Direction-bureau

01 mars 2022

Chère Advy,

Je commence à penser au retour au bureau pour les employés de mon cabinet. Je travaille à la fois à distance et sur place depuis le début de la pandémie, ce qui a bien fonctionné pour moi, mais je sais que certains juristes et employés de soutien de mon cabinet ont une certaine inquiétude quant à un retour à temps plein. J’ai tendance à penser qu’il est sain de se réunir dans un espace pour collaborer, car cela favorise un bon esprit de corps, mais j’ai l’impression que ma façon de penser est probablement minoritaire. Devrions-nous envisager d’intégrer un modèle de travail hybride de façon permanente? Comment puis-je soutenir du mieux possible mes employés et mes collègues qui ressentent une certaine angoisse?

Sincères salutations, 
Direction-bureau


Cher Direction-bureau,

Je répondrai à vos questions dans l’ordre inverse. 

Comment soutenir du mieux possible vos employés et collègues qui ressentent une certaine angoisse?

Vous avez déjà franchi l’étape la plus importante : vous savez qu’il existe différents points de vue sur cette question. Reconnaître ce fait et tenir à soutenir vos collègues est essentiel.

Approfondissons un peu cette réflexion. La COVID-19 et le retour à un milieu de travail ne sont pas seulement des concepts abstraits. Il s’agit d’une réalité physique complexe. Ce qui se passe avec les réalités physiques complexes, c’est qu’elles exercent une incidence différente selon la personne. Quelqu’un qui est plus anxieux que vous par rapport au retour au bureau à temps plein ne ressent peut-être pas cette angoisse simplement parce qu’il est plus sensible aux risques. Il est possible qu’il ait un enfant non vacciné, un conjoint immunodéprimé ou un parent âgé vulnérable. Un de vos collègues a peut-être un conjoint qui craint l’effet de ce changement, et le fait de forcer son retour au bureau à temps plein met possiblement en péril sa relation intime. Deux juristes peuvent être en désaccord sur la question de savoir si la peine appropriée dans une affaire pénale est de deux mois ou de sept ans, mais si l’un des arguments soulevés est rejeté, la personne qui perd le débat ne va pas en prison. Dans votre milieu de travail, ces désaccords et ces points de vue divergents surgissent en partie parce que personne ne vivra ce changement de la même façon. Nous ne parlons pas simplement de divergences d’opinions dans le cas présent. Nous parlons de différentes conséquences du changement dans la vraie vie. Il est possible qu’un collègue qui se trouve du côté des « perdants » par rapport à un retour au bureau soit, par exemple, confronté à un conflit à la maison parce qu’il perd contact avec un parent ou avec un enfant malade. Lorsque vous communiquez avec vos collègues, gardez à l’esprit que leur vie et leur profil en tant que personne à risque diffèrent possiblement grandement des vôtres, souvent d’une manière à laquelle vous ne pouvez même pas songer.

Bien sûr, même si la divergence d’opinions se limite aux attitudes à l’égard du risque et n’a rien à voir avec d’autres circonstances, il est également important de faire preuve de respect. Nous, juristes, œuvrons dans le domaine de la divergence d’opinions, n’est-ce pas? À quelle fréquence êtes-vous témoin d’un conflit où une personne a totalement raison et l’autre a complètement tort? La plupart des affaires sur lesquels nous travaillons sont de bons exemples du danger d’agir de façon méprisante à l’égard du point d’autrui. Il y a généralement un argument de valeur de l’autre partie dont vous pouvez tirer une leçon.

Non, je ne vous accuse pas d’être méprisant. Vous avez pris le temps de poser la question, ce qui démontre que vous n’avez pas l’habitude de mépriser les préoccupations de vos collègues. En revanche, je crois que si vous êtes fatigué ou surmené, ou si vous avez une mauvaise journée, vous pourriez être tenté de rejeter du revers de la main les points de vue de vos collègues. Pour bien soutenir vos collègues à long terme, il est important que vous preniez soin de vous et que vous fassiez de votre mieux pour offrir le meilleur de vous-même à vos pairs. Dormez suffisamment, mangez bien, riez de bon cœur régulièrement, prenez de l’air frais et faites de l’exercice. Si vous parlez d’un ton sec à quelqu’un qui soulève ces questions quand vous n’êtes pas dans votre meilleure forme, faites preuve de compassion avec vous-même et donnez-vous une autre chance. Prenez rendez-vous avec un conseiller professionnel ou un mentor et mettez au point de façon proactive une stratégie pour vous aider à relever les défis qui vous attendent.

Le cabinet devrait-il envisager d’intégrer un modèle de travail hybride de façon permanente?

La réponse courte est oui.

