Presque tous les états appliquent le principe du jus sanguinis en matière de droit de la citoyenneté, et le Canada ne fait pas exception. Toutefois, contrairement à l’Europe, le Canada a imposé des limites arbitraires aux demandes de citoyenneté découlant du principe du jus sanguinis.
Selon le droit canadien de la citoyenneté, les demandes fondées sur le principe du jus sanguinis se limitent à la première génération née à l’étranger (la limite de transmission de la citoyenneté à la première génération) et excluent les générations suivantes nées à l’extérieur du Canada. On pourrait soutenir que la limite de transmission de la citoyenneté à la première génération est fondée. Cependant, telle qu’elle a été adoptée, elle n’offre aucune souplesse. La Bibliothèque du Parlement a formulé les reproches suivants à l’égard de la limite de transmission de la citoyenneté à la première génération : « [l]e principal problème que [cette approche] pose est que les personnes risquent de ne pas être considérées comme Canadiens de naissance même si elles et leurs parents ont des liens manifestes avec le Canada 1 ».
Les restrictions prévues par la loi devraient offrir une certaine souplesse, surtout en cette époque de mondialisation où les Canadiens et les Canadiennes voyagent et interagissent de plus en plus avec le reste du monde. À l’heure actuelle, la limite de transmission de la citoyenneté à la première génération a eu incontestablement une incidence sur plusieurs Canadiens et Canadiennes, y compris ceux et celles qui ont eu un enfant :
- avec un ressortissant étranger pendant un séjour temporaire à l’extérieur du Canada; ou
- lorsqu’ils résidaient dans une collectivité frontalière où l’hôpital le plus proche se trouve aux États-Unis; ces enfants étant appelés « bébés de la frontière ».
Au cours d’un débat électoral en 2015, le premier ministre Justin Trudeau s’est exprimé ainsi : « un Canadien est un Canadien. Vous dévalorisez la citoyenneté de chaque Canadien dans cet endroit, dans ce pays, lorsque vous la divisez et y imposez des conditions ». La limite de transmission de la citoyenneté à la première génération ternit pourtant le droit canadien de la citoyenneté et a pour effet d’empêcher que de nombreux candidats à la citoyenneté obtiennent leur citoyenneté canadienne.
Cela soulève donc la question suivante : est-il possible d’élargir la portée du principe du jus sanguinis au-delà de la première génération, sans ouvrir la citoyenneté aux personnes nées de parents qui ont quitté le Canada et ont rompu leurs liens?
Retour à l’ancien modèle canadien
Entre 1977 et 2009, comme aujourd’hui, une personne de la première génération née à l’étranger avait un droit absolu à la citoyenneté canadienne. Cependant, les personnes des générations suivantes nées à l’étranger perdaient automatiquement leur citoyenneté canadienne lorsqu’elles atteignaient 28 ans, sauf si, avant leur 28e anniversaire, elles avaient entrepris les démarches nécessaires pour conserver leur citoyenneté. Dans la mesure où chaque génération suivante suivait les mêmes étapes, elle pouvait conserver sa citoyenneté canadienne.
Bien qu’à première vue, cette solution puisse sembler originale, elle pose, elle aussi, beaucoup de problèmes. L’imposition d’une exigence visant à conserver la citoyenneté crée une situation où des personnes perdent leur citoyenneté canadienne arbitrairement et sans le savoir. Lorsque cet ancien modèle était en place, un grand nombre de personnes tenaient pour acquis que leur statut de citoyen canadien était permanent, et ne se renseignaient pas pour savoir si des conditions y étaient rattachées.
La troisième voie
Le Canada est loin d’être le seul pays ayant tenté d’imposer des limites au principe du jus sanguinis. La plupart des pays d’Amérique ont opté pour un droit du sol quasi universel (jus soli), mais pour une interprétation plus restreinte du principe du jus sanguinis.
Tout comme le Canada, les États-Unis imposent des limites aux demandes fondées sur le principe du jus sanguinis, mais à la différence du Canada, la restriction prévue sous le régime du droit américain tient compte des liens des parents avec les États-Unis. Selon la législation américaine actuelle en matière de citoyenneté, un enfant né à l’extérieur des États-Unis sera citoyen américain si l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie 2 :
- ses deux parents étaient citoyens américains au moment de sa naissance;
- un de ses parents était citoyen américain, et l’autre un étranger, pourvu que le parent citoyen américain ait résidé aux États-Unis depuis au moins cinq ans, dont au moins deux ans après son 14e anniversaire.
Cette option offre la souplesse nécessaire tout en limitant le droit à la citoyenneté aux personnes qui ont des liens importants avec le pays :
- elle établit le jus sanguinis en tant que principe et non selon un critère arbitraire, mais tient plutôt compte de facteurs personnels aux fins d’établissement de la citoyenneté;
- elle crée un climat de certitude plutôt que d’imposer des exigences relatives à la conservation de la citoyenneté, de façon à ce que le citoyen conserve sa citoyenneté, une fois conférée.
La loi américaine repose sur une approche équilibrée, puisqu’elle impose des limites suffisantes au principe du jus sanguinis tout en offrant la souplesse nécessaire dans les situations particulières où le principe du jus sanguinis devrait s’appliquer.
Or, la législation américaine en matière de citoyenneté n’est pas sans poser problème. L’obligation d’établir que les parents vivaient aux États-Unis pendant la période requise de cinq ans – dont au moins deux ans après leur 14e anniversaire – peut s’avérer difficile à établir pour certaines personnes, surtout pour celles qui sont séparées de leurs parents.
Si le Canada devait adopter une interprétation semblable, il pourrait vouloir privilégier la certitude pour la première génération et ne pas modifier la loi. ll ne devrait appliquer le modèle américain qu’aux générations nées après la première, afin d’apporter à ces personnes un soutien grandement nécessaire.
Conclusion
L’analyse de la limite actuelle de transmission de la citoyenneté à la première génération au Canada révèle que cette limite est trop flexible et pénalise les candidats à la citoyenneté canadienne. Il peut être dans l’intérêt du Canada d’adopter une formule semblable à celle des États-Unis, où les candidats à la citoyenneté canadienne qui ont des liens importants avec le Canada sont en mesure de transmettre leur citoyenneté, même s’ils sont nés ailleurs.
Amandeep S. Hayers est avocat au sein du cabinet Sedai