Juriste-Ou-Imposteur

06 janvier 2025

Chère Advy,

J’ai bien réussi dans mes études de droit. J’ai galéré et j’ai gravi les échelons, et je travaille maintenant pour un cabinet juridique international bien connu. De l’avis général, ma famille me voit comme une personne « qui réussit bien dans la vie ». La vérité est que je n’ai pas l’impression de bien réussir. Je sais que le syndrome de l’imposteur est quelque chose que beaucoup de gens ressentent dans de nombreuses professions, mais peu importe si j’ai recours à la logique pour taire les histoires qui surgissent dans mon esprit, j’ai toujours l’impression de ne pas être à ma place. J’ai constamment un nœud dans l’estomac quand je me prépare à aller au bureau le matin, comme si aujourd’hui était le jour où les gens réaliseraient que je ne suis pas à la hauteur des autres employés du cabinet. J’apprécierais vraiment tous les conseils que vous pouvez fournir susceptibles de m’aider à régler ce problème.

Sincèrement,
Juriste-Ou-Imposteur


Cher Juriste-Ou-Imposteur,

N’est-ce pas ironique que quelqu’un comme moi, qui écris sous un pseudonyme, réponde à votre question sur l’imposture?

Voici quelques-unes des choses que les gens disent généralement lorsqu’on leur demande des conseils sur le syndrome de l’imposteur qui n’aident pas :

  1. « Tout le monde a ce syndrome. Ne vous en faites pas. »
  2. « Ne vous comparez simplement pas aux autres! »

Pour être juste, il y a un élément de vérité à chacune de ces affirmations.

Le syndrome de l’imposteur est bel et bien répandu. En fait, ce n’est pas reconnu comme un diagnostic clinique en partie parce qu’environ 82 % de la population en fait l’expérience, bien que dans des mesures considérablement différentes. En passant, j’ai une théorie au sujet des 18 % de personnes interrogées qui n’admettent pas avoir déjà ressenti le phénomène de l’imposteur : elles avaient peur que leur réponse affirmative soit perçue comme une imposture. Le syndrome de l’imposteur est souvent appelé « phénomène de l’imposteur » dans les documents, car un phénomène aussi répandu ne peut être considéré comme un « syndrome » et il ne s’agit pas d’un diagnostic reconnu. Vous ne vous souciez peut-être pas de ces détails, mais ils rappellent avec force que vous êtes loin d’être seul dans votre camp.

Le conseil « ne vous comparez pas aux autres » devrait être utile, mais c’est un peu comme dire à quelqu’un « ne pensez pas à un éléphant ». Donner un tel conseil rappelle simplement à la personne qui le reçoit de faire exactement ce que vous lui demandez de ne pas faire.

Vous ne m’avez probablement pas écrit pour obtenir de mauvais conseils. En plus de cela, vous prodiguer de mauvais conseils signifie que ma complète incompétence pour la rédaction de ces chroniques sera bientôt exposée, contrairement à tous les autres chroniqueurs brillants que l’on retrouve un peu partout. ARGH! Passons aux bons conseils, alors.

La chose la plus utile à faire dans la gestion du phénomène de l’imposteur est de normaliser le fait d’en parler, ce qui semble contre-intuitif. Comment admettre au monde que vous vous sentez peu qualifié par rapport à vos pairs peut-il vous être utile? Rappelez-vous qu’il s’agit d’une expérience si répandue qu’il est fort probable que les gens à qui vous le direz penseront : « Impossible! Je pensais être le seul! » En prenant cette mesure en apparence risquée, mais qui ne l’est pas vraiment, vous créez une occasion de constater la quantité de personnes de votre entourage qui vit la même chose que vous. Voir et entendre ces gens est un moyen efficace pour votre cerveau rationnel de dominer ce récit dans votre tête qui vous dit qu’on est sur le point de mettre au grand jour votre incompétence.

