La situation des enfants autochtones est très différente de celle des enfants non autochtones sous les angles de la protection de l’enfance, de l’éducation, de la santé, de la justice pénale, de l’identité culturelle, de la famille et des conditions économiques et sociales; par conséquent, l’exercice du droit dans bon nombre de ces domaines exige une compréhension de cette problématique.
(Voir la recommandation 27 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada)
L’article 30 de la la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies (« la Convention ») et, de façon plus générale, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), les ordres juridiques et le droit autochtones, la Constitution et la Charte établissent des protections spéciales qui se recoupent à l’égard des enfants et adolescents autochtones habitant dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada. Les enfants autochtones jouissent des mêmes droits que tous les enfants et, également, de droits qui leur sont propres, en raison des difficultés juridiques, sociales, économiques, éducatives et sur le plan de la santé auxquelles ils se heurtent en conséquence de l’héritage historique de leurs peuples.
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et diverses lois provinciales concernant la protection de l’enfance, le droit de la famille, les problèmes de santé et de propriété ainsi que les testaments et les successions stipulent expressément que les enfants, les familles, les territoires et les conseils de bande autochtones doivent être pris en considération de façon distincte lors de l’application du droit canadien à des situations relatives aux Autochtones. Les droits issus des traités et les ententes sur les revendications territoriales sont également applicables au règlement des litiges qui mettent en cause des enfants autochtones.
Il y a une distinction juridique et économique entre les Autochtones qui vivent dans les réserves et qui vivent hors réserve, de même qu’entre ceux qui possèdent un statut reconnu et ceux qui n’en possèdent pas. Les biens matrimoniaux dans les réserves constituent un problème permanent qui est étudié dans divers forums juridiques. Il y a de nombreux groupes distincts d’enfants autochtones dans l’ensemble du Canada, chacun possédant une langue et des territoires propres à son peuple respectif. Des droits linguistiques sont également conférés aux enfants autochtones et l’on s’emploie, dans de nombreuses collectivités, à ressusciter l’enseignement des langues autochtones dans les écoles publiques.
L’éducation offre une valeur commune et partagée aux enfants autochtones et elle est une composante clé de la réconciliation. Les pédagogies autochtones peuvent être très différentes des méthodes d’enseignement non autochtones et peuvent, par exemple, nécessiter un apprentissage expérientiel pratique ainsi que reposer sur la tradition orale. En outre, les peuples autochtones ont un fort sentiment historique et culturel de responsabilité envers l’environnement et les obligations sont transmises aux enfants dans le cadre de cérémonies et protocoles autochtones. Le bien-être des générations futures, notamment des enfants, exerce une forte influence sur la détermination des obligations juridiques que les collectivités ont l’une envers l’autre, ainsi qu’à l’égard de leurs terres et de leurs ressources. Les territoires et les pratiques de chasse et de pêche sont également régis par les lois canadiennes, compte tenu des considérations spéciales relevant des droits autochtones.
Le lourd héritage du colonialisme, les traités et les revendications territoriales, le système des pensionnats autochtones et la « rafle des années 1960 » ont détruit les systèmes juridiques des Autochtones, leurs pratiques culturelles, leurs structures sociales et leurs familles, dans leurs collectivités des zones tant rurales qu’urbaines. La marginalisation sociale et économique par rapport aux cultures canadiennes, de concert avec la perte d’identité, a créé un climat de grande vulnérabilité qui affecte des collectivités entières et, en particulier, les enfants autochtones. Les enfants autochtones sont considérablement surreprésentés dans le système de protection de l’enfance. Il y a aussi une surreprésentation des Autochtones dans les prisons. Des soins de santé physique et mentale doivent être dispensés compte tenu de ce contexte, alors que les traumatismes intergénérationnels continuent encore aujourd’hui à hanter les collectivités et les enfants autochtones. Les effets de la soustraction des enfants à leurs familles, à leurs collectivités et à leurs territoires se feront sentir chez les Autochtones, aussi bien que chez les non-Autochtones, partout au Canada alors que se poursuivra le déploiement d’efforts pour chercher des moyens de guérison afin de surmonter ce legs. Le suicide, l’incarcération, les drogues et l’alcool et les troubles de santé mentale ont tous fait payer un lourd tribut aux enfants autochtones. Le nombre de femmes et de jeunes filles autochtones disparues ou assassinées est consternant.
