Expression sexuelle dans les maisons de soins de longue durée : consentement et capacité

29 février 2016

La Windsor Review of Legal and Social Issues a publié, en 2014, un texte s’intitulant « Sexual Expression In Long-Term Care Homes: Consent & Capacity »1. Cet article offre aux juristes en droit des aîné(e)s un aperçu de la question de l’expression sexuelle dans les maisons de soins de longue durée. Cet enjeu actuel demeure à l’ordre du jour de la plupart des conférences sur le droit des aîné(e)s.  Et il a soulevé un débat et suscité des discussions lors de la conférence nationale de 2015 sur le droit des aîné(e)s, tenu à Vancouver. La Section du droit des aîné(e)s de l’Association du Barreau canadien est ravie de proposer à son lectorat le présent précis sur l’article susmentionné, tel qu’expliqué par l’auteure.

Les Canadiennes et Canadiens prennent de l’âge et plusieurs d’entre eux habiteront bientôt dans une maison de soins de longue durée. Le principe fondamental à mettre en application de la Loi sur les foyers de soins de longue durée de l’Ontario est celui selon lequel « un foyer de soins de longue durée est avant tout le foyer de ses résidents et doit être exploité de sorte qu’ils puissent y vivre avec dignité et dans la sécurité et le confort, et que leurs besoins physiques, psychologiques, sociaux, spirituels et culturels soient comblés de façon satisfaisante »2. Ses résident(e)s devraient avoir la liberté et l’intimité nécessaires pour s’exprimer sexuellement, pourvu que cela soit licite au sens de la loi. Toutefois, la capacité, la confidentialité et la confusion à l’égard du rôle des familles dans les questions relatives au consentement représentent des sources de préoccupation pour lesquelles la loi actuelle fournit peu d’indices.

Les maisons de soins de longue durée sont assujetties à un devoir  d’obligation de soins3 et peuvent  se trouver en situation de responsabilité civile si elles sont incapables d’effectuer une évaluation de la capacité de consentement à une activité sexuelle, de fournir un milieu sécuritaire et intime favorisant l’expression sexuelle, d’intervenir lors d’activités sexuelles entre deux résidents lorsque l’un d’eux ou les deux sont incapables de manifester leur consentement, ou de former convenablement les employés pour qu’ils puissent cerner les situations où cette capacité peut poser problème. Cependant, les politiques créées pour prévenir les abus ne peuvent pas simplement interdire les activités sexuelles entre les résident(e)s. Pour trouver le juste milieu entre protéger les gens qui en ont besoin et permettre à ceux qui sont légitimement capables de décider d’avoir des relations sexuelles, il faut tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris les suivants :

  • Que comporte la capacité de consentement à une activité sexuelle?
  • Comment cette capacité devrait-elle être établie?
  • Qui devrait la déterminer?
  • Quand la capacité d’une personne à donner son consentement à une activité sexuelle devrait-elle être évaluée?

La présomption légale de capacité en Ontario4 s’applique à moins qu’il y ait une raison valable de croire en l’incapacité d’un(e) résident(e)5. Il faut une preuve probante pour réfuter la présomption et, nonobstant la présence d’une déficience, la question pertinente consiste à savoir si la personne possède la capacité suffisante de respect des exigences de la loi6. Ainsi, même lorsqu’un(e) résident(e) d’une maison de soins de longue durée reçoit un diagnostic de déficience cognitive, on doit présumer de sa capacité à donner son consentement à une activité sexuelle.

En Ontario, la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui établit qu’une personne est incapable de prendre soin d’elle-même « si elle ne peut pas comprendre les renseignements qui sont pertinents à la prise d’une décision concernant ses propres soins de santé, son alimentation, son hébergement, son habillement, son hygiène ou sa sécurité, ou si elle ne peut pas évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou d’une absence de décision »7. Les deux volets de cette définition doivent être respectés pour qu’une personne soit reconnue mentalement apte dans le domaine soumis à une évaluation.

La distinction entre « ne pas comprendre » et « être incapable de comprendre » est considérable. Dans un contexte d’expression sexuelle, il faut qu’une personne possède une connaissance élémentaire des parties du corps humain, des attouchements sexuels et non sexuels, des attouchements qui sont considérés comme un abus ou non, et de tout lien de cause à effet entre un contact et des conséquences négatives. Dans l’affaire Salzman v. Salzman, Mme Salzman souffrait de la maladie d’Alzheimer et, conséquemment, puisqu’elle ignorait tout de son intervention chirurgicale au colon, elle était incapable d’évaluer les conséquences potentiellement négatives des saignements abondants qu’entraînaient les relations sexuelles anales. Le problème ne résidait pas dans le fait qu’elle n’en avait pas évalué les conséquences raisonnablement prévisibles, mais qu’elle était cognitivement incapable de faire ce raisonnement, un lien de cause à effet entre le manque de compréhension et le résultat négatif8.

