L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) comporte des règles d’origine complexes qui énoncent les dispositions pour que les produits automobiles soient considérés comme « originaires » et, par conséquent, admissibles au traitement tarifaire préférentiel. Pour être admissibles à un tel traitement, les produits automobiles doivent respecter une exigence de teneur en valeur régionale (TVR), c’est-à-dire la teneur des produits originaires d’Amérique du Nord. L’ACEUM a remplacé les anciennes règles d’origine de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) par des règles beaucoup plus strictes exigeant une TVR plus élevée pour les pièces et les véhicules automobiles admissibles, l’objectif étant d’encourager la construction automobile nord-américaine. Les règles d’origine de l’ACEUM ont été âprement négociées par les trois gouvernements et par les constructeurs automobiles nord-américains qui étaient visés directement, non seulement par le pourcentage de TVR requis, mais aussi par le calcul de la TVR.
Peu après la ratification de l’ACEUM, un différend est survenu au sujet de l’application des règles d’origine à certaines pièces essentielles des véhicules. Lorsque les règles d’origine de l’ACEUM à l’égard de ces pièces admissibles sont respectées, la valeur des matières non originaires qui entrent dans la fabrication des pièces essentielles est « absorbée », et ces matières sont considérées comme des matières originaires. Le Canada et le Mexique soutenaient que les pièces essentielles considérées comme des pièces originaires en vertu des dispositions de calcul de l’ACEUM devraient être considérées comme des pièces pleinement originaires dans le calcul de la TVR du véhicule fini. Selon cette interprétation, il serait plus facile pour les véhicules d’être admissibles au traitement tarifaire préférentiel. Les États-Unis n’étaient pas du même avis. Ils affirment que seule la teneur des matières originaires des pièces essentielles non absorbée devrait être prise en compte dans le calcul de la TVR des véhicules. Cette interprétation a surpris non seulement le Mexique et le Canada, mais aussi l’industrie automobile nord-américaine.
Dans un rapport final rendu public en janvier 2023, un groupe d’arbitrage de l’ACEUM (le groupe) s’est rangé du côté du Canada et du Mexique, précisant que la valeur des matières non originaires pouvait être absorbée dans la TVR des pièces essentielles originaires du véhicule lors du calcul de la TVR totale du véhicule. Un porte-parole du Bureau du représentant américain au commerce a qualifié la décision de « décevante » [Traduction], soutenant que les États-Unis [Traduction] « discuteront avec le Mexique et le Canada pour trouver une possible résolution au différend […] ».
(a) Principales dispositions en cause
Le nœud du différend entre les parties concernait le chapitre 4 de l’ACEUM intitulé Règles d’origine. Ce chapitre comporte plusieurs annexes, dont l’annexe 4-B, qui contient elle-même l’appendice Dispositions relatives aux règles d’origine spécifiques s’appliquant aux produits automobiles (l’appendice automobile). L’alinéa 4.5.4 de l’ACEUM qui porte sur le principe d’absorption était au cœur du différend. En vertu de cet alinéa, une partie qui calcule la TVR d’un produit ne doit pas inclure « la valeur des matières non originaires utilisées pour produire des matières originaires qui sont par la suite utilisées dans la production du produit ».
(b) Arguments des parties
Devant le groupe, le Mexique a soutenu que lorsqu’un constructeur automobile calcule la TVR d’une pièce essentielle selon les dispositions des paragraphes 3.8 ou 3.9 de l’appendice automobile et que la TVR atteint le seuil requis au paragraphe 3.2 du même appendice, alors la pièce essentielle est considérée comme originaire conformément au paragraphe 3.7 de l’appendice automobile. Le Mexique a également avancé que l’application de l’alinéa 4.5.4 de l’ACEUM permet d’absorber la valeur totale de la pièce essentielle originaire lorsque la pièce essentielle entrait dans la fabrication d’un véhicule1.