Vu cette situation, il est essentiel que les enfants autochtones se voient offrir la possibilité de maintenir et de faire s’épanouir de solides liens avec leurs propres familles, leurs familles élargies, leurs collectivités ainsi que leurs pratiques culturelles et spirituelles, et ce, dans toute la mesure possible. Les peuples autochtones ont fait preuve d’un courage, d’une résilience et d’une résistance immenses. La confiance, toutefois, n’est pas toujours facile à établir. Les praticiens et les tribunaux qui appliquent les lois aux enfants autochtones ont la responsabilité d’écouter, ainsi que de comprendre des enjeux qui ont pour les enfants autochtones une tout autre signification que pour les enfants non autochtones.
(Voir le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, de même que le rapport du juge Gove sur la protection des enfants en Colombie-Britannique (1995) : Report of the Gove Inquiry into Child Protection in British Columbia: Matthew’s LegacyVolume 1, Vancouver (Colombie-Britannique), p. 24-25.)
Qui sont les enfants autochtones au Canada?
Traditionnellement, les groupes autochtones se différencient souvent selon leur langue ainsi que leurs ancêtres héréditaires et territoires. Il y a des centaines de groupes autochtones dans l’ensemble du pays. Cependant, les grands groupes suivants sont ceux auxquels on fait couramment référence à des fins juridiques au Canada.
Les enfants des Premières Nations sont ceux qui ont le droit d’être inscrits au registre des Indiens et d’avoir le statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens au Canada. Ils peuvent vivre dans une réserve ou hors réserve. L’admissibilité des enfants au statut a évolué depuis la première modification de la Loi en 1951, mais elle a été affligée par des définitions imposées de l’identité et, en particulier, par une discrimination basée sur le sexe. Ce dernier problème s’est atténué par suite de l’issue des affaires McIvor v. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153, et Descheneaux c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 3555. Il a été conclu que la Loi, en limitant l’admissibilité de membres des Premières Nations à la suite d’un mariage avec une personne n’ayant pas le statut d’Indien, violait les droits des femmes et des filles à l’égalité garantis à l’article 15 de la Charte. La Loi modifiant la Loi sur les Indiens adoptée en 1985, familièrement appelée projet de loi C-31, a corrigé la situation, et les enfants touchés par cette loi modificatrice s’emploient encore aujourd’hui à réobtenir leur statut ou celui de leurs enfants ou de leurs petits-enfants. Même si ces contestations judiciaires ont entraîné une modification des règles d’admissibilité au statut d’Indien, il y a encore des enfants qui, du fait de leurs lignées familiales historiques, ne peuvent pas obtenir ce statut à cause des mariages contractés par leurs grands-parents ou leurs parents. Par conséquent, la Loi sur les Indiens a été perçue comme étant un instrument restrictif légiférant sur l’identité, et les avantages dont jouissent les Indiens inscrits ne sont pas à la disposition de tous les enfants qui s’identifient comme Autochtones.
Aux termes de la Loi sur les Indiens, une personne a le droit d’être inscrite si au moins l’un de ses parents possède le statut d’Indien inscrit en vertu du paragraphe 6(1), ou si ses deux parents possèdent le statut d’Indien inscrit en vertu du paragraphe 6(2). Puisque de nombreux Indiens inscrits ont perdu leur statut sous l’ancien régime, il y a des enfants qui sont touchés par ce système complexe. Les pratiques juridiques autochtones dans l’ensemble du Canada possèdent leurs propres règles variées en ce qui concerne la famille et l’identité; ces règles ont tendance à être inclusives plutôt qu’exclusives, et à permettre d’accueillir des enfants, en particulier, dans des clans ou groupes familiaux distincts, ayant des obligations et des rôles sociaux et juridiques particuliers au sein de leur collectivité. La Loi sur les Indiens et les pratiques des cultures non autochtones ont perturbé le sens de la légitimité et de l’identité des enfants et des familles autochtones.
La Loi sur les Indiens coexiste avec certaines ententes conclues localement telles que la Convention définitive des Inuvialuit et les Ententes définitives avec les Premières Nations du Yukon. Cela offre aux groupes touchés la possibilité d’exercer leur souveraineté, de fixer leurs propres règles d’appartenance et de préserver ces règles pour les bénéficiaires futurs, mais jusqu’à présent, ces groupes sont demeurés assujettis aux dispositions de la Loi sur les Indiens.
Les enfants inuits vivent dans les régions du Grand Nord ou de la côte Est. Les Inuits sont considérés comme des Indiens pour les besoins du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 depuis la décision rendue par la Cour suprême en 1939 dans le renvoi Reference whether “Indians” includes “Eskimo”, [1939] R.C.S. 104.
