Pression-Politique

01 décembre 2024

Chère Advy,

Mon amie s’est récemment jointe à un nouveau cabinet. Ce nouveau cabinet demande à tous les juristes de faire un don considérable à un parti politique précis, don qui leur est ensuite remboursé. Ils se sentent obligés de se plier à cette demande, ce qui constitue une source de stress importante. Comment leur proposeriez-vous de gérer la situation et leur stress?

Sincèrement,
Pression-Politique 


Bonjour PP,

Je ne peux m’empêcher de souligner qu’il y a de très bonnes chances que cette mesure soit illégale. Mais puisque je ne connais pas les détails du territoire de compétence dont il est question ou du palier de gouvernement pertinent (fédéral, provincial, possiblement municipal?), je ne peux me prononcer de façon catégorique. Il est aussi possible que cela enfreigne le Code de déontologie professionnelle régissant les juristes de ce cabinet. Le Code type de déontologie professionnelle stipule ce qui suit :

3.2-7 Le juriste ne doit jamais :

(a) faciliter ou favoriser sciemment la malhonnêteté, la fraude, le crime ou une conduite illégale;

(b) faire des choses, même par omission, dont il devrait savoir qu’elles facilitent ou favorisent la malhonnêteté, la fraude, le crime ou une conduite illégale;

(c) apprendre au client ou à d’autres comment violer la loi et éviter le châtiment.

Ces juristes peuvent mettre leur carrière en jeu même si le stratagème ne constitue pas une violation flagrante des lois régissant les dons politiques. Votre amie peut également avoir le devoir positif de signaler cela au barreau (consultez l’article 7.1-3 du Code type), de sorte qu’il lui faudrait en discuter avec un conseiller en exercice du droit.

Outre les objections juridiques et déontologiques mentionnées ci-dessus, la politique du cabinet consistant à insister que quelqu’un fasse un don à une cause ou à un parti politique auquel il est possible qu’il s’oppose est terrible. Au XXIe siècle, faire un don à un parti politique ou à une cause politique n’est pas non plus une affaire ponctuelle. Cela signifie recevoir des courriels, des textos et d’autres communications demandant plus de dons dans un avenir prévisible. À long terme, cela remet en cause le jugement du cabinet, de façon plus générale. S’il est prêt à contourner la loi et à contraindre ses juristes à adopter un comportement contraire à la déontologie, quelle autre demande pourrait-il leur faire à l’avenir? Si le cabinet est prêt à violer l’intégrité de votre amie dans une situation, il pourrait continuer de le faire.

Ce sont des questions juridiques et déontologiques pour lesquelles une chronique de conseils n’est pas bien outillée pour répondre. Comme mentionné, votre amie devrait parler à un conseiller et consulter le Code de conduite de son territoire de compétence, ou obtenir les conseils d’une personne ayant une expertise pertinente en loi électorale. En revanche, ce qui est dans les cordes d’une chronique de conseils, c’est le fait qu’en mettant potentiellement leur carrière en danger, le cabinet soumet ces juristes à un niveau de stress qui dépasse la norme.

Il serait facile pour quelqu’un d’étranger à la situation comme moi de conseiller aux juristes du cabinet de votre amie de simplement refuser de faire ce que la direction du cabinet demande. Je suppose que vous ne m’écririez pas si c’était aussi simple. Nous supposons ici que toutes les objections juridiques et déontologiques que votre amie peut soulever auprès de la direction ne vont nulle part et qu’elle doit ou se conformer à cette pratique ou chercher du travail ailleurs.

Que devrait faire votre amie?

Elle ne devrait pas traverser cette épreuve seule. Votre amie vous a déjà parlé pour obtenir du soutien extérieur et c’est une bonne première étape. Elle ferait aussi bien de demander de l’aide professionnelle pour faire face au stress associé à cela et, je suppose, à d’autres mauvaises décisions que prend le cabinet. Heureusement, ce soutien est gratuit et offert confidentiellement par le biais du programme d’aide aux juristes de votre province ou territoire. Votre amie peut aussi avoir accès à un régime d’aide aux employés par l’entremise de son lieu de travail, ce qui peut être une autre source de soutien. Même si elle ne ressent pas ce qu’elle croit être des symptômes de détresse psychologique, il n’est pas nécessaire d’attendre d’en arriver à ce point pour faire appel à un professionnel. Ce sont des services gratuits, et la plupart des représentants de ces programmes seront ravis d’aider votre amie pour empêcher que ce problème dégénère et mène à une crise.

