Chère Advy,
J’en suis à mes premiers pas dans la profession juridique et j’ai fait un stage pendant la pandémie. Le cabinet où j’étais stagiaire était très petit et a mis à pied l’ensemble de ses juristes en pleine période de fermeture des tribunaux. Par conséquent, malgré les excellentes notes que j’ai obtenues à la faculté de droit et les bonnes références que j’ai reçues, j’ai eu beaucoup de difficulté à trouver un autre emploi.
J’ai d’abord travaillé dans un autre petit cabinet, ce qui a été un véritable cauchemar, mais mon assurance-emploi était sur le point de venir à terme. Au bout de six mois, notre relation professionnelle a pris fin. J’ai dû menacer le cabinet de le poursuivre pour recevoir le salaire minimum lié à cet emploi, ce qui démontre à quel point la situation était désagréable. Puis, enfin, j’ai été embauché par un cabinet de taille moyenne jouissant d’une bonne réputation grâce à un ami qui y travaillait. Je pensais être arrivé à bon port! Mes collègues étaient des juristes formidables, intelligents et éthiques. J’adorais mon travail et j’ai commencé avec passion à bâtir ma propre pratique. Puis, un client important est devenu autosuffisant en embauchant son propre conseiller juridique et j’ai été remercié avant la fin de ma période de probation de six mois, ce qui m’a grandement attristé.
Tout le monde m’a dit que c’était une décision d’affaires. J’ai demandé une lettre de recommandation, mais celle-ci ne précisait pas que ma cessation d’emploi était une décision d’affaires. Lorsque j’ai demandé que la lettre clarifie cet aspect, on m’a dit que les problèmes de rendement étaient la motivation réelle de ma cessation d’emploi. Aucun problème de rendement n’avait jamais été porté à mon attention, et nous avions discuté en profondeur de toute lacune dans ma formation ou mon expérience dans les entrevues précédant mon embauche. J’ai été embauché malgré un certain manque d’expérience (en raison de la pandémie), puis on m’a dit que ces lacunes étaient la raison de ma cessation d’emploi.
Dans une entrevue récente, j’ai décrit ma mise à pied après qu’un client important ait embauché son propre conseiller juridique, et j’ai immédiatement réalisé que mon ancien employeur espérait simplement sauver la face, lui qui avait la réputation de congédier des employés au gré de la charge de travail, et souhaitait se défaire de cette réputation.
Cette constatation a été terrible pour moi. Je vois bien que mes collègues ont un travail stable et je ne comprends pas pourquoi je suis incapable d’en trouver un, moi qui ai obtenu des notes égales (et généralement meilleures) et qui possède une éthique de travail semblable. Le fait qu’on m’ait vu comme une personne dont on peut facilement se défaire dans tous les emplois que j’ai eus me brise littéralement le cœur. La nuit, je fais régulièrement des cauchemars de mon dernier employeur. De réels cauchemars. C’est horrible. Je ne sais pas quel genre de cabinet ou d’expérience je dois chercher pour me sentir mieux et pour trouver le type d’emploi gratifiant que je pensais pouvoir décrocher avec un diplôme en droit.
Aidez-moi s’il vous plaît.
Chercheur-d’emploi-découragé
Cher Chercheur-d’emploi-découragé,
Vous avez vécu, en peu de temps, trois expériences horribles. Naturellement, vous cherchez un modèle ou un dénominateur commun, et vous en venez à la conclusion que le dénominateur commun, c’est vous. Il existe deux autres éléments communs dans ce modèle :
a. La pandémie de COVID-19.
b. Les techniques de gestion plutôt mauvaises auxquelles ont recours certains cabinets juridiques.
Nous connaissons tous les ravages qu’a causés la pandémie. Les entreprises, y compris les cabinets juridiques, ont eu d’énormes difficultés à s’adapter à une « nouvelle normalité » qui est tout, sauf normale. L’un des effets secondaires qui ne vous saute peut-être pas aux yeux est que, compte tenu du chaos et de l’incertitude provoqués par la pandémie, les possibilités d’emploi sont devenues rares. Pendant toute la durée de votre carrière dans le milieu du droit, le bassin d’emplois offerts aux juristes a été relativement petit et la concurrence pour ces postes, féroce. Vous avez été forcé de choisir des emplois et des employeurs que vous auriez possiblement refusés si les choses avaient été différentes.
Ce qui m’amène au deuxième élément commun de vos trois expériences : la mauvaise gestion. Pour être juste, le premier cabinet était peut-être très bien géré, mais il a disparu. Vous décrivez le deuxième cabinet comme un cauchemar. Et vous avez accepté d’y travailler seulement parce que votre assurance-emploi était sur le point de venir à terme. Lorsque vous exploitez une entreprise, vous devez payer les gens pour leur travail. Il appert que le troisième cabinet a recours à des pratiques tout aussi médiocres. Dire à un employé une chose au moment de la cessation d’emploi, puis quelque chose de complètement différent a posteriori, n’est pas une technique de gestion qu’utilisent les cabinets prospères. Vous dites que ce cabinet a la réputation d’avoir fait la même chose à d’autres juristes, à ce point qu’elle essaie maintenant de se défaire de cette réputation. Notre diplôme en droit ne nous confère pas les capacités de bien exploiter une entreprise, mais c’est exactement ce qu’il faut pour bien gérer un cabinet juridique. De nombreux juristes sont également réticents à reconnaître qu’ils ont des lacunes lorsqu’il s’agit de gérer des ressources humaines ou de prendre des décisions d’affaires, et ce déni peut perpétuer de mauvaises pratiques. Vous avez eu la malchance d’arriver dans la profession au moment où ce phénomène généralisé de mauvais jugement a éclaté dans le cadre d’une crise qui ne se produit qu’une fois par siècle, la pandémie de COVID-19 dans le cas présent.