Les enfants innus sont souvent assimilés aux Inuits, mais les Innus sont considérés comme des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens depuis 2002.
Les enfants métis sont définis, pour les besoins de l’article 35 de la Charte, selon les facteurs de l’auto‑identification, des liens ancestraux et de l’acceptation par la communauté (R. c. Powley, 2003 CSC 43). Les arrêts Powley and Daniels contribuent à la définition des Métis et aident à assurer que leur identité est reconnue par le Canada.
On obtient le statut de Métis en présentant une demande à l’une des organisations de Métis du Canada. Les demandes sont traitées et acceptées sur la base des liens avec des familles ou groupes historiques de Métis qui ont été reconnus comme tels sur la foi de la documentation de leur lignée, surtout à partir de mariages religieux, et aussi de documents de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de la Compagnie du Nord-Ouest.
Les enfants métis, dans les Territoires du Nord-Ouest et dans d’autres régions, ont à leur disposition de nombreux groupes communautaires, conseils et sociétés qui les aident à atteindre leurs buts juridiques, communautaires et politiques; chaque organisation est régie par des règlements et une constitution officielle qui établissent les critères relatifs à l’appartenance et au droit de vote.
Sphères de compétence
La compétence constitutionnelle relative aux enfants autochtones au Canada relève généralement du gouvernement fédéral en vertu de la Loi constitutionnelle, de la Charte, de la Proclamation royale de 1763 et de la Loi sur les Indiens. Cependant, la compétence des provinces chevauche souvent celle du fédéral, ce qui crée de l’incertitude quant à l’ordre de gouvernement qui a compétence sur les enfants autochtones. Les sommes affectées aux enfants autochtones dépendent du fait qu’ils vivent dans les réserves ou hors réserve et qu’ils sont inscrits ou non inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens.
Des conflits de compétence peuvent surgir non seulement entre le fédéral et les provinces, mais aussi entre le droit autochtone et le droit non autochtone, et la question de la compétence joue souvent un rôle crucial dans le traitement inadéquat ou inégal des enfants autochtones.
Les lois du fédéral, des provinces, des territoires et des gouvernements locaux devraient respecter les droits des enfants autochtones à la fois expressément, par leur libellé, et implicitement, dans les interprétations qui en sont faites.
Le principe de Jordan : Le principe de Jordan est un principe qui met l’enfant au premier plan en matière de résolution des conflits de compétence entre les ordres de gouvernement et qui a été reconnu par les tribunaux. Lorsqu’un conflit de compétence survient à propos du paiement ou de la fourniture de services à un enfant des Premières Nations qui vit dans une réserve, le gouvernement ou le ministère qui a été sollicité en premier doit payer et fournir, sans délai et sans perturbation, les services qui seraient habituellement à la disposition des autres enfants au Canada; le litige au sujet de l’ordre de gouvernement responsable du paiement des services pourra être résolu ultérieurement par les administrations en cause. Une motion tendant à l’adhésion au principe de Jordan a été adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes en 2007. Voir également Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, 2016 TCDP 2.”
Ordres juridiques et droit autochtones
Les ordres juridiques autochtones peuvent avoir une incidence sur les enfants autochtones, sur les processus décisionnels qui les concernent et sur leurs droits. Ces droits, coutumes et pratiques d’ordre culturel reflètent les systèmes politiques et juridiques internes des groupes autochtones et ils se sont principalement formés avant les premiers contacts avec les Européens. Ils sont entièrement différents des notions occidentales du droit. Les pratiques juridiques autochtones ont été interdites pendant de nombreuses années, sous peine d’incarcération. Les lois canadiennes interdisaient aussi aux peuples autochtones de retenir les services d’un conseil juridique pour les représenter dans la revendication de leurs territoires et de leurs droits issus des traités. La réconciliation nécessite que les non-Autochtones, et les praticiens des milieux juridiques en particulier, soient conscients des enjeux, des langages et des dynamiques du pouvoir qui ont empêché les peuples autochtones d’appliquer leurs propres lois et d’exercer leurs propres droits au nom de leurs enfants et de leurs jeunes.
Le Canada a le devoir d’écouter et d’apprendre en ce qui concerne le droit autochtone, et ce, dans tous les ordres de gouvernement et à tous les paliers des tribunaux; il a aussi le devoir de promouvoir activement la réintégration du droit autochtone dans tous les domaines du droit qui touchent les enfants autochtones, leurs familles et leurs collectivités (commentaire du juge en chef de la Colombie-Britannique Lance Finch dans The Duty to Learn).
