Chère Advy,
Je suis un juriste exerçant en droit de la famille au sein d’un petit cabinet. Avec tout ce qui entoure ce qui ressemble à une pandémie qui ne finira jamais, nous ne manquons pas de clients, ce qui est très bien du point de vue commercial, mais qui s’avère extrêmement déprimant, compte tenu des traumatismes que vivent mes clients tous les jours. En temps normal, j’ai toujours bien fait pour me dissocier de ces choses, mais j’éprouve beaucoup de difficulté à le faire dernièrement. Je me réveille au milieu de la nuit, assailli de conversations de la journée qui me tournent dans la tête. Je commence à me sentir un peu comme un zombie quand je suis au bureau. Mes confrères et consœurs ne semblent pas éprouver le même problème, bien qu’ils soient confrontés au même type de clients et qu’ils aient la même charge de travail que moi. Je ne suis pas sûr de la façon de régler ce problème et je ne peux certainement pas discuter de mes dossiers avec qui que ce soit à l’extérieur du bureau. Je crains que cela affecte ma carrière d’une manière négative si j’en fais part à mes collègues.
Sincères salutations,
Besoin-de-retrouver-l’équilibre
Cher Besoin-de-retrouver-l’équilibre,
J’ai la conviction que le pire conseil que vous avez reçu jusqu’à présent est une variante de « n’y pensez tout simplement pas ». Toute tentative de cesser de penser au travail ou aux traumatismes que vos clients partagent avec vous est autodestructrice. En fait, de façon générale, se fier à ce que nous appelons la « volonté » est tout simplement inutile pour résoudre ce genre de problème, en plus d’être contre-productif. Dostoïevsky disait dans Notes d’hiver sur impressions d’été :
« Essayez de vous poser cette tâche : ne pas penser à un ours polaire, et vous verrez que la chose maudite vous viendra à l’esprit chaque minute. »
À l’instar de cet ours polaire, toutes les conversations que vous avez eues plus tôt dans la journée avec des clients auxquelles vous tentez de ne pas penser vous viendront en tête.
Ces ours polaires incommodants peuvent être séparés en deux sous-espèces :
- Ceux utiles
- Ceux inutiles
Avant d’approfondir notre discussion sur les ours polaires incommodants, ne vous blâmez pas parce que vos collègues semblent ne pas avoir ce problème. Soit ils ne vous disent pas qu’ils vivent la même chose, soit ils ont déjà consciemment ou inconsciemment intégré certaines des stratégies que je vais vous expliquer ici. L’heure du bien-être de l’ABC a déjà consacré un épisode entier à la question que vous soulevez. Le visionnement de cette vidéo pourrait à tout le moins vous aider à vous rappeler que vous n’êtes pas le seul à traverser cette épreuve.
1. Intrusions utiles, mais agaçantes
L’une des raisons pour lesquelles les conversations tournent dans votre tête à un moment mal choisi est qu’il y a peut-être quelque chose au sujet de ces pensées que vous voulez garder dans votre mémoire active par crainte de les oublier. En ruminant une conversation que vous avez eue plus tôt dans la journée, vous avez peut-être vu certains éléments que vous souhaitez revoir à votre retour au travail. Si c’est le cas, utilisez un journal ou un bloc-notes, ou encore une note vocale sur votre téléphone, pour consigner cette pensée. Vous êtes peut-être consciemment ou inconsciemment réticent à laisser la pensée quitter votre mémoire active et vous faites la seule chose qui fonctionne pour vous assurer qu’elle y reste : la répétition.
Il est important de prendre l’habitude de consulter ces notes lorsque vous êtes au bureau. Si vous ne vous faites pas confiance pour revoir la note au travail, votre mémoire active ne laissera pas partir cette pensée. Vous constaterez souvent qu’une fois que vous n’avez plus peur de perdre cette idée, la conversation peut sortir beaucoup plus facilement de votre mémoire active.
Vous pouvez aussi utiliser votre calendrier pour mieux gérer ce genre de pensées. Il peut être très utile de ruminer un problème au moment opportun. Donnez-vous rendez-vous pour « vous préoccuper du problème X » pendant votre journée de travail. Cela vous permettra non seulement d’exploiter la force de ce que vous sentez à des fins positives, mais vous en retirerez également des effets secondaires bénéfiques. Dire à votre inconscient de ne pas penser à l’ours polaire ne fonctionne pas. Cependant, vos chances de succès sont beaucoup plus élevées si vous pouvez convaincre votre inconscient de « penser à l’ours polaire mardi à 10 h 30 ». Nous avons tendance à considérer le « souci » ou la « rumination » comme des choses simplement mauvaises. Ce n’est pas le cas. Ces modèles de pensée peuvent être extrêmement utiles s’ils se manifestent à des moments qui ne vous nuisent pas ou d’une façon qui ne vous nuit pas. Ils ne deviennent un problème que lorsqu’ils se mêlent à d’autres activités essentielles, comme dormir ou profiter de la vie.
