Au Canada, la plupart des services financiers sont exemptés de la taxe en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LTA). Les institutions financières ne peuvent donc pas exiger la TPS/TVH ni réclamer de crédits de taxe sur les intrants et recouvrer la TPS/TVH qu’ils déboursent pour fournir les services visés par cette exemption.
Cette non-admissibilité aux crédits de taxe sur les intrants peut inciter les institutions financières à se procurer des biens et services dans les provinces non participantes, où il n’y a pas de TVH (pour ne payer que les 5 % de la TPS), ce qui se ferait au détriment des provinces participantes. Pour prévenir ce scénario, la LTA et le Règlement sur la méthode d'attribution applicable aux institutions financières désignées particulières (TPS/TVH) (Règlement sur les IFDP) – ou les règles de la MAS – prévoient une méthode d’attribution spéciale que les institutions financières désignées particulières doivent utiliser pour calculer leur composante de TVH provinciale selon l’endroit où ils fournissent les services financiers exemptés plutôt que celui où ils achètent leurs intrants. Avec cette méthode, la taxe nette est calculée selon des « pourcentages d’attribution » déterminés suivant le type d’institution financière.
Dans sa récente décision Farm Credit Canada v. Canada, 2017 FCA 244, la Cour d’appel fédérale a dû composer avec la complexité des règles de la MAS. L’appelant en l’espèce était une société d’État fédérale fournissant des services financiers spécialisés dans le secteur agricole. À la différence de la plupart de ses concurrentes du secteur privé, elle n’acceptait pas de dépôts du public pour financer ses prêts.
Après que l’appelante eut produit ses déclarations de TPS/TVH en tant que société régie par les dispositions générales du Règlement sur les IFDP, l’Agence du revenu du Canada a procédé à une réévaluation au motif qu’elle était une société de prêts, et donc qu’elle était assujettie à un pourcentage d’attribution supérieur à celui prévu pour les sociétés régies par les dispositions générales.
L’appelante s’est pourvue en appel à la Cour canadienne de l’impôt en faisant valoir que le terme société de prêts n’était pas explicitement défini dans la LTA ou dans le Règlement sur les IFDP, et devait être interprété dans le sens que lui donnent les lois fédérales et provinciales régissant les sociétés de fiducie et de prêt. Or, ces lois définissent explicitement la société de prêts comme une entité réglementée qui accorde des prêts financés par des dépôts du public.
La Cour a fondé son interprétation du terme société de prêts sur une analyse TCT, à savoir une analyse textuelle, contextuelle et téléologique présentée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54. Ayant ainsi pris position, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le terme société de prêts utilisé dans le Règlement sur les IFDP désignait toute société ayant pour activité principale d’accorder des prêts.
En instance supérieure, la Cour d’appel fédérale a procédé à sa propre analyse TCT dans les termes suivants :
[TRADUCTION]
Texte : Le fait qu’un terme soit défini d’une certaine manière dans d’autres lois ne signifie pas que ce terme ait un sens légal établi, surtout quand les autres lois visent un objet fondamentalement différent. Les lois citées par l’appelante ont pour objet l’enregistrement des sociétés de fiducie et de prêt dans les ressorts où elles font des affaires, ce qui diffère beaucoup de l’objet du Règlement sur les IFDP, qui est de taxer les sociétés uniformément, indépendamment d’où elles ont pignon sur rue au Canada. Rien dans le libellé n’indique que le terme société de prêts signifierait quoi que ce soit d’autre qu’une société accordant des prêts.
Contexte : Si le Parlement avait eu l’intention de restreindre la portée du terme société de prêts au sens d’entité réglementée acceptant des dépôts, il aurait pu le faire explicitement. Rien n’indique qu’il ait voulu taxer les institutions financières selon leur statut réglementaire. Au contraire, la manière dont le Parlement décrit les types d’institutions financières désignées indique une classification fondée sur la nature de leurs activités.
Objet : L’interprétation du terme société de prêts dans le sens d’une société ayant comme principale activité d’accorder des prêts cadre avec l’objet des règles de la MAS, soit de dissuader les institutions financières d’acquérir tous leurs intrants dans les provinces non participantes.
Par conséquent, la cour d’appel a débouté l’appelante et confirmé qu’au sens du Règlement sur les IFDP, le terme société de prêts désignait toute société dont l’activité principale est de consentir des prêts.
Le Règlement sur les IFDP et les règles de la MAS sont déjà assez complexes, sans qu’il faille tenir compte des définitions d’autres lois fédérales ou provinciales dont l’objet est fondamentalement différent. En l’absence d’une définition explicite dans la LTA et ses règlements, les décisions de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale démontrent la rigueur de la doctrine de l’analyse TCT, et ces instances semblent être parvenues à une conclusion raisonnable sur les questions tranchées.
Robert G. Kreklewetz et Steven Raphael sont avocats chez Millar Kreklewetz LLP à Toronto.