Les contrats intelligents sont-ils la prochaine innovation géniale dans le domaine de la construction?

25 avril 2019

Les contrats intelligents et autres nouvelles technologies portent en eux la promesse d’un secteur de la construction intelligent. Comme maints autres secteurs, ce dernier peut tirer profit de l’utilisation des contrats intelligents qui peuvent déclencher l’automatisation du rendement, une meilleure exactitude, des économies découlant de la simplification des processus et des économies de coûts. Cet article présente les contrats intelligents contemporains, la façon dont ils fonctionnent, les raisons pour lesquelles ils pourraient être bénéfiques et les possibles modalités de leur utilisation dans le secteur de la construction.

Qu’est-ce qu’un contrat intelligent?

Selon l’une des définitions communes, un contrat intelligent est un ensemble de promesses, y compris les protocoles dans le cadre desquels les parties concrétisent les autres promesses1.

Les contrats intelligents peuvent aussi être conceptualisés en les assimilant à des programmes (codes informatiques) conçus par les parties contractantes et fondés sur une technologie de registre partagé, qui ont la capacité de se mettre en œuvre automatiquement conformément à des modalités définies au préalable.

Du point de vue juridique, à l’instar d’autres contrats « sur papier », les contrats intelligents pourraient être exécutoires. Pour être juridiquement contraignant, un contrat intelligent devra satisfaire aux critères devant être respectés pour établir qu’un contrat a bel et bien été formé2. Un contrat intelligent peut être l’un des éléments qui coexistent harmonieusement avec un accord-cadre préexistant ou être totalement indépendant et autonome.

Comment fonctionnent les contrats intelligents?

Les contrats intelligents permettent aux utilisateurs de concevoir des contrats qui sont automatiquement mis en œuvre suite à la survenance d’un événement déclencheur sans que l’on doive avoir recours à d’onéreux mécanismes de gestion et d’application confiés à des tierces parties3. Les contrats intelligents sont fondés sur la technologie des chaînes de blocs. Il s’agit d’un logiciel qui utilise une architecture de base de données partagée pouvant conserver de multiples copies identiques d’opérations ou de données numériques à jour4. La chaîne de blocs est la technologie sur laquelle reposent les cryptomonnaies telles que Bitcoin et Ethereum. La plateforme Ethereum est conçue pour les contrats intelligents et a piqué l’intérêt des chefs de file tels que Microsoft, IBM, Samsung, UBS et Barclays5.

Avantages généraux d’un contrat intelligent

La plus grande partie de notre modèle contractuel actuel est fondée sur l’hypothèse que l’autre partie pourrait ne pas être digne de confiance. Les parties contractantes consacrent le plus souvent beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à imaginer les diverses façons dont l’autre peut violer l’accord. Les contrats intelligents apportent un certain degré de certitude qui réduit ou élimine les risques face auxquels les parties contractantes cherchent à se protéger et, ce faisant, économisent aux parties à la fois temps, énergie et argent. Fondamentalement, les contrats intelligents apportent la possibilité de réduire les risques liés à l’exécution du contrat en faisant en sorte que le transfert de l’actif ou de l’instrument en question soit quasiment inévitable en raison de l’exécution automatique6. En outre, si on le compare avec les méthodes existantes pour vérifier et valider les opérations faites par les tiers, les mesures de sécurité des chaînes de blocs rendent les technologies de validation de ces dernières plus transparentes et moins susceptibles de commission d’erreurs7.

Malgré l’automatisation actuelle de nombreuses activités, certaines étapes, notamment les paiements, continuent à nécessiter une intervention et une autorisation humaines. Les contrats intelligents peuvent permettre une automatisation encore plus avancée puisqu’ils peuvent gérer les interactions financières entre machines, véhicules, humains, organismes de réglementation, gouvernements et fournisseurs de services financiers8.

