Ces derniers mois, la fermeture des tribunaux et le passage aux audiences virtuelles ont fait couler beaucoup d’encre en ce qui concerne leurs répercussions sur les juges, les avocats et tous ceux qui viennent faire valoir leurs droits dans l’enceinte des palais de justice.
Pourtant, peu a été dit au sujet des effets de ces mesures restrictives sur la liberté d’accès des médias – et, par extension, du public – aux salles d’audience afin d’assister au déroulement des procédures.
La liberté de presse est garantie dans la Charte. En vertu du principe canadien de la publicité des débats judiciaires, il revient à ceux qui limitent l’accès du public (soit directement soit indirectement en imposant des limites aux journalistes) de démontrer que leurs motifs sont valides.
La mise en place de mesures de distanciation physique et l’arrivée subséquente des audiences virtuelles ont sans contredit brouillé ce principe auparavant limpide, explique David Hutt, associé du cabinet Burchells d’Halifax, membre du comité de direction de la Section du droit du divertissement, de l’information et des télécommunications de l’ABC et représentant du Canada atlantique au conseil d’administration de la Canadian Media Lawyers Association.
S’adressant en août au groupe de travail de l’ABC sur les enjeux juridiques liés à la COVID-19, Me Hutt a expliqué que le principe de la publicité des débats judiciaires était un facteur de maintien de la confiance du public envers le système judiciaire.
Il a ajouté qu’avant la pandémie, les journalistes pouvaient se rendre au palais de justice un lundi matin, consulter le registre et assister à n’importe quelles audiences de leur choix. Et s’ils changeaient d’idée, ils n’avaient qu’à sortir. Si une ordonnance de non-publication était demandée en cours d’audience, les journalistes « dans les estrades » avaient le droit de faire des observations sur-le-champ.
Puis, à la mi-mars, la pandémie a tout bouleversé : les tribunaux ont fermé, les gens se sont fait dire de rester chez eux. Il a fallu chercher frénétiquement une solution pour remettre en marche le système judiciaire.
Les tribunaux ont repris leurs activités sur diverses plateformes en ligne.
« Avant mars, j’avais peut-être entendu parler de Zoom une fois », a raconté Me Hutt. Et le rythme d’apprentissage quant à l’utilisation des nouvelles technologies n’a pas été le même pour tout le monde.
Dans certains établissements, les audiences en personne ont recommencé, avec mise en place de mesures de distanciation physique. Même en ligne, le nombre de participants est limité par certaines plateformes en fonction de la licence détenue.
Selon Me Hutt, en règle générale, les tribunaux se sont fort bien adaptés pour ce qui est de l’accès des médias. Il soulève toutefois cinq points problématiques :
- D’abord, l’accès aux documents. « Partout au Canada, les avocats se retrouvent avec les mêmes problèmes, mais dans des circonstances complètement différentes. » Les registres des audiences sont mis en ligne dans certaines provinces et certains territoires, mais pas partout. Il est impossible d’aviser les médias des affaires urgentes.
- Dans certains ressorts, les représentants des médias qui veulent assister à une audience doivent en faire la demande par écrit, parfois longtemps d’avance, et produire une carte de presse valide. « Entre la liberté d’entrer quand bon nous semble et l’obligation de demander l’autorisation de le faire, il y a une marge. On ne peut pas troquer la liberté et l’accessibilité pour un système de permissions. On n’a pas le choix en ce moment, mais ça ne peut pas devenir la norme », car cela affaiblirait le droit à la transparence. Il faut aussi se demander qui a le pouvoir d’approuver les demandes, et ce qui se passe en cas de refus.
- La question des coûts se pose également. L’accès à une technologie fiable est considérablement plus coûteux que le bloc sténo de base qu’utilisent les journalistes dans les salles d’audience.
- Sur les plateformes virtuelles, les journalistes sont généralement mis en sourdine par l’hôte de la réunion. Ils ne peuvent donc pas exercer leur droit de faire des observations en cas de requête d’ordonnance de non-publication.
- L’accès aux archives judiciaires est restreint, puisque ce ne sont pas tous les tribunaux qui ont des registres électroniques.
Me Hutt a aussi souligné que les médias seront en mesure de s’adapter, quelle que soit la plateforme choisie par le tribunal. Mais pour l’instant, les « multiples solutions ad hoc » n’aident en rien à dissiper la confusion générale.
Selon lui, les audiences virtuelles sont là pour de bon – une opinion que partage Paul Crampton, juge en chef de la Cour fédérale et membre du groupe de travail de l’ABC. Le juge Crampton est d’avis que les investissements réalisés par les tribunaux et la commodité des audiences virtuelles – qui entraînent parfois une baisse des coûts – ont de bonnes chances de rendre ces dernières de plus en plus populaires.