Le Canada en est arrivé à la même conclusion en adoptant une approche légèrement différente. Il a plutôt cité le paragraphe 3.7 de l’appendice automobile qui indique qu’une pièce essentielle est considérée comme originaire si elle est conforme à la TVR applicable. De l’avis du Canada, le terme « originaire » au paragraphe 3.7 de l’appendice automobile et le terme « originaire » à l’alinéa 4.5.4 de l’ACEUM avaient le même sens et sont donc concluants dans le cas du différend2.
En revanche, les États-Unis ont avancé que l’appendice automobile comportait deux exigences distinctes et divisées : une exigence quant à l’origine des pièces essentielles (paragraphes 3.7 à 3.10) et une exigence quant au TVR du véhicule complet (paragraphes 3.1 à 3.6). Ainsi, un constructeur ne peut pas utiliser les paragraphes 3.8 ou 3.9 de l’appendice automobile pour le calcul de la TVR des pièces essentielles aux fins de calcul de la TVR du véhicule complet3.
(c) Décision du groupe
Le groupe résume ainsi l’incidence du différend entre les parties :
[Traduction] La différence entre les arguments du Canada et du Mexique et ceux des États-Unis est importante parce qu’elle influe, et peut-être dans une grande mesure, sur la teneur en valeur régionale d’un véhicule et, par conséquent, sur l’admissibilité de ce véhicule à un traitement tarifaire préférentiel. […] Bref, l’interprétation du Canada et du Mexique facilite l’admissibilité des véhicules au traitement préférentiel4.
En acceptant l’interprétation du Canada et du Mexique, le groupe a acquis la conviction que le terme « originaire » était clé5. Il a conclu qu’en vertu du paragraphe 3.7 de l’appendice automobile les constructeurs sont tenus de déterminer si leurs pièces essentielles sont des pièces originaires et qu’une fois cette détermination faite ils peuvent appliquer l’alinéa 4.5.4 de l’ACEUM pour absorber complètement la TVR de la pièce essentielle aux fins du calcul de la TVR du véhicule complet6. [Traduction] « Pour conclure autrement, il faudrait une exemption expresse ou l’utilisation d’un langage entièrement différent7. »
Il convient de souligner que le groupe a pris en délibéré les déclarations faites par les négociateurs des États-Unis aux représentants du Canada et de l’industrie automobile depuis juin 2020. Plus particulièrement, le groupe a établi que dans un courriel envoyé par le négociateur principal des États-Unis avant l’entrée en vigueur de l’ACEUM, les États-Unis [Traduction] « se sont présentés comme partageant l’interprétation avancée par le Mexique et le Canada dans le différend8 ».
(d) Attentes actuelles de l’industrie automobile
Il est probable que le Canada respectera l’interprétation du groupe en ce qui concerne l’exportation de véhicules automobiles vers le Canada. De plus, dans la mesure où il peut démontrer des pertes pour les parties exportatrices canadiennes qui expédient des véhicules automobiles vers les États-Unis, le Canada peut mettre en œuvre des mesures de rétorsion commerciale sur les exportations des États-Unis vers le Canada. Enfin, les parties peuvent choisir de prendre des mesures politiques à la lumière de la décision du groupe, y compris demander la renégociation de l’ACEUM ou de ses règles d’origine s’appliquant aux produits automobiles.w
Peter E. Kirby est consultant, Steven F. Rosenhek est associé et Daniella Murynka est associée chez Fasken.
Notes de fin
1 Rapport final du groupe d’arbitrage établi en vertu du paragraphe 31(106) de l’ACEUM qui est entré en vigueur le 1er juillet 2020 (disponible uniquement en anglais) [« Final Report »].
2 Ibid., paragraphe 109.
3 Ibid., paragraphes 111 à 113.
4 Ibid., paragraphes 136 à 138.
5 Ibid., paragraphe 146.
6 Ibid., paragraphe 150.
7 Ibid., paragraphe 150.
8 Ibid., paragraphe 199.