Chère Advy,
L’accès à la justice me passionne et je m’offre pour effectuer du travail pro bono le plus souvent possible. Cependant, je me sens épuisé sur le plan émotionnel dernièrement, surtout quand je ne peux pas en faire assez pour aider des clients vulnérables. Avez-vous des conseils pour éviter l’épuisement professionnel tout en trouvant l’équilibre entre mon engagement dans l’exercice du droit axé sur l’intérêt public et les autosoins?
Sincèrement,
Généreux-Mais-Vidé
Cher Généreux-Mais-Vidé,
L’épuisement professionnel est un problème très réel dans tous les milieux de travail, mais il frappe souvent très durement les professionnels du droit. La phase I de l’Étude nationale des déterminants de la santé psychologique des professionnels du droit au Canada a démontré que l’épuisement professionnel est un problème particulièrement grave et répandu au sein de notre profession. Le besoin pour le travail pro bono que vous effectuez est non seulement presque infini, mais, puisque les résultats dans les litiges juridiques ne sont pas toujours en parfaite harmonie avec les attentes des parties, la récompense pour les efforts que vous déployez pour vos clients peut parfois se solder par une accusation pour ce qui a mal tourné. Ce sont deux ingrédients essentiels de l’épuisement professionnel.
Avant d’aller plus loin, une définition s’impose. L’étude nationale mentionnée ci-dessus utilise la définition suivante :
« L’épuisement professionnel est un concept permettant de mesurer le degré de fatigue, c’est-à-dire d’épuisement qu’une personne ressent face à son travail (Kristensen et coll., 2005). L’épuisement peut conduire les personnes qui en sont affectées à un certain cynisme, à un détachement et à une sous-évaluation de leurs accomplissements personnels (Schaufeli et coll., 2017). »
L’épuisement professionnel peut provoquer des maux de tête, des maux d’estomac ou d’autres troubles digestifs, et entraîner d’autres effets physiques associés au stress. Il peut même miner ce qui vous a amené à effectuer ce travail à l’origine. Votre patience, votre empathie, votre enthousiasme, votre concentration et votre confiance en vous sont des qualités qui souffrent en premier des conséquences de l’épuisement professionnel.
La première étape de la prévention et de la gestion des symptômes de l’épuisement professionnel est la reconnaissance de leur existence ou de leur apparition. Puisque vous avez déjà remarqué votre épuisement émotionnel, il est bien que vous ayez cette perspicacité. Un entretien avec un conseiller formé qui peut vous exposer un point de vue extérieur peut renforcer votre certitude quant à savoir si vous souffrez d’épuisement professionnel. Il existe une échelle officielle ou un test d’épuisement professionnel appelé le Copenhagen Burnout Inventory, mais je vous conseille d’y recourir avec l’aide d’un professionnel qualifié, qui pourra non seulement vous guider à travers les étapes de l’évaluation, mais aussi travailler avec vous sur des solutions. Le programme d’aide aux juristes de votre administration peut vous mettre en contact avec les personnes les mieux placées pour vous aider.
Vous dites qu’il est bien de reconnaître le problème, mais vous vous demandez ce que vous pouvez faire?
Je ne voudrais pas parler comme les juristes, mais la réponse est « ça dépend ».
Pour atténuer les effets de l’épuisement professionnel, l’une des solutions optimales consiste à identifier les facteurs de déclenchement précis qui vous font vivre cette expérience, puis à trouver des moyens de les compartimenter, de les déléguer, de développer des systèmes pour les gérer et éventuellement de les éliminer complètement. Vous dites que vous vous sentez épuisé sur le plan émotionnel lorsque vous ne pouvez pas en faire assez pour aider des clients vulnérables. Qu’est-ce qui vous épuise exactement? Est-ce le fait de dire aux gens des choses qu’ils ne veulent pas entendre et de fréquemment obtenir une mauvaise réaction? Ressentez-vous de l’épuisement pendant vos rencontres avec des clients parce que vous vivez un traumatisme secondaire en entendant ce qu’ils ont vécu? Est-ce la facturation et la perception des frais qui vous apportent ce sentiment (dans le cas où vous ne faites pas de travail pro bono)? Est-ce les demandes fréquentes de compte rendu pendant les périodes où il n’y a rien à signaler dans l’évolution de la cause? Est-ce la tâche de choisir une cause sur laquelle travailler tout en ayant à priver d’autres personnes de votre aide?