Contrats intelligents dans le secteur de la construction

Les facteurs qui peuvent déclencher l’exécution du contrat intelligent dans le secteur de la construction peuvent inclure des renseignements fournis au moyen d’un logiciel de modélisation des données du bâtiment (MDB). Sous sa forme la plus élémentaire, la MDB permet de produire et de gérer des modèles de projet de construction en trois dimensions9. Un MDB a pour objet d’être beaucoup plus complexe qu’un modèle en trois dimensions fondé sur la conception assistée par ordinateur (CAO), permettant non seulement une représentation graphique des plans de construction traditionnellement faits sur papier, mais aussi l’intégration dans le modèle d’un éventail de données provenant de sources multiples10. La MDB peut agir comme source centrale de renseignements sur chacune des facettes du projet de construction. Ainsi, un entrepreneur peut vérifier à l’avance si le propriétaire dispose de suffisamment d’argent pour financer le projet et par conséquent fournir les services sans courir de risque. Lors de la vérification de l’achèvement de la fourniture des services en question, le fournisseur peut être payé automatiquement.

L’infrastructure d’un contrat intelligent peut même comporter des éléments de législation, réduisant ainsi les coûts de la conformité. Ainsi, les dispositions de la Loi sur la construction de l’Ontario portant sur les paiements rapides11 qui entreront en vigueur le 1er octobre 2019 pourraient être insérées dans un contrat intelligent pour permettre et simplifier leur exécution.

Difficultés posées par les contrats intelligents

L’une des difficultés posées par les contrats intelligents est de savoir s’il est possible de codifier toutes les complexités juridiques sous une forme qui permet l’exécution. Les concepts tels que le discernement ou les cas de force majeure peuvent être difficiles à codifier.

La question de la compétence pourrait constituer une autre difficulté. La technologie des chaînes de blocs réside sur un réseau d’ordinateurs dont les nœuds et les utilisateurs sont généralement disséminés dans le monde entier12. Les contrats intelligents pourraient bien être un domaine mûr pour la mise en œuvre de traités internationaux.

Pensées finales

Les contrats intelligents n’en sont qu’à leurs débuts. Cependant, l’efficience, les économies de coûts et l’élimination des risques connexes à l’exécution du contrat sous-tendent leur rapide évolution dans le secteur de la construction entre autres industries. Pour régler les problèmes inévitables posés par l’innovation, il pourrait suffire que les innovateurs, les parties contractantes, la communauté juridique et les pouvoirs publics fournissent un investissement initial.

Maria Le Hunte est avocate dans le cabinet Heal & Co. LLP

Notes

1 Szabo, Nick, « Smart contracts: Building Blocks for Digital Markets » (disponible uniquement en anglais).
2 Les éléments sont l’offre, l’acceptation, la contrepartie, la capacité et la compétence, l’intention mutuelle de créer des relations d’ordre juridique et, dans certains contrats, un document écrit.
3 Stratiev, Oleg, « Cryptocurrency and Blockchain: How to Regulate Something We Do Not Understand », Banking & Finance Law Review3333 B.F.L.R. 173 (disponible uniquement en anglais).
4« Smart Contracts: Is the law ready? » (disponible uniquement en anglais).
5 Riikka Koulu, en ligne, « Blockchains and Online Dispute Resolution: Smart Contracts as an Alternative to Enforcement » ( consulté le 17 février 2019 - disponible uniquement en anglais).
6« Smart Contracts: Is the law ready? » (disponible uniquement en anglais).
7 Kaal, Wulf et Calcaterra, Craig , en ligne, « Crypto Transaction Dispute Resolution » (disponible uniquement en anglais).
8 Ryan, Philippa, « Smart Contract Relations in e-Commerce: Legal Implications of Exchanges Conducted on the Blockchain » [2017] UTSLRS 24; (2017) 7(1) Technology Innovation Management Review 10 (disponible uniquement en anglais).
9 Stougiannos, Lampros « Exploring The New Era of Construction Law »
10 Ibid.
11 Loi sur la construction, L.R.O. 1990, chap. C.30, art. 6
12 Kaal, Wulf et Calcaterra, Craig , en ligne Crypto Transaction Dispute Resolution (disponible uniquement en anglais).