En parlant de ce récit, envisagez d’utiliser un outil que vous avez appris durant vos études du droit : le contre-interrogatoire. Lorsque votre monologue intérieur commence à vous dire que vous n’êtes pas assez bon, contre-interrogez cette croyance. Accompagnez-moi, si vous le voulez, dans la salle d’audience de votre tête :

« Les associés ont dû m’embaucher par erreur parce que je suis surpris qu’ils n’aient pas remarqué à quel point je suis mauvais. »

« Vous dites donc que les associés de votre cabinet sont incompétents? »

« Non, ce sont des gens vraiment intelligents! »

« Ils ne sont tout simplement pas très bons pour embaucher les bonnes personnes, alors? »

« Non, je suis vraiment impressionné par les gens qu’ils embauchent. »

« Alors vous dites que ce sont des gens intelligents qui font des erreurs tout le temps? »

« Non, juste dans mon cas. »

« Et donc, vous êtes un cas exceptionnel – peut-être unique – d’une personne capable de tromper tout le monde au sujet de ses qualifications? » 

« Non, non. Je ne suis pas exceptionnel du tout! »

« Bien sûr que non. Vous n’êtes pas exceptionnel, les gens qui vous ont embauché ne font généralement pas d’erreurs, et ils sont intelligents. Vous avez entendu parler du phénomène de l’imposteur, n’est-ce pas? »

« Oui. » 

« Les autres personnes autour de vous pourraient-elles aussi souffrir du syndrome de l’imposteur? »

« Peut-être, mais avec moi, c’est différent. »

« Bien sûr, parce que vous – de manière unique au monde – êtes non seulement incompétent, mais vous êtes aussi la seule personne qui est le véritable imposteur parmi toutes les autres personnes qui se trompent en pensant qu’elles sont des impostrices. C’est ce que vous essayez de nous dire? »

[silence]

« Pas d’autres questions. »

Maintenant, tout cela étant dit, le syndrome ou phénomène de l’imposteur ne tombe pas des nues. Il est prouvé que plus une personne est victime de discrimination raciale, sexuelle ou autre, plus il est probable et fréquent que cette personne éprouve le sentiment d’être un imposteur. Même des messages subtils sur la non-appartenance peuvent alimenter le syndrome de l’imposteur, et ces petits messages subtils peuvent s’accumuler au fil du temps. Pour utiliser une analogie, une piqûre de moustique peut démanger, mais ce n’est pas grave. Dix mille piqûres de moustiques en même temps peuvent vous mener directement à l’hôpital.

Je mentionne tout cela parce que vous dites ne pas avoir l’impression d’être à votre place. Oui, il vaut toujours la peine de vous demander si vous faites le genre de travail que vous voulez au genre d’endroit où vous voulez travailler. Rester dans un endroit auquel où vous n’êtes vraiment pas à votre place peut nuire à votre santé mentale à long terme. Il vaut la peine d’examiner attentivement si vous voulez vous trouver là où vous êtes. Explorez ce que signifie « être à sa place » pour vous. Il n’y a pas de honte à réaliser que vous vous intégreriez mieux à un autre cabinet ou même à un autre type de carrière.

D’un autre côté, parfois, ce sentiment de manque d’appartenance provient de messages que vous recevez qui ne se fondent pas sur vos compétences, capacités ou préférences, mais plutôt sur des choses comme la couleur de votre peau, votre sexualité, votre genre ou d’autres aspects de vous qui vous distinguent des autres. C’est le côté obscur de ce que de nombreux lieux de travail appellent « l’intégration ».

Essayez de cerner ce qui déclenche des épisodes de syndrome de l’imposteur pour vous. Bien sûr, une partie de l’expérience du syndrome de l’imposteur est de douter de soi-même. Il est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît d’identifier les éléments déclencheurs et de faire la distinction entre le fait de ne pas être à votre place et les indices de discrimination.

Heureusement, vous n’avez pas à effectuer ce travail seul! Vous pouvez y parvenir beaucoup plus facilement et efficacement avec l’aide d’un thérapeute ou d’une personne formée. Avoir quelqu’un qui peut, de façon détachée, vous aider à établir cette distinction et à déterminer ce qui déclenche ces sentiments de peur et d’infériorité peut réellement changer la donne. Votre programme local d’aide aux juristes est prêt à vous apporter cette aide. Vous n’avez pas à attendre d’être en crise pour consulter un thérapeute ou un conseiller. Si vous le laissez se développer, le syndrome de l’imposteur peut vous enlever votre bonheur et même entraîner de l’anxiété ou de la dépression il s’agit donc de médecine préventive. De nombreux programmes d’aide aux juristes offrent des programmes de soutien par les pairs. Un pair qui vous apporte du soutien peut servir de caisse de résonance pour vous aider à trier ce qui fait naître ces sentiments d’infériorité en vous. Utilisez les deux s’ils sont à votre disposition.