L’obligation de consulter les groupes autochtones à propos de l’exploitation des ressources est bien établie dans la jurisprudence canadienne. Les principes de l’arrêt Gladue qui prennent en compte une analyse du contexte dans la détermination de la peine et les mesures destinées à corriger la surreprésentation des Autochtones dans la population carcérale ont été largement appliqués en droit pénal. Les lois sur la pêche reconnaissent que les Autochtones peuvent pêcher à des fins sociales et rituelles. Pour les enfants autochtones, il est de la plus grande importance que les avocats et les praticiens des milieux juridiques se familiarisent avec les outils juridiques internationaux, nationaux, autochtones et locaux pour faire en sorte que les droits qui sont propres à ces enfants soient protégés.
Voir aussi l’arrêt Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, en ce qui a trait au non-empiètement des compétences fédérales-provinciales-territoriales sur la compétence des peuples autochtones.
Droit international
- Articles de la Convention : 30 (à noter : les pratiques culturelles ne sont pas protégées si elles sont jugées préjudiciables à la dignité, à la santé et au développement de l’enfant), 29 (éducation), 5 (famille élargie), 17 (utilité culturelle des médias, besoins linguistiques), de même que les principes directeurs :
- Article 2 : Non-discrimination – noter le chevauchement des sources de discrimination; nécessité pour les gouvernements de recueillir des données non regroupées; mesures positives d’élimination de la discrimination.
- Article 3 : Intérêt supérieur de l’enfant – considérer à la lumière des droits culturels et collectifs de l’enfant autochtone individuel, mais l’intérêt supérieur collectif ne peut pas éclipser l’intérêt supérieur de l’enfant.
- Article 6 : Vie, survie et développement – respect des traditions et de la culture, respect du développement harmonieux de l’enfant; à noter : nombre démesurément élevé d’enfants autochtones vivant dans une pauvreté extrême et taux élevés de mortalité infantile et juvénile, qui nécessitent des mesures positives.
- Article 12 : Participation – nécessité de la participation des collectivités et des enfants autochtones à l’élaboration de lois, politiques et programmes adaptés à la culture; le protocole peut exiger que des Aînés soient également entendus lorsque l’enfant est entendu dans sa propre langue.
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA) : Préambule (éducation des enfants), articles 22 (attention spéciale accordée aux enfants et aux jeunes), 3 (autodétermination), 7 (pas de transferts forcés d’enfants à la garde d’autres groupes), 13 (connaissance de l’histoire, de la langue, des traditions orales, des écrits), 14 (éducation dans sa propre culture et sa propre langue), 17 (protection contre l’exploitation économique et les entraves à l’éducation), 19 (consentement préalable donné librement et en connaissance de cause, avant la prise de mesures législatives ou administratives), 21 (propres systèmes/institutions politiques, économiques et sociaux), 25, 26 et 32 (droit aux terres et aux ressources, responsabilité à l’égard des générations futures), 31 (jouissance des cultures, coutumes, religions, langues; développement des économies et des institutions sociales et politiques), 43 (survie, dignité et bien-être).
- Convention américaine relative aux droits de l’homme – article 11 du Pacte de San Jose, 1965, articles 2, 5.
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966, articles 1, 24, 26, 27.
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966, articles 2, 10, 14, 15.
- Convention no 169 de l’Organisation internationale du travail, 1989, articles 28, 29.
Informations contextuelles additionnelles
Sources d’interprétation
- Observation générale no 11 relative à la Convention, portant sur les droits des enfants autochtones (2009).
- Observation générale no 23 du Comité des droits de l’homme sur l’article 27 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : la culture se manifeste sous de multiples formes, et peut notamment s’exprimer par un certain mode de vie associé à l’utilisation des terres et des ressources naturelles, en particulier dans le cas des populations autochtones (Observation générale no 23 (article 27), 1994, Doc. N.U. HRI/GEN/1/Rev. 1, par. 7)
Jurisprudence
- Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community. v. Nicaragua, Inter-A. Ct. H.R. (ser. C) no 79 : Au paragraphe 140(d), la Cour affirme que bon nombre des droits énoncés dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones ont atteint le statut de droit international coutumier, compte tenu de l’apparition progressive d’un consensus international sur le droit des peuples autochtones à leurs territoires traditionnels.
