Maltraitance des aînés : En quoi l’Ontario peut-il s’inspirer des autres provinces?

22 janvier 2016

Les personnes âgées – c’est-à-dire âgées de 65 ans et plus – représentent actuellement 15 % de la population du Canada. En 2036, elles devraient constituer environ le quart de la population1. Le vieillissement de la population soulève de nombreuses préoccupations quant à la maltraitance – tant physique que psychologique et financière – des aînés.

Partout au Canada, les provinces ont adopté plusieurs types de lois visant à protéger les aînés contre la violence et la négligence. En Ontario, il existe deux types de lois :

  • Les lois relatives à la violence institutionnelle, qui visent la maltraitance en milieu institutionnel, comme les établissements de soins et les résidences pour personnes âgées, et rendent obligatoire le signalement de tout soupçon de maltraitance2.
  • La Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui3, qui régit les tutelles, comporte des dispositions sur la protection des adultes obligeant le Tuteur et curateur public à enquêter sur toute allégation selon laquelle une personne est incapable de prendre soin de sa personne (art. 62) ou de ses biens (art. 27) et pourrait subir des préjudices en conséquence. Si l’enquête révèle que la personne est incapable de s’occuper de sa personne ou de ses biens, le TCP doit demander au tribunal, par voie de requête, de rendre une ordonnance le nommant tuteur temporaire.

Des modifications législatives proposées récemment en Ontario pourraient rendre le signalement obligatoire pour tous les professionnels qui travaillent avec des aînés, que ceux-ci habitent chez eux ou dans un établissement. Le projet de loi 148, Loi de 2015 sur la protection des personnes âgées vulnérables dans la collectivité, est un projet d’initiative parlementaire dont l’objectif est de modifier la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui de façon à obliger les membres d’une profession de la santé réglementée à signaler tout soupçon raisonnable de maltraitance ou de négligence d’une personne âgée. Plus tôt ce mois-ci, ce projet de loi a passé l’étape de la deuxième lecture à l’Assemblée législative et a été porté devant le Comité permanent de la politique sociale.

En vertu du projet de loi 148, les professionnels de la santé seraient obligés de signaler tout soupçon de maltraitance à un agent de la paix, au Tuteur et curateur public ou à une autre personne autorisée. Pour faire respecter cette obligation, les défauts de signalement de la part des professionnels de la santé seraient considérés comme des inconduites professionnelles. En même temps, le projet protège les dénonciateurs en interdisant les actions en justice contre les professionnels de la santé ayant fait un signalement de bonne foi.

Les changements proposés rapprocheraient le modèle ontarien de celui de plusieurs provinces de l’Atlantique4, où les lois protégeant les adultes contre la maltraitance sont semblables à celles qui protègent les enfants, comme la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario5.

Vu le nombre élevé des cas de maltraitance d’aînés, nombreux sont ceux qui insistent sur la nécessité d’adopter une obligation de signalement. Soo Wong, la députée provinciale ayant présenté le projet de loi 148, et des députés qui l’ont appuyé durant la deuxième lecture6, ont présenté ces statistiques pour le moins alarmantes :

  • De 40 000 à 200 000 aînés ontariens sont ou ont été victimes de maltraitance7.
  • Dans environ 80 % des cas, l’agresseur récidive8.
  • Dans environ 43 % des cas, l’agresseur est un enfant adulte de la victime9.
  • Sinon, l’agresseur est le plus souvent l’époux ou l’épouse de la victime10.

Toutefois, ce ne sont pas tous les intervenants qui soutiennent ce projet de loi, ni même l’approche générale de l’Ontario, qui lutte contre la maltraitance dans le cadre de la loi sur les tutelles.

Selon la Commission du droit de l’Ontario, bien que les régimes de protection permettent aux organismes gouvernementaux d’aider les aînés, ils le font au détriment de leur autonomie : une intervention forcée dans les affaires d’une personne âgée capable de prendre ses propres décisions pourrait faire plus de mal que de bien11.