La connaissance est un atout très précieux. En février 2020, saviez-vous comment organiser une visioconférence ou comparaître à distance devant un tribunal? À quel point votre cabinet a-t-il investi en argent et en formation dans la mise en place d’un réseau privé virtuel au cours des deux dernières années?

Une des choses que nous avons apprises en tant que groupe pendant la pandémie est que de nombreux aspects liés au travail dans un bureau sont plutôt négatifs. Nous devons nous déplacer. Nous buvons beaucoup de mauvais café. Nous nous faisons constamment interrompre. Nous avons des réunions improductives. Nous payons le loyer dans des bureaux onéreux du centre-ville. Les données recueillies depuis le début de la pandémie sur le travail à domicile suggèrent que la productivité des employés n’en a pas souffert et que, dans certains cas, elle s’est même améliorée. Dans un sondage réalisé au Royaume-Uni en juillet 2021, 55,2 % des répondants se disaient inquiets par rapport à leur retour au bureau. Pour expliquer la raison pour laquelle ils se méfiaient du retour au bureau, une minorité considérable (44 %) de répondants affirmait être plus productive à la maison. Il y a des données contradictoires sur la question de savoir si ces gains de productivité sont simplement perçus ou s’ils sont réels, mais des faits solides semblent prouver qu’ils sont bel et bien réels.

Vaut-il vraiment la peine de renoncer à tous ces gains en matière de connaissances, de qualité de vie et de productivité? En supposant que nous sommes chanceux et que nous ne vivons plus jamais une autre pandémie, le savoir organisationnel sur la façon d’exploiter un environnement de travail hybride est potentiellement précieux pour la prochaine crise que nous traverserons. Une grosse tempête, des troubles civils qui entraînent la fermeture du centre-ville ou des inondations comme celles qui ont eu lieu dans la vallée du bas Fraser en 2021 et à Calgary en 2013 pourraient tous rendre souhaitable un milieu de travail résilient.

Hormis ce problème, la réalité à laquelle sont confrontés les cabinets juridiques est qu’une grande partie de leurs travailleurs et employés potentiels ne souhaitent pas retourner au bureau, à tout le moins pas à temps plein. On a beaucoup parlé de la Grande Démission e et les travailleurs choisissent de quitter leur emploi plutôt que de rester dans des conditions qui ne sont pas optimales. Par le passé, de nombreux cabinets juridiques considéraient leurs juristes et leurs employés de soutien comme de la main-d’œuvre facilement remplaçable. Ils peuvent affirmer que leurs employés sont leur plus grand atout, mais dans la pratique, la culture qui règne dans les cabinets juridiques ressemble historiquement davantage à un épisode de Trône de Fer qu’à une séance sur la façon de se faire des amis et d’influencer les gens.

Y a-t-il eu des exceptions? Bien sûr. Il y a toujours eu une foule de personnes de notre profession qui se traitent admirablement bien les unes les autres. Cependant, si elle a déjà été une réalité, l’époque des juristes interchangeables est une histoire du passé. Dans un récent sondage mené à l’échelle de la planète, l’Association internationale du barreau a constaté que 54 % des juristes de 40 ans et moins disent être « assez susceptibles » ou « très susceptibles » de rechercher un nouveau travail, que 33 % espèrent travailler dans un autre domaine de la profession et que 20 % envisagent de quitter complètement la profession juridique. En 2022, tout cabinet qui traite ses juristes de façon médiocre doit sérieusement faire face à la possibilité de perdre ces employés aux mains d’autres cabinets qui sont prêts à mieux les traiter.

La direction de votre cabinet pourrait exiger un retour à temps plein au bureau. Elle pourrait éliminer ou réduire de manière significative le travail à distance et imposer cette décision. Cependant, elle risque de créer une main-d’œuvre pleine de ressentiment et de cynisme, démotivée et à la recherche d’occasions ailleurs. C’est particulièrement dangereux dans un secteur comme le droit, où une grande partie de la bonne volonté associée à un cabinet repose sur les juristes qui y travaillent. Non seulement le départ d’un juriste rime-t-il avec les possibles coûts élevés de l’embauche et de la formation d’un remplaçant, mais il y a de bonnes chances que certains clients le suivent. Qu’est-ce qu’un juriste qui quitte votre cabinet en raison d’une mauvaise politique de travail à domicile peut-il offrir à un client pour le convaincre de vous laisser tomber? Des frais inférieurs. Le travail à domicile coûte moins cher que celui effectué dans un bureau loué. Tout juriste qui décide de partir peut offrir une partie de ces économies à vos clients. Vous participez peut-être à l’incubation d’un groupe de concurrents à bas prix qui sont intimement au fait des besoins de votre clientèle.

Les occasions d’être gentils et intéressés en même temps ne se présentent pas souvent, mais la présente situation semble être un bon exemple.

Prenez bien soin de vous.
Advy

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