Trois principes liés aux maisons de soins de longue durée sont évoqués dans la définition de consentement de l’article 273.1 du Code criminel : toute personne doit posséder la capacité juridique de donner son consentement9; un tiers ne peut donner un consentement au nom d’une autre personne 10; tout consentement ne s’applique qu’au moment présent - une personne ne peut donner à l’avance son consentement à une activité sexuelle11. Les paragraphes 273.1(1) et (2) exposent les cinq critères requis pour déduire qu’une personne a la capacité de donner son consentement à une activité sexuelle : la compréhension élémentaire de ce que sont les attouchements sexuels et non sexuels, la capacité d’exprimer un choix personnel, la capacité de résister à la coercition ou l’exploitation (verbalement ou non verbalement), la capacité de reconnaître la détresse et le refus d’un(e) partenaire et de cesser l’activité, et la capacité de comprendre quels sont les endroits et les moments appropriés et non appropriés.

Le Code criminel, la structure d’évaluation de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui et la jurisprudence prescrivant les seuils juridiques de la capacité dans d’autres domaines12 donnent un aperçu des limites des critères qui définissent la capacité de consentement sexuel et devraient servir de références en vertu desquels les maisons de soins de longue durée établissent le moment où il faut intervenir et demander une évaluation13.

Les évaluations cliniques ne sont pas des évaluations juridiques de la capacité. Si une évaluation juridique s’avère nécessaire, l’établissement doit suivre la procédure adéquate pour la mener, comme l’exige la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui. Bien que la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui ne définisse pas spécifiquement les exigences relatives à la capacité de consentement à une activité sexuelle, elle fournit une structure qui en régit l’évaluation. Les mesures préventives ne devraient constituer un facteur que si un(e) résident(e) ne peut donner son consentement dans les limites de la définition de capacité exposée dans l’article 45 de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui.

Les maisons de soins de longue durée devraient adopter une politique visant l’expression sexuelle des résident(e)s (et la partager avec les résident(e)s, les familles, les mandataires et fondés de pouvoir) qui exprime clairement la présomption de capacité et les limites des mandataires et fondés de pouvoir. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une exigence explicite de la Loi sur les foyers de soins de longue durée, l’établissement d’une telle politique souscrit au préambule et aux exigences des paragraphes 1, 2(6) et 3, et est compatible avec l’obligation de diligence des maisons de soins de longue durée.

Les maisons de soins de longue durée devraient être au fait de la liberté des résident(e)s de s’exprimer sexuellement, être vigilantes face à la question de la capacité d’expression sexuelle, et résolue dans leurs requêtes d’évaluation de la capacité lorsque des appréciations cliniques ou des comportements observés laissent entrevoir des risques raisonnablement prévisibles de préjudices à un(e) résident(e).

Emily Hayter est une avocate- procureure de Toronto.

Notes

(disponibles en anglais seulement)

  1. Emily Hayter, “Sexual Expression In Long-Term Care Homes: Consent & Capacity” (2014) 35 WRLSI 54. This précis has been provided with the permission of the Windsor Review of Legal and Social Issues
  2. Long-Term Care Homes Act, 2007, SO 2007, c 8, s 1
  3. See Wellesley Hospital v. Lawson (1977), [1978] 1 SCR 893, 76 DLR (3d) 688; Stewart v. Extendicare Ltd, [1986] 4 WWR 559, 38 CCLT 67 (Sask QB)
  4. 4Substitute Decision Act, 1992, SO 1992, c 30, s 2 [SDA]; Health Care Consent Act, 1996, SO 1996, c 2 Sch A, s 4(2)
  5. See e.g. SDA, supra note 2, s 2(3)
  6. Re Koch, 33 OR (3d) 485 at para 107 (available on CanLII) (ON SC) (Quinn J)
  7. Supra note 2, s 45 [emphasis added]; see also Ontario, Ministry of the Attorney General, Guidelines for Conducting Capacity Assessments (Capacity Assessment Office, May 2005)
  8. Ibid (Unfortunately, no capacity assessment was conducted in this case, and while not fatal to the decision, an assessment and subsequent analysis by the court would have been useful for lawyers, judges, assessors, LTC home personnel, and advocates for the elderly. As with any assessment of capacity, the determination is fact dependent and case specific, but this was a missed opportunity to see how the “understand and appreciate” test is implemented for capacity to consent to sexual activity)
  9. Criminal Code, RSC 1985, c C-46, s 273.1(2)(b).
  10. Ibid, s 273.1(2)(a)
  11. Ibid, s 273.1(2)(e); see also R v. J(A), 2011 SCC 28, 2 SCR 440
  12. See for e.g. Banton v Banton (1998), 164 DLR (4th) 176, 66 OTC 161 (Ont Ct J) (Cullity J).
  13. The inability to meet some or all of these criteria would not necessarily preclude a resident from sexual activity