. Vous recherchez un changement de comportement à long terme. Les dirigeants du cabinet peuvent commettre des erreurs ou ne pas tenir leurs promesses. Il y a de très bonnes chances qu’ils disent des choses qu’ils regretteront plus tard parce qu’ils ont été surpris. Ils sont humains après tout. Vous pouvez réagir à ces lacunes, mais si la tendance générale évolue dans la direction voulue, alors faites preuve de patience.

Il est très tentant pour les organisations de réduire le bien-être à une liste de contrôle et à quelques webinaires à l’intention du personnel. Il est bien que vous ayez remarqué les domaines où cela n’est pas suffisant pour que s’opère un vrai changement.

Prenez bien soin de vous,
Advy