Stagiaire-sous-pression

01 juin 2022

Chère Advy,

Il y a peu de temps, ma faculté de droit a envoyé un courriel à tous les élèves pour les informer qu’un collègue qui avait complété l’école du Barreau en avril dernier avait mis fin à ses jours. On ne nous a pas donné d’autres détails, mais plusieurs discussions avec mes collègues et commentaires recueillis me permettent d’en venir à la conclusion que la détresse psychologique chez les jeunes et futurs juristes est extrêmement répandue. Nous savons que la profession juridique en est une où il y a beaucoup de pression et que les postes de stagiaire bien rémunérés sont rares. Cela entraîne souvent une forte concurrence où s’affrontent des étudiants en droit criblés de dettes. Nombreux sont ceux qui croient que le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle et que les gens creusent eux-mêmes leur tombe. Tout porte à croire que le parcours de l’université au marché du travail n’est pas près de changer. Cela étant dit, comment gérer la pression associée à la recherche d’un poste tout en survivant au stress… tout cela sans crouler sous les dettes?

Sincères salutations,
Stagiaire-sous-pression
 


Cher Stagiaire-sous-pression,

Vous avez soulevé plusieurs questions qu’on pourrait qualifier de « systémiques » : la pression d’exceller, la concurrence associée à l’obtention d’un poste et la dette étudiante élevée qui vient avec une formation juridique. Je n’aborderai pas ces questions dans cet article, mais ce n’est pas parce qu’elles sont sans importance. Tout le contraire. Je vais plutôt aborder la façon dont vous pouvez vous en sortir, car la question est de savoir comment une personne peut composer avec cette pression.

Si la nouvelle du suicide de votre collègue vous a causé un traumatisme, obtenez du soutien professionnel par le biais de votre programme d’aide aux juristes local. N’attendez pas de constater que cet incident vous a dérangé. Ces programmes sont là pour vous aider, peu importe ce que vous vivez. Pourquoi ne pas y avoir recours? Si vous avez des pensées suicidaires, contactez un centre de détresse local ou l’une des nombreuses ressources nationales à votre disposition.

J’en déduis que le principal effet du suicide de votre collègue est que cela a mis l’accent sur la pression que vous ressentez à ce stade dans votre vie. Ce n’est pas un nouveau problème. Des générations de juristes ou même de gens en général ont été confrontées au défi de gérer différents facteurs de stress liés à la transition, ou à la tentative de transition, de l’école au marché du travail. L’ancien juge en chef Brian Dickson n’a pas été en mesure de trouver un poste de stagiaire après l’obtention de son diplôme, même s’il était l’élève par excellence de son année. Cette transition est ardue depuis longtemps.

Soit dit en passant, le fait que cette situation se répète sans cesse ne la rend pas pour autant insignifiante. Ce n’est pas moins grave parce que ça s’est produit auparavant. Cependant, cela signifie que (a) ce n’est pas votre faute et que (b) il est probable que vous soyez en mesure de vous adapter à la situation en vous inspirant de ce qui a fonctionné pour d’autres personnes par le passé. Confronté à des pressions intenses au début de sa carrière, Dante a commencé l’écriture de la Divine Comédie avec le passage sans doute le plus autobiographique qu’il ait jamais écrit :

« Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue. »

Parlez à des juristes chevronnés de ce qu’ils ont fait pour gérer les premières années de la « forêt obscure » de leur carrière. Il y a des différences entre votre expérience et la leur, certes. Les dettes étudiantes sont nettement plus considérables aujourd’hui qu’elles ne l’étaient autrefois, par exemple. Aussi, les conseils que vous obtiendrez sur leur cheminement dans cette forêt seront presque certainement teintés de nostalgie. Malgré tout, ces conversations sont utiles pour diverses raisons, notamment les suivantes :

  1. Elles vous donnent de bonnes idées, même si vous devez aborder avec un certain recul les conseils qu’on vous prodigue.
  2. Elles vous aident à comprendre les réalités dans lesquelles vous et vos homologues allez évoluer, et vous permettent non seulement de tisser des liens avec quelqu’un qui pourrait vous apporter de l’aide à long terme, mais aussi de le sensibiliser à ce que vous vivez.

