La Cour suprême rejette les arguments de l’importateur dans son premier arrêt sur les tarifs douaniers

06 mars 2017

La Cour suprême du Canada a rendu sa première décision sur les tarifs douaniers dans l’affaire Canada c. Igloo Vikski Inc. (2016 CSC 38). L’arrêt offre une assistance pour l’application des Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé, plus particulièrement dans le contexte de la relation entre les différentes règles qui s’éclairent les unes les autres.

Les marchandises en litige étaient des gants attrape-rondelles et des gants bloqueurs utilisés en hockey sur glace par les gardiens de but. Ces gants sont faits en matières textiles et plastiques cousues ensemble. L’Agence des services frontaliers du Canada a classé les marchandises dans le numéro tarifaire 6216.00.00, soit « gants, mitaines et moufles » (pour lequel le taux des droits de douane de la nation la plus favorisée s’élève actuellement à 18 %). L’importateur avait demandé une nouvelle détermination de la classification, soutenant que les marchandises devraient tomber dans le numéro tarifaire 3926.20.92, « autres ouvrages en matières plastiques » (pour lesquels le taux des droits de douane de la nation la plus favorisée s’élève actuellement à 6,5 %). Le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) était d’accord avec la Couronne, mais la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de l’importateur et a conclu que la décision du TCCE était déraisonnable au motif d’une application erronée des Règles générales. La Couronne a déposé un pourvoi devant la Cour suprême.

L’application correcte des Règles générales 1 et 2b) constituait la pomme de discorde. Selon la Règle 1, le classement des marchandises se fait initialement selon les termes des positions d’un chapitre du Tarif douanier, ainsi que de toute Note de Section ou de Chapitre applicable. Lorsque la Règle 1 ne détermine pas avec certitude le classement de la marchandise, les autres règles doivent être analysées.

La Couronne et l’importateur convenaient que les marchandises ne pouvaient pas être classées dans le numéro tarifaire 3926.20.92 exclusivement au moyen de la Règle 1, car les notes explicatives de la position 39.26 précisaient que « sont donc compris ici : Les vêtements […] confectionnés par couture ou collage à partir de matières plastiques en feuille ». En l’espèce, les marchandises n’étaient pas fabriquées au moyen de la couture ou du collage de feuilles de plastique. Elles étaient considérées comme répondant à la description de la position 62.16 au moyen de la Règle 1. Cependant, selon la note explicative de cette position, lorsque les matières plastiques excèdent le rôle de simple garniture (comme c’était le cas en l’espèce), les marchandises doivent être classées conformément aux (autres) Règles générales.

Il fallait, pour ce faire, analyser la Règle 2b) qui s’applique lorsqu’une marchandise est constituée d’un mélange de matières et qui dispose que la mention de marchandises correspondant à une position donnée sera réputée inclure les marchandises composées en tout ou en partie des matières visées. Si, après avoir examiné la Règle 2b), la marchandise ne peut d’emblée être classée que dans une seule position, elle y est inscrite. Si, cependant, elle peut correspondre à plus d’une position, la Règle 3 s’applique afin de déterminer le classement approprié. Cette dernière règle exige essentiellement un classement en fonction de la matière qui confère à la marchandise son caractère essentiel.

L’importateur soutenait que bien que les marchandises n’aient pu être classées dans la position 39.26 au moyen de la Règle 1, l’application de la Règle 2b) (au moyen de la Note explicative de la position 62.16), autorisait un classement prima facie des marchandises aussi bien comme des articles en plastique (3926.20.92) que comme gants, mitaines et moufles (6216.00.00), de sorte que la Règle 3 devait être appliquée pour classer les marchandises en matières plastiques au motif que la matière plastique leur conférait leur caractère essentiel. Au fond, l’importateur soutenait que la position du tarif 3926.20.92 pouvait de nouveau faire partie de l’analyse une fois l’analyse de la Règle 2b) exigée.

La majorité des juges de la CSC a rejeté l’interprétation suggérée par l’importateur et autorisé le pourvoi de la Couronne. La Cour a affirmé que les Règles générales doivent être appliquées en tandem. Par conséquent, la Règle 1 continue à être pertinente même dans le contexte de l’analyse des autres Règles générales. La majorité des juges de la CSC a cité la Note explicative XII de la Règle 2b) selon laquelle la Règle n’élargit cependant pas la portée des positions qu’elle concerne jusqu’à pouvoir y inclure des articles qui ne répondent pas, ainsi que l’exige la Règle 1, aux termes des libellés de ces positions. Qui plus est, la Règle 2 n’aurait pas lieu d’être si elle n’était pas appliquée en tandem avec la Règle 1 puisqu’elle a pour objet de guider l’application de la Règle 1 lorsque la marchandise en litige est incomplète ou composée de plusieurs matières.

Pour ces motifs, il a été réputé raisonnable pour le TCCE de conclure que parce que les marchandises ne correspondaient pas à la description de la position 39.26 en vertu de l’application de la Règle 1, la Règle 2b) ne pouvait être utilisée pour étendre cette position afin d’y faire entrer les marchandises.

Il importe de noter que la conclusion à laquelle est parvenue la majorité des juges de la CSC semble constituer une interprétation raisonnable des Règles générales et correspondre à la politique qui sous-tend le Tarif douanier. Plus particulièrement, selon la décision, la détermination du classement doit être axée sur les libellés des positions sans égard à la question de savoir si les autres Règles générales pourraient s’appliquer, ce qui, à notre avis, est approprié.

Ceci étant dit, la façon dont la Règle 1 a été appliquée concernant le classement proposé par l’importateur au départ est peut-être l’aspect le plus intéressant de cet arrêt. Il semble inapproprié de refuser aux marchandises un classement dans la position 39.26 conformément à la Règle 1 en se fondant apparemment uniquement sur le libellé selon lequel parmi les marchandises couvertes par ce tarif « sont compris » les vêtements confectionnés par couture ou collage à partir de matières plastiques en feuilles. L’analyse dissidente de la juge Côté sur ce point est préférée. Elle souligne que ce libellé ne limite pas ce qui peut être classé dans la position 39.26, mais décrit simplement le genre d’articles qu’elle comprend. Bien que la décision de la majorité n’ait pas ignoré ce point, elle a conclu que l’analyse opposée du TCCE n’était pas déraisonnable. Cela suggère que les cours d’appel reconnaîtront dans une large mesure les décisions du TCCE. Il sera par conséquent difficile de faire invalider, par voie d’appel, les décisions de ce tribunal quant au classement tarifaire.

Rob Kreklewetz et Bryan Horrigan travaillent au cabinet Millar Kreklewetz LLP à Toronto