Risque additionnel dans la construction de condominiums

17 février 2023

Introduction

Il est bien avéré qu’un entrepreneur général peut être tenu responsable envers des propriétaires subséquents des condos pour des vices cachés présentant un danger réel et substantiel pour les occupants, mais un promoteur immobilier peut-il être tenu responsable envers des propriétaires subséquents pour ces mêmes vices? C’est la question sur laquelle devait trancher la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Condominium Corporation No. 0522151 (Somerset Condominium) v JV Somerset Development Inc, 2022 ABCA 193. Bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur cette question, elle a laissé la porte ouverte pour élargir la portée de l’arrêt Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., 1995 CanLII 146 (CSC), [1995] 1 SCR 85, 121 D.L.R (4th) 193 (« Winnipeg Condos »). La Cour donne également des indications sur les circonstances qui pourraient donner lieu à la responsabilité du promoteur immobilier dans ce contexte.

Nous sommes tous au courant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Winnipeg Condos, où il a été reconnu qu’un entrepreneur pouvait avoir une obligation de diligence envers les propriétaires subséquents d’un immeuble lorsqu’un manque de diligence raisonnable, pendant la construction, peut créer des vices cachés posant un danger réel et substantiel aux occupants. Si le danger est identifié avant la manifestation du préjudice, les coûts des réparations seront récupérables. La Cour suprême du Canada n’a pas abordé la question de la responsabilité du promoteur immobilier dans l’affaire Winnipeg Condos.

Le contexte

À la fin de 2004 et au début de 2005, JV Somerset Development Inc. (« JV Somerset ») a réalisé un immeuble de 215 unités en copropriété. Sept ans plus tard, en 2012, des préjudices importants causés par des infiltrations d’eau, compromettant l’intégrité structurelle des balcons ont été découverts. Le Condo Corp a remplacé tous les balcons en 2014 et, à son tour, a poursuivi JV Somerset et d’autres entités pour les coûts de réparation, alléguant qu’en tant que promoteur immobilier, JV Somerset avait un devoir de diligence envers les détenteurs d’unités et le Condo Corp.

JV Somerset n’a ni contesté le fait que les balcons étaient mal conçus ou construits ou qu’ils présentaient un réel danger ni le besoin de les réparer. Il a adopté plutôt la position selon laquelle un promoteur immobilier ne pouvait être responsable des vices cachés que s’il était impliqué dans la construction physique. JV Somerset a demandé un rejet sommaire, et le juge Nielson s’est rallié à sa position, rejetant l’affaire contre le promoteur immobilier. Le juge Nielson constate que même si une obligation était établie, la Cour n’avait pas la preuve que JV Somerset avait manqué à cette obligation.

Le Condo Corp a interjeté appel. La Cour d’appel a unanimement renversé la décision, constatant un manque de clarté quant à la question de savoir si un promoteur immobilier a une obligation envers les propriétaires subséquents dans ce contexte et tranchant que le jugement sommaire était inapproprié. La Cour a en outre noté que toute obligation établie en matière délictuelle n’aurait d’incidence que sur les projets construits avant 2014, date d’entrée en vigueur de la loi sur la protection des acquéreurs de logements neufs (New Home Buyer Protection Act). L’obligation légale supplanterait le droit de la responsabilité délictuelle pour les condos construits après 2014.

Obligation de diligence

La Cour d’appel a estimé qu’un prérequis à l’établissement d’une obligation entre un promoteur immobilier et un propriétaire subséquent était l’établissement d’une obligation entre un entrepreneur et un propriétaire subséquent. Lorsqu’il existe une proximité suffisante entre un entrepreneur et les propriétaires subséquents, on peut soutenir qu’une relation analogue existe entre le promoteur immobilier et le propriétaire subséquent. La Cour a noté que le rôle pratique de l’entrepreneur et les conditions contractuelles initiales sont également pertinents pour déterminer si un promoteur immobilier se trouve dans une situation analogue à celle de l’entrepreneur. Bien qu’elle ait refusé d’établir une obligation explicite, l’application des principes énoncés dans l’arrêt Winnipeg Condos a incité la Cour à observer que la perspective d’un balcon dont la structure est compromise s’effondre alors qu’une personne s’y trouve ne constituait pas une déduction invraisemblable. Ainsi, les faits en cause présentaient un danger réel et substantiel.

Normes de diligence

Tel qu’a fait allusion le juge Nielson en cabinet, l’établissement d’une obligation ne constitue pas en soi une responsabilité - il doit y avoir un manquement. La Cour d’appel a réitéré que le manque de participation de JV Somerset à la construction physique est pertinent pour l’analyse de la norme de diligence. En outre, la Cour a posé les questions suivantes pour illustrer la manière dont une telle obligation pourrait être remplie :

  • Est-il suffisant pour le promoteur immobilier d’engager des architectes et des entrepreneurs compétents et responsables?
  • Le promoteur immobilier doit-il également faire appel à des professionnels compétents et expérimentés pour surveiller le travail de l’entrepreneur?
  • À rebours, le promoteur immobilier doit-il superviser lui-même le travail de l’entrepreneur pour s’assurer qu’il n’y a pas de vices dangereux?

Bien que ces questions ne fournissent pas une détermination explicite, elles donnent des indications sur les éléments sur lesquels la Cour s’est penchée pour déterminer si un promoteur immobilier pouvait être tenu responsable dans ce contexte. Ce faisant, la Cour a établi des indices que les promoteurs immobiliers et l’industrie de la construction en général devraient connaître pour atténuer l’exposition à la responsabilité des vices cachés.

Conclusion

La Cour d’appel a laissé entendre que les principes énoncés dans l’arrêt Winnipeg Condos pourraient s’étendre aux promoteurs immobiliers. Par conséquent, les promoteurs immobiliers devraient utiliser des contrôles raisonnables pour prévenir et éviter les dangers réels et substantiels prévisibles lors de la construction de condos. Les points de repère fournis dans le cadre des analyses de l’obligation et de la norme de diligence constituent un bon point de départ.


Catriona Otto-Johnston, associée et Carter Czaikowski, étudiant d’été chez Rose LLP