Ne-pas-faire-de-vagues

11 juillet 2024

Chère Advy,

Je suis une avocate formée à l’étranger et qui a immigré au Canada au début des années 2000. Comme vous pouvez l’imaginer, obtenir l’équivalence de mon diplôme par le CNE, assurer un stage et enfin être admise au barreau de ma province a requis beaucoup de travail. L’obtention d’un emploi dans un cabinet semblait rimer avec encore plus d’obstacles à la pratique du droit, mais j’ai finalement décroché un poste dans un cabinet de juristes bien établi dans le domaine du droit international. J’aime mon travail, mais j’ai l’impression d’être traitée un peu différemment. J’ai souvent le sentiment de devoir travailler deux fois plus fort que les autres juristes pour faire mes preuves. J’ai même répondu à quelques questions sur mes études en droit à l’étranger, et les questions ne me semblaient pas toujours amicales. En général, je trouve tout cela un peu démoralisant, et je ne sais pas comment aborder ce problème, ou même si je dois le faire. J’aimerais connaître vos conseils. Devrais-je partager mes préoccupations? Et si cela aggravait la situation?

Sincères salutations,
Ne-pas-faire-de-vagues


Chère Ne-pas-faire-de-vagues,

Obtenir l’équivalence de votre diplôme par le Comité national sur les équivalences des diplômes de droit (« CNE ») est un processus rigoureux qui requiert effectivement beaucoup de travail acharné, tout comme la participation à un stage et la recherche d’un emploi dans votre domaine. Réussir tout cela pour ensuite être confrontée à des commentaires sur la mesure dans laquelle vous êtes qualifiée doit être démoralisant, comme vous dites. Il est déjà assez difficile de gérer la pression et le stress d’être une juriste de nos jours sans avoir à subir la pression supplémentaire de devoir faire face à des insinuations que vous valez moins que vos pairs. Vous ne mentionnez pas d’où vous venez, mais il y a souvent une discrimination sous-jacente dans les questions posées aux candidats et candidates issus du CNE sur « leur faculté de droit d’origine » qui ne se limitent pas toujours à de la simple curiosité et qui suggère que les gens de votre couleur de peau n’ont pas leur place ici. Montrer de la curiosité à l’égard de ses collègues est une chose, mais le racisme est inacceptable.

Vous m’avez demandé ce que vous pouviez faire. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, l’une des limites d’une chronique de conseils est qu’elle implique souvent de prodiguer des conseils à des personnes qui doivent composer avec de mauvais comportements. L’entente que j’ai avec vous est que je vous aide en vous prodiguant les conseils que vous recherchez. Cependant, je vous en prie, ne prenez pas le fait que je vous donne des conseils sur ce que vous pouvez faire comme une déclaration voulant que ce soit à vous seule de régler votre problème.

Puisque nous parlons de limites, en voici une autre : je n’ai pas été formée à l’étranger et je n’ai pas vécu ce que vous avez vécu. Voilà donc ma mise en garde par rapport à tout conseil que je pourrais vous donner. Heureusement, j’ai trouvé deux juristes formés à l’étranger qui ont généreusement accepté de m’aider pour réagir à votre lettre!

D’abord, j’ai discuté avec Ola, qui m’a demandé de donner uniquement son prénom. Ola est venue au Canada en provenance du Nigéria et est diplômé de la Nigerian Law School et de l’Université de l’État de Lagos. Elle est passée à travers le processus du CNE et son travail se concentre sur la gouvernance d’entreprise et la conformité. La première chose qu’elle m’a dite, c’est qu’elle compatissait avec votre sentiment de ne pas être à la hauteur, votre impression d’invisibilité et votre lutte pour être reconnue. Bien que la lutte de chacun soit unique, rappelez-vous que vous n’êtes pas seule.

La deuxième personne à qui j’ai parlé m’a demandé de ne pas donner son vrai nom dans cette chronique. Je l’appellerai « Anna » pour des raisons que je vais expliquer plus bas. Anna vient également du Nigéria, et elle a aussi passé à travers le processus du CNE avant de trouver du travail dans une grande variété de domaines de pratique. Anna dit également que ce que vous décrivez est une expérience très courante pour les candidats et candidates du CNE. Elle ajoute que, non seulement, vous n’êtes pas seule, mais que l’expérience de se sentir invisible est quelque chose que vivent même les diplômés de facultés de droit canadiennes, particulièrement lorsqu’ils sont membres d’un groupe qui a historiquement été la proie de discrimination dans notre domaine. L’Étude nationale des déterminants de la santé psychologique des professionnels du droit au Canada de 2022 nous a montré que les femmes, les personnes de couleur et les personnes LGBTQ+ sont plus susceptibles que les autres non seulement d’être victimes de harcèlement et de discrimination en milieu de travail, mais aussi de vouloir quitter la profession. S’il y a un côté positif à l’épreuve que vous traversez, c’est que cela vous donne l’occasion de constater tous les gens qui vous entourent qui passent par là. Encore une fois, cela ne justifie pas ce à quoi vous faites face, mais cela vous fournit des informations.

Anna et Ola insistent sur l’importance d’être consciente de votre propre valeur. Ce qui différencie votre parcours de celui de vos collègues est un atout, pas un handicap. Si votre cabinet ne traite pas votre expérience comme un atout, le problème réside dans le cabinet et n’a rien à voir avec vous.