En travaillant avec votre conseiller, dressez un inventaire de choses précises de votre journée de travail qui mènent à cet épuisement émotionnel. Cet exercice n’est pas facile. Il vous faut remarquer à chaque instant les pensées qui surgissent en vous et les émotions que vous ressentez en réaction à ce qui se produit au cours d’une journée de travail. La pleine conscience pourrait occuper une seule chronique – ou même un livre ou deux –, mais, en bref, la pleine conscience est le principe de vivre le moment présent sans jugement. Il y a même une organisation qui se consacre à aider des juristes à pratiquer la pleine conscience qui pourrait vous intéresser.
Une fois que vous avez terminé de dresser votre inventaire des facteurs de déclenchement de votre épuisement professionnel, réfléchissez à des façons de rendre chaque facteur moins épuisant pour vous. Vous devez vous assurer d’imaginer des solutions que vous pourrez réellement mettre en œuvre et respecter. Une liste de grandes solutions que vous ne pouvez pas ou que vous ne voulez pas adopter ne vous fera aucun bien. Ne vous attendez pas non plus à proposer immédiatement un ensemble parfait d’étapes adaptatives. Votre plan de gestion et de prévention de l’épuisement professionnel sera presque certainement imparfait. Nous, juristes, avons tendance à être allergiques à l’imperfection, mais commettre des erreurs est une partie nécessaire de l’élaboration et de l’amélioration de votre plan. Il s’agit d’une stratégie itérative. Vous l’affinerez en essayant des choses, en remarquant comment elles fonctionnent et ne fonctionnent pas, et en y apportant des changements au besoin. C’est une autre raison d’avoir une relation continue avec un professionnel qui s’y connaît dans le domaine. Compter sur une personne comme un thérapeute, qui a l’habitude de faire le point, peut vous aider à réaliser ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas.
Vous devriez aussi inclure dans votre inventaire une note sur les aspects du travail que vous aimez. Votre plan devrait idéalement vous permettre de minimiser votre expérience d’épuisement tout en trouvant un équilibre avec les éléments qui vous donnent le sentiment d’être épanoui et énergique. Le meilleur plan est celui que vous créez – avec de l’aide – en pensant à vous. Sans essayer de vous donner une liste exhaustive, voici quelques idées qui pourraient faire partie de votre plan.
- Le processus de recherche de causes à défendre est-il la principale source de détresse pour vous? De nombreux organismes engagent des juristes bénévoles pour fournir de l’aide juridique à des personnes dans le besoin. L’un des avantages de déléguer ce travail est que ces organismes se spécialisent dans cette tâche et ont des systèmes en place pour s’assurer que les clients qui viennent à vous pour votre expertise sont adéquats.
- Si c’est la communication avec le client qui vous affecte, remarquez les tendances des demandes des clients. Il est probable que la plupart des clients s’inquiètent tous des développements de la même manière et à peu près au même moment du processus. S’il y a toujours un décalage au début d’une affaire lorsque vous devez donner à l’autre partie du litige la possibilité de répondre (comme le dépôt d’une défense, par exemple), vous pouvez expliquer ce droit dans une FAQ ou même dans un modèle de courriel standard que vous envoyez aux clients. Souvent, il y a des raisons très positives qui expliquent ces périodes où vous n’avez rien à signaler, et l’anxiété du client est réduite si vous le lui dites de manière proactive. Le délai d’attente d’une défense, par exemple, permet au défendeur de déterminer s’il vaut même la peine de contester l’affaire.