Et si cette série de trois mauvaises expériences n’avait aucun lien avec vous? Et si cela était dû à la prolifération de mauvaises pratiques commerciales?
La culture du droit a longtemps considéré les juristes comme des produits fongibles, comme des pièces remplaçables d’une machine. Dès notre entrée à la faculté de droit, on nous a dit que seuls les meilleurs d’entre nous parviendraient à accéder à ce marché. Cette réalité ne fait que s’intensifier lorsque vous réussissez à décrocher un stage. Ce niveau de concurrence avec vos homologues peut parfois faire ressortir le meilleur de vous-même, bien sûr, mais il a également tendance à réduire votre vie à un tableau de bord. Les choses ne peuvent pas continuer comme ça.
Est-ce que cela vous est utile d’une quelconque manière pour vous trouver un emploi aujourd’hui? Non. Ce que je tente de vous dire est que vous ne devriez pas accepter le verdict selon lequel il y a quelque chose qui cloche avec vous. Cette remise en question entrave votre capacité à trouver un nouveau poste et vous rend plus vulnérable à accepter une offre d’emploi même si des signaux d’alarme évidents laissent croire qu’il s’agit peut-être d’un autre employeur terrible. Sans compter que cela vous rend malheureux.
Vous mentionnez ce que vous considérez comme des lacunes dans votre expérience. Si vous avez des lacunes, asseyez-vous, découvrez-les et prenez les mesures nécessaires pour les corriger. Envisagez de parler à un juriste chevronné pour obtenir des conseils sur la façon dont vous pouvez combler ces lacunes. Des possibilités de bénévolat ou d’autoapprentissage sont peut-être à votre portée. Plus que tout, abordez ce processus avec la prémisse que vous ne cherchez pas à vous faire embaucher par ce juriste et que vous ne vous attendez à ce qu’il comble ces lacunes pour vous. Ce que vous recherchez, ce sont des conseils objectifs sur la façon d’acquérir les compétences qu’il vous manque possiblement ou dont vous ne soupçonnez même pas l’existence. Question de ne pas ressembler à une vieille cassette : ne suivez pas mes conseils si vous croyez toujours que ces lacunes dont vous parlez ne sont pas un manque d’expérience ou de compétences, mais des défauts personnels. L’idée est de terminer votre formation, et non de vous flageller.
Vous faites des cauchemars. Il est possible que ce problème ait des racines plus profondes que votre situation d’emploi. Je ne connais pas assez bien votre situation pour affirmer cela avec certitude, mais ce genre de problème requiert une aide qu’une chronique de conseils ne peut vous donner. N’oubliez pas que votre programme d’aide aux juristes peut vous faire profiter de services de counseling gratuits. Si le fait de vous comparer à vos homologues cause ou augmente votre détresse, n’oubliez pas que ce qui ressemble pour vous à un emploi stable et à une vie parfaite est peut-être tout le contraire. Nous connaissons bien le phénomène des gens qui publient les plus beaux moments de leur vie dans des médias sociaux. Ne vous laissez pas duper par l’apparence de succès chez autrui. Il s’agit peut-être d’une illusion.
Je sais que ce stress puise en partie ses racines dans la situation de chômage dans laquelle vous vous trouvez en ce moment. J’ai donné quelques conseils pour gérer le stress de la recherche d’un emploi dans une chronique précédente. Je vous encourage à la lire pour vous aider au cours des prochains jours.
Je sais bien que ça ne ressemble pas à ça en ce moment, mais cette période où vous ne travaillez pas est un véritable cadeau. Ne pas connaître l’endroit où vous allez finir par travailler et ignorer à quel point vos compétences sont exhaustives fait en sorte que vous êtes ouvert à des possibilités que la version de vous-même où vous avez un emploi et où vous n’avez aucune lacune n’envisagerait même pas. Bertrand Russell a écrit :
« Tout le problème de ce monde est que les imbéciles […] sont toujours très sûrs d’eux, alors que les gens plus intelligents sont pleins de doute. »
Ces lacunes dans votre expérience sont peut-être exactement ce dont vous avez besoin pour avoir la volonté d’apprendre. La complaisance est l’ennemi de la compétence, et le doute est souvent la source d’une remise en question utile. Oui, un chèque de paie régulier est également attrayant, mais la situation actuelle vous prépare peut-être à un avenir meilleur si vous décidez d’utiliser ce doute en faisant preuve de créativité.
Prenez bien soin de vous.
Advy