Oppression par le bruit

06 mai 2024

En août 2022, le juge Morgan de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué qu’un propriétaire d’unité n’avait pas été opprimé même s’il n’était pas satisfait des mesures prises par le conseil d’administration des copropriétaires pour répondre à ses plaintes concernant le bruit. En janvier 2024, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel du propriétaire de l’unité, confirmant ainsi la décision du juge Morgan1.

Cette affaire est pertinente pour les associations condominiales, les gestionnaires de copropriétés et leurs assureurs. Voici quelques points clés à retenir :

  1. Il existe une distinction entre le bruit provenant d’une autre unité et celui provenant d’un élément commun,
  2. Il existe une distinction entre le bruit provenant d’une utilisation licite de l’unité et celui provenant d’une utilisation illicite de cette dernière,
  3. La prise de décision des conseils d’administration des copropriétaires doit faire l’objet de déférence,
  4. L’insatisfaction d’un propriétaire d’unité à l’égard de la réponse raisonnable du conseil d’administration à une plainte relative au bruit ne suffit pas pour établir l’oppression.

Histoire du différend relatif au bruit

L’appelant vivait juste au-dessous d’une femme et de ses deux enfants, dont l’un avait besoin de soins médicaux 24 heures sur 24, impliquant un certain nombre d’équipements médicaux. Une infirmière était présente à la maison tous les soirs pour s’occuper de l’enfant pendant la nuit.

L’appelant a déposé des plaintes concernant le bruit auprès de la sécurité et de la direction, alléguant que le bruit de ses voisins à l’étage était perturbateur, surtout la nuit. Il a commencé à porter plainte contre le bruit en 2015. Le personnel de l’immeuble a enquêté à plusieurs reprises sur la source du bruit, notamment en discutant avec la résidente de l’étage. Lorsque la copropriété a déterminé que le bruit était causé par le fait que la fille de la résidente de l’étage jouait trop fort, elle a envoyé une lettre d’avertissement et la situation a apparemment été corrigée. Le conseil d’administration a proposé de mener une étude sur le bruit et d’autres inspections du bruit, mais l’appelant a refusé, affirmant que le problème avait largement disparu.

Environ quatre ans plus tard, l’appelant a recommencé à porter plainte contre le bruit. En mars 2021, il avait retenu les services d’un conseiller juridique. Le conseil d’administration a initié plusieurs études de bruit par l’intermédiaire d’un ingénieur acoustique, qui n’ont révélé aucun problème avec les éléments communs en ce qui concerne le contrôle du bruit/vibration ni aucun événement sonore important survenant dans l’unité de l’appelant. L’appelant a retenu les services d’un ingénieur acoustique pour effectuer un essai de bruit dont la méthodologie et les conclusions différaient de celles de l’ingénieur retenu par le conseil d’administration.

La demande

L’appelant (à l’époque le demandeur) a déposé une requête alléguant que l’association condominiale l’avait opprimé et n’avait pas fait respecter la Loi sur les condominiums ainsi que les règlements administratifs, déclarations et règles de l’association.

Dans la décision relative à la demande2, le juge Morgan a examiné et appliqué la législation portant sur les différends liés au bruit dans les copropriétés, en s’appuyant principalement sur :

Le juge Morgan a statué que Zaman s’appliquait le plus au cas d’espèce, où la nuisance sonore provenait d’un voisin engagé non pas dans une activité illégale ou inappropriée en soi, mais dans une activité ordinaire (conversation sur un balcon) à des heures inhabituelles de la nuit. Il a conclu que le la cour, dans Zaman, avait statué qu’un conseil d’administration de copropriétaires n’agissait pas de manière oppressive en ne mettant pas fin à ce niveau d’activité, qu’il existe certaines activités dans une unité privée que le conseil d’administration n’a tout simplement pas le pouvoir d’arrêter3.

En l’espèce, l’attention portée par le conseil d’administration aux plaintes du demandeur a été « au-delà » de ce à quoi on pouvait s’attendre4 :

Lorsque l’appelant a produit des rapports d’expertise décrivant des bruits inhabituels la nuit, la défenderesse a répondu avec ses propres rapports d’expertise. Ces rapports indiquaient que la construction du bâtiment était satisfaisante et qu’il n’y avait pas de niveau sonore excessif. Les avocats du demandeur contestent ces rapports, mais c’est ce qu’ils disent. On ne peut pas dire que la défenderesse n’a rien fait alors qu’elle a retenu deux experts différents qui ont produit des rapports que le demandeur n’aime toutefois pas.

Le juge Morgan a également refusé d’ordonner à la voisine du dessus d’installer un plancher surélevé et rembourré, ce qui semblait être le principal recours demandé en plus des dommages-intérêts pour la présumée oppression. En conséquence, il a rejeté la demande.

La Cour d’appel a confirmé le rejet de la demande

L’appel portait sur la décision du juge Morgan de ne pas ordonner à la voisine du dessus d’installer un plancher surélevé et rembourré. L’appelant a soutenu que l’article 134 de la Loi sur les condominiums autorisait une telle ordonnance. Cependant, la Cour a noté que l’objectif du juge Morgan était de rendre cette ordonnance comme remède à une prétendue oppression. La Cour d’appel a statué qu’en changeant l’orientation de son appel, l’appelant ignorait les arguments avancés devant le juge Morgan5. La Cour d’appel a statué que l’appelant ne devrait pas être autorisé à « reformuler sa demande » si tard dans le processus d’appel, alors que son choix initial n’a pas eu l’issue escomptée6. Par conséquent, seul le rejet du recours pour oppression par le juge Morgan a été examiné en appel.

La Cour d’appel n’avait aucune raison de modifier la conclusion du juge Morgan selon laquelle le conseil d’administration avait agi raisonnablement. La Cour n’a pas non plus jugé bon de modifier la conclusion selon laquelle le juge Morgan ne pouvait pas ordonner le réaménagement de l’unité située à l’étage parce que cela n’avait pas été associé à la procédure. Selon la Cour, cela revenait au cœur de l’affaire portée devant le juge chargé de la demande, à savoir la réparation contre le conseil d’administration au moyen du recours pour oppression. En conséquence, l’appel a été rejeté.

Commentaires

Les plaintes concernant le bruit peuvent être des questions compliquées. Elles deviennent plus complexes lorsqu’il s’agit d’une autre unité qui est présumée être à l’origine du bruit, par opposition à un élément commun. Le conseil d’administration se retrouve confronté à la tâche difficile de décider de la marche à suivre appropriée. Parfois, il sera nécessaire de faire appel à des experts pour vérifier le bruit reproché. Même si les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard de la décision du conseil d’administration, ils s’attendent à une réponse raisonnable de sa part. Les conseils d’administration et les gestionnaires de copropriété devraient envisager de consulter un conseiller juridique ou une conseillère juridique pour les aider à formuler une réponse appropriée à de telles plaintes.


Avi Sharabi est associé et Leigh Clark est avocate chez Stieber Berlach LLP.

Note de bas de page

1 2024 ONCA 34 [« Kikites »].

2 Kikites v York Condominium Corporation No. 382, 2022 ONSC 4606.

3 Zaman au par. 15.

4 Kikites, décision de première instance aux par. 16 à 19.

5 Kikites au par. 21.

6Ibid au par. 26.