Un bon livre à lire sur la gestion de ce genre de pensées utiles, quoiqu’agaçantes, est L’esprit organisé, de Daniel Levitin.
2. Pensées inutiles
Bien sûr, certaines ou peut-être même la plupart de ces ruminations ne sont possiblement rien de plus que votre journée de travail en mode répétition. Cette sous-espèce n’a aucune des qualités rédemptrices des pensées utiles et sert seulement à vous garder éveillé pendant la nuit et à vous faire sentir comme un zombie le matin.
Pensez à ce que vous faites entre le moment où vous quittez le travail et le moment où vous arrivez à la maison. Quelles habitudes pourriez-vous intégrer à ce moment-là pour mieux séparer l’état d’esprit que vous avez à la maison de celui que vous avez au travail? Pourriez-vous faire un peu d’exercice en revenant à la maison à pied ou en vélo, ou peut-être en arrêtant à un centre de conditionnement? Pourriez-vous désigner un repère sur votre itinéraire de retour où vous laissez vos soucis professionnels jusqu’au lendemain? Pouvez-vous écouter de la musique dans votre voiture, dans le métro ou dans l’autobus qui vous aiderait à modifier vos pensées? Trouvez une chose ou une combinaison de choses qui mettent votre corps et votre esprit dans un état qui diffère de celui que vous avez au travail.
Portez attention à votre corps. Nous avons tendance à penser que notre esprit est distinct de notre corps. La réalité est que votre cerveau est intimement lié à tout ce qui se passe sous votre cou. Selon un neurologue, le cerveau est résolument lié au corps. Votre corps peut l’alimenter avec des signaux qui indiquent notamment le stress, la faim ou un besoin urgent de dormir. Votre cerveau convertit ces signaux en pensées au sujet de quelque chose de concret, car c’est ce qu’il fait tout le temps. Dans votre cas, vos réflexions portent sur ce qui se passe au travail. Cependant, si vous n’aviez pas de travail auquel penser et que vous étiez quand même chroniquement privé de sommeil et que vous vous alimentiez mal, vous auriez des pensées anxieuses sur un autre sujet. Toute tentative de comprendre votre détresse en vous concentrant uniquement sur les pensées elles-mêmes est un peu comme essayer d’apprécier Miles Davis en lisant une partition de musique. Les notes sur la page sont une représentation de ce qui se passe, mais il vous manque quelque chose d’essentiel.
Buvez de l’eau, reposez-vous, évitez les écrans d’ordinateur ou d’appareils intelligents le soir, laissez tomber la caféine après midi, évitez l’alcool avant d’aller au lit, faites de l’exercice, mangez des aliments sains et nutritifs, et tissez des liens sociaux avec d’autres personnes. Vous avez possiblement l’impression que ces choses n’ont aucun lien avec votre problème, mais si vous prenez soin de vos besoins de santé sous-jacents, vous serez en meilleure position pour gérer ces pensées anxieuses. Portez une attention particulière à vos besoins corporels au moment de votre transition entre le travail et le repos, et développez des habitudes ou des modèles spécifiques de comportement qui vous permettent de prendre soin de vous sans vraiment avoir à y penser.
En construisant une sorte de rituel pour vous dissocier de vos pensées professionnelles, vous serez en mesure de mieux séparer votre vie professionnelle de votre vie personnelle. Appelons ça l’« hygiène du retour à la maison ». Est-ce que cette hygiène vous semblera artificielle ou même étrange au début? Sans l’ombre d’un doute. Cependant, si vous persistez, vous finirez par l’adopter sans même avoir à y penser après quelques semaines.
Un conseiller qualifié pourrait vous aider à mettre au point ces rituels de transition d’une manière qui convient à vos besoins spécifiques. Il pourrait également vous aider à composer avec la détresse que les traumatismes de vos clients vous font ressentir. Utilisez l’aide que vous pouvez obtenir par le biais du programme d’aide aux juristes de votre province ou de votre territoire.