- Le stress que vous éprouvez au moment de donner de mauvaises nouvelles à des clients ou le malaise que vous ressentez dans des situations qui vous terrifient par rapport à votre devoir professionnel peuvent être atténués en vous rappelant – à vous et à votre client – que, bien qu’il sera difficile d’écouter ce que vous avez à dire, ce sera beaucoup moins douloureux que d’entendre une décision défavorable d’un juge ou d’avoir la surprise de devoir répondre à des questions délicates de juristes adverses. Vous ne contrôlez pas les résultats. Vous êtes simplement un guide expert sur la voie qu’a décidé d’emprunter le client, et les meilleurs guides peuvent aider à repérer les dangers et à les éviter. Cela implique de dire aux gens que les dangers existent d’entrée de jeu.
- L’épuisement que vous ressentez sur le plan émotionnel est-il associé à la fatigue physique, à la faim, à la soif ou à l’irritation d’être au bureau toute la journée? Faites une pause, allez dîner, buvez de l’eau ou sortez faire une marche. Il est possible que l’épuisement émotionnel que vous ressentez soit le résultat d’un malaise physique et ait très peu à voir avec le travail lui-même.
L’étude nationale mentionnée plus haut a révélé que l’autonomie et la cohérence du travail avec les valeurs constituent un contrepoids utile aux effets de l’épuisement professionnel. Réfléchissez au genre de causes auxquelles vous voulez consacrer de votre temps. Surtout, pensez aux types d’affaires sur lesquelles vous ne voulez pas travailler. Examinez le niveau de contrôle que vous avez sur les mandats que vous acceptez et que vous refusez, et faites votre possible pour maximiser la liberté que vous vous accordez au moment de faire ces choix.
Ne vous sentez pas coupable de décider de ne pas aider quelqu’un. En réservant votre temps et votre énergie pour les affaires où vos qualités uniques peuvent avoir la plus grande incidence, vous aidez les clients que vous prenez en charge. Pour les clients que vous ne prenez pas en charge, gardez à portée de main une liste de personnes qui pourraient leur apporter de l’aide, de cabinets qui pourraient travailler sur leurs dossiers ou même des ressources d’autoassistance fiables, comme des sites Web de tribunaux. En pensant à ce que vous allez dire à quelqu’un pour qu’il obtienne la meilleure aide ailleurs, vous vous épargnez l’ennui d’improviser une façon viable de refuser de le défendre sans avoir l’impression de le laisser tomber. Rappelez-vous que, si vous recommandez un client à quelqu’un qui est encore mieux placé que vous pour régler son problème juridique particulier, vous lui permettez d’accéder à la meilleure personne possible. C’est tout le contraire de le laisser tomber. Lorsque vous allez à l’hôpital pour faire enlever votre appendice, votre chirurgien ne se sent pas coupable de ne pas extraire vos dents de sagesse pendant que vous êtes sous anesthésie. Les professionnels de la santé savent qu’il est important que les patients aient accès à la meilleure personne qui soit pour un besoin particulier. Avoir un scénario prédéfini sur la façon d’orienter quelqu’un vers une source d’aide juridique est un outil efficace pour définir les limites lorsque vous êtes le genre de personne qui veut aider tout le monde.
Il y a un autre avantage à dresser une liste de personnes et de ressources utiles : cela vous oblige à vous tourner vers votre communauté juridique et à découvrir les ressources et les personnes qui sont à votre disposition. Vous pouvez tisser des liens avec des gens qui partagent votre passion d’aider autrui et qui mettent à profit leurs propres compétences uniques. Le fait de communiquer avec des pairs de votre profession aux vues similaires et de les consulter régulièrement vous aide aussi à mettre en perspective les choses qui vous causent de la détresse. Lorsque vous constatez que vous vous en voulez de ne pas pouvoir résoudre tous les problèmes du monde, il est très utile de pouvoir en parler avec un collègue qui a une certaine compréhension de ce que vous traversez.
Prenez bien soin de vous.
Advy