Anna reprend ce thème : « Acceptez le fait que vous serez considérée comme différente ». Vous devez constamment penser à la façon dont la terminologie, les approches de résolution de problèmes et d’autres aspects de votre travail diffèrent entre l’endroit où vous avez reçu votre formation et celui où vous vous trouvez maintenant. Vos pairs qui ne sont pas passés par le CNE n’ont pas à réfléchir à cela. À court terme, cela peut sembler un problème, mais rappelez-vous que le droit est en constante évolution et que la supposition que les choses seront toujours comment elles le sont en ce moment crée souvent des angles morts qui sont dangereux pour les juristes. La capacité à « basculer l’interrupteur » entre votre environnement de pratique actuel et votre ancien environnement de travail est utile pour pouvoir remettre en question des hypothèses, et à long terme, plutôt que de vous nuire, cela vous aidera. Ola ajoute qu’il ne s’agit pas d’un phénomène propre au milieu de travail juridique. De nombreux employeurs canadiens ne comprennent pas que ce qui semble être une courbe d’apprentissage plus longue au début est une force à long terme.

Ola recommande d’avoir une conversation professionnelle, mais franche, à ce sujet. « Chacun considérera toujours son système d’éducation comme bon et de grande qualité. De plus, selon l’environnement de travail, les politiques des RH et les objectifs d’inclusion du cabinet, une conversation honnête et polie avec vos supérieurs et collègues pourrait vous être bénéfique. Bien que ce soit intimidant, cela peut favoriser un environnement de travail plus respectueux, en plus de vous aider à comprendre si vos impressions sont valables ou si vous interprétez mal la culture du cabinet ». Pour obtenir des conseils plus généraux sur la façon de persuader vos collègues de changer la façon dont ils travaillent avec vous, jetez un coup d’œil à la chronique « Prêcher-par-l’exemple » de Chère Advy.

« Anna » (un petit rappel : ce n’est pas son vrai nom) m’a dit qu’elle avait postulé avec succès pour un emploi en donnant ce prénom plutôt que son vrai prénom, et qu’elle continue à le porter lorsqu’elle travaille, même si son employeur connaît son vrai prénom. La raison? Elle a constaté qu’elle perdait beaucoup de temps à répondre à des questions de clients et de collègues curieux au sujet de son histoire, de ce que son nom signifiait, de la façon dont elle était arrivée au Canada, etc. Il s’agissait presque toujours de questions bien intentionnées de la part de personnes qui montraient de l’appréciation pour elle, dit-elle, mais elle consacrait néanmoins du temps à répondre à ces questions plutôt que de se concentrer sur son travail. En tant que personne occupée, elle qui est la mère de deux enfants, elle dit qu’elle n’a pas eu le temps de raconter l’histoire intéressante, mais distrayante des raisons pour lesquelles son nom est si inhabituel dans cette partie-ci du monde. Quand vous faites la paix avec la façon dont les autres vous voient, dit-elle, vous pouvez prendre l’énergie que vous pourriez autrement dépenser en ressentiment (pourquoi ne devriez-vous pas être en mesure d’utiliser votre vrai prénom, après tout?) et le canaliser de manière stratégique pour surmonter les problèmes que ces perceptions font naître en vous. En fin de compte, vous ne pouvez changer les perceptions que les autres ont de vous qu’en faisant un excellent travail et en prouvant votre fiabilité. Ce que vous pensez de vous-même, ajoute-t-elle, dépend de vous, pas des autres.

Ola vous recommande d’effectuer des recherches sur la culture à laquelle vous essayez de vous identifier dans votre milieu de travail. En dehors du travail, elle vous suggère de vous joindre à des groupes et à des clubs locaux qui correspondent à vos intérêts, mais aussi d’assister à des événements communautaires et à des festivals pour rencontrer des gens du pays et en apprendre davantage sur la culture. Cela aidera à mettre beaucoup de choses en perspective. Selon Ola, il est important de comprendre et de respecter les normes culturelles locales et l’étiquette, d’aborder les nouvelles expériences avec ouverture d’esprit et curiosité, et de réfléchir régulièrement aux expériences que vous vivez en adaptant votre approche au besoin pour assurer une transition plus fluide et plus agréable. D’ailleurs, votre division de l’ABC offre une foule d’occasions d’apprendre à connaître les membres de votre profession et de vos domaines de pratique.

Anna vous conseille de regarder attentivement comment vos collègues parlent de votre travail aux autres. Lorsqu’ils adaptent votre recherche juridique à un mémoire ou à un factum, par exemple, prêtez attention aux changements souvent subtils qu’ils apportent pour transmettre vos idées à des personnes à l’extérieur de votre cabinet. Ces petites modifications peuvent souvent être la clé pour apprendre comment vous pouvez vous-même « traduire » vos idées sous une forme que les gens autour de vous peuvent comprendre facilement. Tout comme l’apprentissage d’une nouvelle langue vous donne la chance de converser avec d’autres personnes sans devoir recourir à un interprète ou à un intermédiaire, apprendre à parler la langue du droit dans votre territoire de compétence peut vous ouvrir de nouvelles portes au sein de votre communauté juridique.

Bien sûr, je manquerais à mon devoir si je ne mentionnais pas aussi que le programme d’aide aux juristes (PAJ) de votre région a peut-être des programmes de soutien par les pairs qui peuvent vous aider si vous vous sentez seule et invisible. Ces programmes peuvent non seulement vous offrir des possibilités de jumelage officiel avec des homologues, mais de nombreux ressorts ont également des programmes informels qui vous permettent d’obtenir directement du soutien sans prendre rendez-vous. Consultez le programme d’aide aux juristes de votre région pour voir les services qu’il propose qui sont susceptibles de vous être utiles. S’il n’existe pas déjà un programme qui répond à vos besoins, envisagez de former votre propre groupe de soutien par les pairs. Les programmes d’aide de la plupart des territoires de compétence seront plus que ravis de vous apporter l’aide dont vous avez besoin pour mettre en place ce genre de soutien.

Prenez bien soin de vous.
Advy