Ce n’est pas pour rien que je mentionne le stress associé au fait de contraindre des juristes à faire des choses qu’ils jugent contraires à la déontologie ou, à tout le moins, qui sont incompatibles avec leurs valeurs. Votre amie éprouve une dissonance cognitive. « Pourquoi est-ce que je fais un don à une cause politique avec laquelle je ne suis pas d’accord? Je suis une juriste éthique, mais, ce faisant, je participe à ce qui peut être un stratagème contraire à la déontologie et possiblement illégal pour aider à déguiser les propres dons politiques de la direction du cabinet. » À long terme, cela peut être très nuisible et, encore une fois, il y a de bonnes raisons de croire que ce ne sera pas la dernière fois que le cabinet demandera à ses employés de faire une telle chose. Le fardeau émotionnel et l’incompatibilité des valeurs sont une source de stress cernée dans le rapport de la phase I de l’Étude nationale des déterminants de la santé psychologique des professionnels du droit au Canada (9). Ces facteurs et plusieurs autres peuvent mener à l’épuisement professionnel, à la dépression et à d’autres défis psychologiques. Si votre amie est curieuse de savoir à quoi cela peut mener si elle ne fait rien pour résoudre la situation, il y a beaucoup d’exemples décrits dans la phase II du rapport de la même étude.

Une fois que votre amie aura obtenu du soutien professionnel, elle devrait également développer son réseau de juristes à l’extérieur du cabinet. Les politiques comme celle que vous décrivez ne sont pas la norme dans la profession, bien qu’elles ne soient malheureusement pas rares. Parfois, la chose la plus importante dont vous avez besoin dans de telles situations est un son de cloche différent qui vous amène à vous demander si ce qui se passe à votre lieu de travail est normal. Bien sûr, votre amie devrait faire preuve d’une certaine discrétion avant de poser une question de ce genre à un parfait inconnu, mais le fait de pouvoir compter sur des mentors et même simplement des homologues de l’extérieur du cabinet peut être une bonne bouée de sauvetage lorsque vous vous demandez si vous êtes seule à ressentir le sentiment de dissonance cognitive décrit ci-dessus ou si cela montre l’existence d’un problème dans les décisions du cabinet. Vous pouvez aider votre amie en la présentant à des pairs d’autres cabinets et en l’encourageant à passer du temps avec eux. Elle peut aussi profiter d’une participation à des réunions de sections offertes par l’ABC, à la fois à l’échelle locale et nationale, ou à d’autres organisations qui offrent des occasions d’échanger avec différentes personnes. Dans le pire des cas, ces réseaux pourraient aider votre amie à trouver un autre endroit où travailler. D’ici là, ils peuvent l’aider à maintenir un sentiment de décence, sachant qu’elle n’est pas seule.

La préoccupation de votre amie donne également à penser qu’il y a un problème de culture plus important dans le cabinet. La direction est prête à imposer une méthode de type descendante pour obtenir ce que veut le dirigeant du cabinet – fournir un soutien financier à un parti politique qu’il appuie – et échapper à une restriction qui empêche le cabinet de verser directement des dons. Avec le temps, ce genre d’approche de gestion de cabinet et de juristes est plutôt toxique pour le milieu de travail. En supposant que la remise en question de cette politique n’est pas une option (ou qu’elle n’en est plus une, du moins), votre amie peut tenter de contribuer au changement de la culture globale du cabinet. Le but serait d’éviter que ce genre d’incident ne devienne la norme en milieu de travail. Vous pouvez en savoir plus sur la façon de changer la culture de votre cabinet dans une précédente chronique de Chère Advy.

Votre amie a plus de pouvoir pour changer la culture du bureau qu’elle, ou même vous, le croit probablement. Avec patience et persévérance, vous pouvez faire du cabinet un meilleur endroit où travailler.

Prenez bien soin de vous.
Advy