Un autre groupe de personnes avec qui vous pouvez tisser des liens sont vos homologues. Il peut être très facile de laisser les relations avec vos camarades de classe ou vos collègues de travail se distendre, mais il est inestimable de partager avec des personnes qui traversent les mêmes épreuves que vous. Elles peuvent même vous transmettre des offres d’emploi. Bien sûr, il est également utile de maintenir et d’établir des relations avec des personnes en dehors de la profession. Les humains sont des animaux sociaux. Des études sur la résilience ont démontré que, même si nous avons tendance à considérer la capacité de « rebondir » après un épisode stressant comme un trait de personnalité individuel, c’est plus souvent un facteur de la communauté ou de l’environnement dans lequel nous nous trouvons ou dans lequel nous évoluons. Le fait d’être entouré de gens peut faire la différence entre prospérer et ne survivre qu’à peine.

Le stress est quelque chose que vous allez vivre durant votre carrière. Si vous développez maintenant les compétences pour empêcher le stress de se transformer en détresse, ces aptitudes vous seront très utiles tout au long de votre vie professionnelle.

Voici quelques idées pour vous aider à y parvenir :

  • Trouvez quelque chose à faire qui vous permet de vous déconnecter de votre carrière et du droit. Un sport, un passe-temps, ou même la simple habitude de prendre une marche peut grandement vous aider à gérer le stress.
  • Ne recourez pas à l’alcool ou aux drogues pour faire le vide. Cette solution peut être très tentante, surtout si vous êtes entouré de gens qui ont recours à cette échappatoire, et peut sembler une bonne décision en ce moment, mais elle finira par amplifier les problèmes auxquels vous êtes confrontés.
  • Compartimentez votre recherche pour des stages ou pour un poste à la fin de votre stage. Consacrez une partie de la journée aux recherches dans des babillards d’emplois, à l’envoi de demandes d’emploi, au réseautage, au démarchage ou à toute autre activité de cette nature. Puis, arrêtez-vous et donnez-vous une pause pour respirer. Les décisions que prennent les employeurs par rapport aux candidats sont en grande partie hors de votre contrôle. Une fois que vous avez déployé un certain effort, vous ne pouvez pas vraiment changer quoi que ce soit. Toute rumination sur les raisons pour lesquelles le téléphone n’a pas sonné ne vous aidera pas et vous fera probablement du tort.
  • Si vous croyez avoir besoin d’utiliser les compétences juridiques que vous avez acquises, trouvez des façons de les mettre en pratique sans que l’obtention d’un emploi en dépende. Le travail est une forme d’expression personnelle, et vous pouvez ressentir de la frustration lorsque votre capacité à vous livrer à cette activité relève de la décision que prend un inconnu de vous embaucher ou non. Écrivez un article, publiez une vidéo sur TikTok et impliquez-vous auprès d’un organisme qui offre des services juridiques bénévoles. Trouvez une façon d’« exercer » le droit sans attendre l’appel d’un cabinet juridique, mais ne perdez évidemment pas de vue les restrictions imposées par votre territoire de compétence sur l’exercice du droit par des personnes n’ayant pas été admises au barreau. L’exercice de votre « muscle juridique » peut vous aider à faire face au phénomène de coût irrécupérable que vous vivez. Vous ne pouvez pas mesurer la valeur de vos études ou de vos efforts par un travail que vous obtenez ou pas. Peu importe si vous finissez par pratiquer le droit pour le reste de votre carrière ou par faire quelque chose de tout à fait différent, l’apprentissage n’est jamais du gaspillage. Le gaspillage, c’est de ne pas utiliser cet apprentissage.

N’oubliez pas que le marché du travail dans le domaine juridique varie considérablement d’un bout du pays à l’autre, d’un secteur à l’autre, et même dans une même ville ou dans une même région. Par conséquent, vous noterez encore plus de différences au fil du temps. Un marché de l’emploi « chaud » peut subitement devenir « froid », mais le contraire est également vrai. Cela vous apporte peut-être peu de réconfort en ce moment, mais, peu importe les débouchés que vous avez trouvés, cette sensation n’est que temporaire.

Prenez bien soin de vous.
Advy

Consultez le lien suivant sur le travail d’un expert du Resilience Research Centre de l’Université Dalhousie : (uniquement en anglais).