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Quelles sont les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur la pension alimentaire pour les enfants et le conjoint? Eh bien, la pension alimentaire est largement fondée sur le revenu, mais naturellement cela dépend des circonstances. La pandémie de COVID-19 nous rappelle que personne ne peut prédire l’avenir. L’économie demeure fluctuante. Dans son Plan d’intervention économique pour répondre à la COVID-19, le gouvernement canadien continue d’adapter ses programmes de soutien financier. Cette incertitude complique les questions liées aux pensions alimentaires, particulièrement en cas de manque de confiance entre les partenaires et de stress élevé.
Alors que je rédige ceci, quatre mois après que l’OMS a déclaré la pandémie, le 11 mars 2020, nous nous trouvons à une étape délicate et incertaine où il est encore difficile de faire la distinction entre les changements véritablement temporaires et ceux qui dureront plus longtemps.
Bien que les résultats dépendent des faits, je propose les conseils suivants pour rappeler aux juristes certains des principes applicables. Commençons avec le critère prévu dans la Loi sur le divorce ou dans la législation provinciale ou territoriale applicable. Avant que le tribunal puisse exercer sa vaste compétence pour modifier une ordonnance en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur le divorce, à titre préliminaire, la personne qui demande la modification doit s’acquitter du fardeau que lui impose le paragraphe 17(4) ou 17(4.1) en ces termes :
(4) Avant de rendre une ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, le tribunal s’assure qu’il est survenu un changement de situation, selon les lignes directrices applicables, depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative de celle-ci a été rendue.
(4.1) Avant de rendre une ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un époux, le tribunal s’assure qu’il est survenu un changement dans les ressources, les besoins ou, d’une façon générale, la situation de l’un ou l’autre des ex-époux depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative de celle-ci a été rendue et tient compte du changement en rendant l’ordonnance modificative.
La CSC a confirmé sa jurisprudence antérieure qui décrit la modification, dans le contexte de la pension alimentaire destinée à l’enfant et de celle destinée au conjoint, comme un changement « important » qui « se serait vraisemblablement traduit par des dispositions différentes » (L.M.P. c. L.S, 2011 CSC 64 (CanLII), aux paragraphes 29-30 et 32-33).
La jurisprudence en matière d’aliments destinés au conjoint a décrit le terme « important » comme ayant une connotation à la fois qualitative et quantitative. L’angle qualitatif s’intéresse à ce qui était [TRADUCTION] « réellement envisagé », « envisagé » ou « pris en compte » dans l’ordonnance ou dans l’entente initiale. Il est plus utile de se demander si l’événement a été pris en compte (p. ex., la réduction du revenu en raison de la retraite) que de se demander si un événement était « prévisible » ou « prévu »1.
Sauf si l’ordonnance ou l’entente sont très récentes, il serait difficile d’affirmer que la pandémie a été l’un des facteurs envisagés. Il est possible qu’une baisse de revenu ait été envisagée lorsque le revenu du payeur a subi des fluctuations avant la pandémie. Cependant, dans la plupart des cas, la question du facteur quantitatif sera la pierre d’achoppement, particulièrement dans les cas d’aliments destinés au conjoint.
Sur le plan quantitatif, la jurisprudence en matière d’aliments destinés au conjoint a généralement affirmé qu’un changement important doit comporter un certain degré de continuité et ne pas être un simple ensemble de circonstances temporaires. À cet égard, des changements mineurs, sans importance et de courte durée ne justifieront pas la modification d’une ordonnance de pension alimentaire. Toutefois, le caractère suffisant du changement doit toujours être évalué à la lumière des faits propres à chaque espèce2.
En ce qui concerne les affaires d’aliments destinés à l’enfant, le seuil quantitatif devrait généralement être moins élevé. Selon le paragraphe 14 a) des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, « dans le cas d’une ordonnance alimentaire dont tout ou partie du montant a été déterminé selon la table applicable, tout changement qui amènerait une modification de l’ordonnance ou de telle de ses dispositions » « constitue un changement de situation au titre duquel une ordonnance alimentaire modificative peut être rendue ». L’article 14 est par conséquent fondamental pour déterminer s’il a été satisfait au critère préliminaire dans le contexte d’une instance en modification des aliments destinés à l’enfant. Un changement quant au revenu du payeur ou quant à la résidence principale de l’enfant satisfait au critère aux termes du paragraphe 14 a)3. Les aliments destinés à l’enfant dont le montant n’a pas été fondé sur une table sont traités dans le paragraphe 14 b) qui vise « tout changement dans les ressources, les besoins ou, d’une façon générale, dans la situation de l’un ou l’autre des époux ou de tout enfant ayant droit à une pension alimentaire ».
En outre, dans le cadre de l’application des dispositions des Lignes directrices sur le revenu (articles 15 à 20), il incombe au tribunal de déterminer le revenu annuel actuel au moyen des renseignements les plus à jour disponibles (Lutz v. Lutz, 2014 SKQB 146 (CanLII), au paragraphe 9, disponible uniquement en anglais). Le paragraphe 2(3) des Lignes directrices, souvent omis, l’indique clairement :
2.(3) La détermination de tout montant aux fins des présentes lignes directrices se fait selon les renseignements les plus à jour.
Par conséquent, bien que le tribunal se serve souvent des déclarations d’impôt de l’année précédente pour l’année en cours, la question de savoir s’il s’agit de la bonne façon de procéder repose sur celle de savoir s’il s’agit de la meilleure preuve possible du revenu actuel (paragraphe 10).
Seul le temps nous dira comment ces affaires seront tranchées. Il existe cependant certainement des façons d’aider les familles pendant cette période difficile. Cet article est le premier d’une série de deux. Lisez la deuxième partie.
Vanessa Lam est conseillère stratégique en droit de la famille et avocate effectuant de la recherche exerçant en Ontario.
1 Durso v. Mascherin, 2013 ONSC 6522 (CanLII), aux par. 28-29; Skoczkowski v. Wong, 2018 ONSC 1656 (CanLII), aux par. 47-48; Berta v. Berta, 2019 ONSC 505 (CanLII), au par. 27; Moazzen-Ahmadi v. Ahmadi-Far, 2016 BCCA 503 (CanLII), au par. 21. Consulter également Philip Epstein, « Epstein’s This Week in Family Law », 3 avril 2017, Fam. L. News. 2017-13 (WL), p. 4. Décisions disponibles uniquement en anglais, les citations qui en sont tirées sont des traductions.
2 Durso v. Mascherin, supra, au par. 28; L.M.P. v. L.S., supra, au par. 35; Gray v. Rizzi, 2016 ONCA 152 (CanLII), au par. 39. Décisions disponibles uniquement en anglais, les citations qui en sont tirées sont des traductions.
3 D.R.T. v. K.A.D., 2018 ONSC 1975 (CanLII), au par. 119 [qui renvoie aux Lignes directrices sur les aliments pour les enfants de l’Ontario, mais l’article 14 est comparable aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants]. Décision disponible uniquement en anglais, les citations qui en sont tirées sont des traductions.