L’organisme Advocacy Centre for the Elderly ajoute que le signalement obligatoire risque d’infantiliser les personnes âgées « sans pour autant leur garantir les droits ou les ressources dont elles ont besoin pour stopper la négligence ou la maltraitance dont elles sont victimes12. »

De plus, le signalement obligatoire n’a aucun effet sur les causes profondes de la maltraitance des aînés ni sur les facteurs qui y contribuent, lesquels sont très nombreux. Voici quelques exemples de facteurs relevés par la Commission ontarienne des droits de la personne :

  • l’âgisme, et une attitude négative généralisée envers les aînés;
  • le manque de services communautaires;
  • le manque de places dans les établissements de soins de longue durée et de logements accessibles et à prix abordable;
  • la vulnérabilité économique et sociale des personnes âgées;
  • le manque de refuges d’urgence pour les aînés qui souhaitent fuir une situation de maltraitance;
  • le stress et l’épuisement des soignants, tant les professionnels surchargés que les aidants naturels qui ne bénéficient pas d’un véritable soutien communautaire ou gouvernemental13.

Selon la Commission, des programmes de sensibilisation offrant renseignements et soutien aux aînés seraient aussi efficaces que le signalement obligatoire, tout en étant beaucoup moins intrusifs14.

Au vu de ces préoccupations, l’Ontario devrait peut-être s’inspirer de l’Adult Guardianship Act de la Colombie-Britannique15, que l’ACE qualifie d’approche « hybride ». Au lieu d’une tutelle imposée par le tribunal, cette loi autorise l’intervention en cas de maltraitance ou de négligence, ce qui permet d’aider les victimes sans pour autant leur retirer leur autonomie16.

Si le projet de loi 148 est adopté, peu importe les modifications qui lui auront été apportées durant la période d’étude, il ne constituera au mieux qu’une solution partielle au problème de la maltraitance des aînés.

Laura Cardiff est avocate adjointe chez Whaley Estate Litigation.

Notes de fin

  1. Andrea Taylor-Butts, Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, 2015.
  2. La Loi de 2007 sur les foyers de longue durée, L.O. 2007, chap. 8 et la Loi de 2010 sur les maisons de retraite, L.O. 2010, chap. 11 contiennent toutes deux des dispositions rendant obligatoire le signalement de la maltraitance.
  3. L.O. 1992, chap. 30.
  4. Voir, par exemple, le Neglected Adults Welfare Act, RSNL 1990, chap. N.3, art. 2. de Terre-Neuve-et-Labrador, et l’Adult Protection Act, RSNS 1989, chap. 2, art. 3 de la Nouvelle-Écosse.
  5. L.R.O. 1990, chap. C.11.
  6. Journal des débats, Assemblée législative de l’Ontario, le jeudi 10 décembre 2015.
  7. Maltraitance des personnes âgées Ontario, « Qu’est-ce que la maltraitance des personnes âgées »
  8. Ibid.
  9. Andrea Taylor-Butts, La violence familiale au Canada, supra.
  10. Ibid.
  11. Commission du droit de l’Ontario, Cadre du droit touchant les personnes âgées : Promotion d’une égalité réelle pour les personnes âgées par les lois, les politiques et les pratiques (Toronto, avril 2012), p. 104-105, citation partielle du rapport Adult Protection and Elder Abuse de laCommission manitobaine de réforme du droit (Winnipeg, 1999), p. 23.
  12. Advocacy Centre for the Elderly, Submission to the Law Commission of Ontario Concerning the Law as it Affects Older Adults (Toronto, juillet 2008), p. 10.
  13. 13. Commission ontarienne des droits de la personne, Il est temps d’agir : Faire respecter les droits des personnes âgées en Ontario (Toronto, juin 2001), p. 69-70.
  14.  Ibid., p. 70.
  15. RSBC, chap. 6.
  16. Advocacy Centre for the Elderly, Submission to the Law Commission of Ontario, supra, p. 9.