Résumé jurisprudentiel : une cour de la C.-B. tranche sur l’interdiction faite aux entrepreneurs chicaniers de présenter des soumissions

16 janvier 2019

J. Cote & Son Excavating Ltd. v City of Burnaby, 2018 BCSC 1491 (disponible uniquement en anglais)

Madame la juge Maisonville

M. Preston comparaissant pour le demandeur

C.L. Paterson comparaissant pour l’intimée

M. A. Whitten comparaissant pour le Procureur général de la Colombie-Britannique

31 août 2018

Un propriétaire public peut-il imposer une interdiction générale à l’encontre des soumissions d’entrepreneurs qui l’ont poursuivi en justice par le passé?

Dans l’arrêt J. Cote & Son Excavating Ltd. v City of Burnaby, 2018 BCSC 1491, un entrepreneur général dont le nom figurait sur la liste de ceux frappés d’interdiction soutenait qu’une telle clause violait ses droits constitutionnels en l’empêchant d’avoir recours aux tribunaux.

Faits

La ville de Burnaby a ajouté une clause dans son appel d’offres qui visait à exclure les soumissions de proposants l’ayant poursuivie en justice au cours des deux années précédentes.

La clause de représailles a été insérée environ deux mois après que le demandeur, un entrepreneur en construction, a intenté des poursuites contre la ville suscitées par le décès de l’un de ses travailleurs. J. Cote soutenait que la clause limitait son droit d’accès aux tribunaux en le dissuadant, ainsi que les autres entrepreneurs, d’intenter des poursuites afin de ne pas se priver de possibilités de traiter des affaires avec la ville. À ces fins, J. Cote a déposé de la preuve selon laquelle la clause lui avait fait perdre des contrats, en citant neuf octroyés par la ville pendant la période au cours de laquelle il était frappé d’interdiction de déposer une soumission. J. Cote a en outre calculé que la ville lui avait fourni 17 p. 100 de son travail par le passé, impliquant que ces contrats auraient constitué une partie importante de son travail.

J. Cote a présenté une demande de procès sommaire, cherchant à obtenir une déclaration selon laquelle la clause de représailles est nulle et non avenue car elle limitait un droit d’accès aux tribunaux protégé par la constitution. Au fond, il y avait trois contestations : la limitation violait la Charte des droits et libertés, elle était contraire à la primauté du droit et violait l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et était contraire à l’ordre public.

Arrêt

La Cour a posé les questions suivantes et y a répondu.

  1. La clause contestée viole-t-elle de façon injustifiable un droit d’accès raisonnable aux tribunaux protégés par la Charte, ce qui la rend nulle et non avenue?

Non. L’article 24 de la Charte ne constitue pas un recours pour les mesures inconstitutionnelles en général. Le demandeur « doit pouvoir indiquer une violation d’un droit ou d’une liberté spécifique énoncé et garanti par la Charte pour qu’il existe un recours » en vertu de cet article (au paragraphe 41). Puisque la Charte ne confère aucun droit général d’accès aux tribunaux pour le règlement des litiges de nature civile, il n’existe aucun recours en vertu de ce texte lorsqu’un droit d’accès est limité.

  1. La clause contestée est-elle inconstitutionnelle car elle empêche l’accès aux tribunaux de façon contraire à l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et à la primauté du droit?

Non. L’article 96 de la Loi constitutionnelle, de pair avec la primauté du droit, assure une protection constitutionnelle quant à l’accès à la justice dans le contexte civil. Cependant, toutes les restrictions de l’accès à la justice ne sont pas nécessairement inconstitutionnelles. Il incombe au demandeur d’établir que la restriction est réellement imposée en contravention de la primauté du droit et qu’il a subi une contrainte excessive; seuil établi dans l’arrêt Trial Lawyers Association of British Columbia c. ColombieBritannique (Procureur général), 2014 CSC 59 dans le contexte d’un mécanisme proposé pour déterminer les frais d’audience.

La Cour a affirmé que le fait que certains entrepreneurs puissent choisir de ne pas avoir recours aux tribunaux en raison de l’existence d’une clause de représailles ne suffit pas à lui seul à établir la contrainte excessive. Le demandeur n’a pas déposé suffisamment de preuve qu’il avait perdu des contrats au point de subir une contrainte excessive découlant de son recours à son droit d’accès à la justice. Sa preuve était de nature spéculative, car elle était fondée sur la répartition du travail par le passé. En tant que telle, elle n’a pas convaincu la Cour.

  1. La clause contestée devrait-elle être déclarée nulle car elle est contraire à l’ordre public étant donné qu’elle pourrait dénier l’accès aux tribunaux?

Non. La Cour a conclu qu’en l’absence de mauvaise foi, les clauses qui interdisent aux entrepreneurs de déposer des soumissions lorsqu’ils sont en cours d’instance ont un objectif commercial et sont valides. La dissuasion et la prévention des poursuites ne sont pas la même chose. Les traiter de la même façon compromettrait l’analyse de la contrainte excessive. S’ils ne souhaitaient pas être assujettis auxdites clauses qui faisaient partie intégrante de l’appel d’offres, les entrepreneurs avaient le loisir de ne pas déposer de soumission.

Conclusion

Pour conclure, la Cour a affirmé qu’il existe un droit d’accès aux tribunaux, mais que le fardeau de la preuve de l’atteinte au droit est lourd. Sauf preuve de la contrainte excessive, les clauses de représailles qui pénalisent les proposants qui ont intenté des poursuites contre le propriétaire ne violeront pas ce droit.

Un entrepreneur qui pourrait recueillir de meilleures preuves de la contrainte excessive pourrait de nouveau contester une clause de représailles. En l’espèce, l’entrepreneur a, d’une certaine façon, obtenu gain de cause car la ville a retiré la clause de représailles de son appel d’offres avant l’audition de l’affaire. (La ville soutenait que cette mesure avait privé la clause de tous ses effets, mais la Cour a autorisé l’audition des points constitutionnels, car la demande du demandeur concernant des dommages-intérêts fondés sur la Charte n’avait pas encore été tranchée.) L’avenir nous dira si, à la lumière de la présente décision, la ville insérera de nouveau la clause dans ses appels d’offres.

En attendant, les proposants devraient envisager avec prudence les répercussions que des poursuites auront sur leurs autres débouchés commerciaux et bien comprendre les incidences de la présence de ce genre de clause dans les appels d’offres. Les propriétaires devraient se demander si les clauses de représailles sont nécessaires pour atteindre leurs objectifs et éviter d’y avoir recours lorsqu’il existe un risque prononcé qu’elles soient la cause d’une contrainte excessive pour un proposant.

Préparé par : Krista M. Johanson, associée dans le cabinet BLG à Vancouver