Si vous êtes activement victime de discrimination à votre lieu de travail, vous devrez peut-être prendre des mesures avec lesquelles une chronique de conseils (en particulier si le chroniqueur est en réalité incompétent!) ne peut pas vous aider. Pour les besoins de cette chronique, je tiendrai pour acquis que les choses qui déclenchent votre syndrome de l’imposteur ne sont pas du type qui requiert le recours à la Commission des droits de la personne et sont plus proches de la catégorie de la remise en question de la qualité de la formation reçue à votre faculté de droit.

Dressez une liste en écrivant sur un côté d’une page les éléments déclencheurs, avec le plus d’informations précises qui soient à leur sujet. Que dit exactement « monsieur le Tout-Puissant » du prestige de votre faculté de droit qui vous donne l’impression de ne pas être à votre place? Que dit la « mère Supérieure » qui vous fait croire que vous n’êtes pas assez intelligent pour la côtoyer?

Maintenant, sur l’autre côté de la page, pour chaque élément déclencheur, écrivez quelque chose que vous pourriez examiner, aborder ou utiliser autrement pour contrecarrer la façon dont l’élément correspondant vous fait sentir lorsqu’il se manifeste. Avez-vous rédigé un article qui a été publié dans une revue de droit qui pourrait vous aider à encourager une petite voix dans votre tête à vous dire que, après tout, vous n’êtes pas si mal? Gardez une copie à un endroit facile d’accès lorsque vous entendez ces messages voulant que vous ne soyez pas assez intelligent. Vous pouvez toujours compter sur votre faculté de droit pour vous donner de nombreuses raisons pour lesquelles les salles de classe que vous avez fréquentées constituaient un excellent environnement d’apprentissage, surtout quand elle demande des dons à d’anciens élèves comme vous. Prenez une partie du courrier indésirable que vous recevez de votre université, que vous ignorez souvent, et mettez-le dans un dossier où vous pourrez le trouver. Consultez-le quand vous aurez l’impression que votre faculté de droit n’était pas à la hauteur. Ce ne sont que deux exemples, mais le but est de développer à l’avance des contre-mesures adaptatives à ces messages nuisibles et de vous permettre d’y réfléchir facilement. Vous pouvez même vous entraîner à déployer ces contre-mesures à l’avance afin que ce soit plus facile à faire le moment venu. Le fait de vous exercer à riposter aux éléments déclencheurs avec des réponses positives peut vous aider, tout comme pratiquer la rédaction de rapports d’affaires de droit pénal vous a été utile pour vous préparer aux examens à la faculté.

Rappelez-vous que l’une de ces contre-mesures peut être de vous diriger vers votre réseau de soutien évoqué plus tôt et que vous avez développé en parlant ouvertement de votre expérience avec le syndrome de l’imposteur. Votre résilience face à des facteurs de stress, comme ces messages « vous n’êtes pas à votre place » n’est pas tant une qualité personnelle et individuelle qu’un facteur du réseau de soutien que vous avez ou qui a été construit autour de vous. Cela peut être une ressource à long terme inestimable.

Vous êtes plus susceptible de ressentir le syndrome de l’imposteur lorsque vous essayez ou apprenez quelque chose de nouveau ou que vous commencez un travail que vous connaissez moins bien que ce à quoi vous avez l’habitude. Voici le bon côté : si vous ressentez le syndrome de l’imposteur, félicitations! Cela signifie que vous êtes assez courageux pour essayer quelque chose que vous ne connaissez pas déjà. Vous êtes en période d’apprentissage et vous vous connaissez suffisamment bien pour réaliser que vous n’êtes pas un maître de cette nouvelle compétence que vous acquérez. Un conseil que beaucoup de gens utilisent est de simplement ajouter le mot « encore » au monologue intérieur qui tourne dans votre tête. Par exemple, lorsque vous vous dites que vous ne savez pas comment faire un roulement comme il est prévu à l’article 85, remplacez « pas » par « pas encore ». « Je ne sais pas encore comment faire un roulement comme ceux prévu à l’article 85 » donne beaucoup plus d’espoir et cela vous laisse le sentiment que vous pourrez un jour maîtriser cette compétence qui vous fait douter de vous-même.

Un des effets secondaires pratiques de la prévalence du syndrome de l’imposteur est qu’il existe beaucoup d’excellentes ressources.

Je vous encourage à lire ce qui est disponible, notamment parce que la vérité est que je n’ai aucune idée de ce que je fais ici!

…. à tout le moins, « pas encore ».

Prenez bien soin de vous,
Advy