Droit canadien
Les peuples autochtones du Canada possèdent un statut spécial et des droits uniques en vertu du droit canadien, du fait qu’ils occupaient et utilisaient initialement le territoire qui forme maintenant le pays, et l’honneur de la Couronne est en jeu dans toutes les interactions gouvernementales avec les peuples autochtones au Canada. Les droits ancestraux et issus des traités sont protégés en vertu de l’article 35 de la Charte :
Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
Un droit ancestral est une pratique, coutume ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique ce droit, et qui se situe dans la continuité des pratiques, coutumes et traditions qui avaient cours avant le premier contact avec les Européens.
La médecine traditionnelle est un exemple de coutume ou pratique traditionnelle qui a été reconnue comme étant un droit ancestral dans le cas d’un enfant (Hamilton Health Sciences Corp. v. D.H., 2014 ONCJ 603; 2015 ONCJ 229).
Les droits issus des traités peuvent être énoncés dans des traités historiques (p. ex. les traités numérotés) ou des traités de l’époque moderne (p. ex. le Traité des Nisga’a). Les traités historiques ne sont pas figés dans le temps (p. ex. les droits de chasse incluent aujourd’hui le droit à une cabane de chasse moderne (R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393).
Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1982 accorde au gouvernement fédéral « l’autorité législative exclusive » sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens », dans les réserves et hors réserve.
Bien que le paragraphe 91(24) assigne au fédéral l’autorité législative exclusive sur les peuples autochtones, cette compétence n’est pas absolue et certaines questions chevauchent la compétence des provinces, ce qui crée de l’incertitude au sujet de l’ordre de gouvernement qui a compétence sur les enfants autochtones (p. ex., le Canada paye généralement pour les services dispensés aux enfants autochtones habitant dans les réserves, alors que les provinces payent pour ces services fournis hors des réserves, mais des conflits surgissent en ce qui concerne les enfants autochtones habitant hors réserve : le principe de Jordan est une procédure qui comble cette lacune dans le partage des compétences concernant le paiement des services dispensés aux enfants autochtones).
Des conflits de compétence surviennent non seulement entre le fédéral et les provinces, mais aussi entre le droit autochtone et non autochtone, et les questions de compétence jouent souvent un rôle crucial dans le traitement inadéquat ou inégal des enfants autochtones.
Les lois provinciales telles que les lois sur la protection de l’enfance stipulent que la culture, l’identité et le patrimoine autochtones doivent être pris en considération dans le cadre du critère de l’intérêt supérieur de l’enfant.
- Loi constitutionnelle de 1867 – Le paragraphe 91(24) confère au gouvernement fédéral l’autorité législative exclusive sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».
- Charte, 1982
- Article 35 : les droits ancestraux (des Premières Nations, Inuits et Métis) et les droits issus de traités sont protégés.
- Un droit ancestral est une pratique, coutume ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique ce droit, et qui se situe dans la continuité des pratiques, coutumes et traditions qui avaient cours avant le premier contact avec les Européens.
- Les droits issus des traités peuvent être énoncés dans des traités historiques (p. ex. les traités numérotés) ou des traités de l’époque moderne (p. ex. le Traité des Nisga’a).
- Article 25 (rien dans la Charte ne porte atteinte aux droits ancestraux ou aux droits issus des traités).
- Article 35 : les droits ancestraux (des Premières Nations, Inuits et Métis) et les droits issus de traités sont protégés.
- Loi sur les Indiens – s’applique aux enfants des premières Nations qui vivent dans les réserves au Canada; elle autorise le gouvernement fédéral à réglementer et à administrer la vie quotidienne des Indiens inscrits et des collectivités des réserves, notamment dans les domaines de la gouvernance, de l’utilisation des terres, des soins de santé et de l’éducation.
Application du droit canadien pour atteindre des objectifs autochtones
- Les collectivités autochtones peuvent avoir recours à l’autonomie gouvernementale, aux pouvoirs délégués ou à d’autres mécanismes pour instituer des dispositions réglementaires occidentales à l’intention des enfants autochtones. Par exemple :
- Le Règlement 3 de la nation Splatsin : il s’agit d’un règlement relatif aux soins des enfants indiens adopté en 1980 par la bande indienne de Spallumcheen, comme elle s’appelait à l’époque, qui reflète les propres lois de cette nation quant aux soins à donner aux enfants et qui reconnaît qu’il n’existe aucune ressource plus cruciale que les enfants pour la poursuite de l’existence et le maintien de l’intégrité de la nation.
- La loi de 2009 de la Première Nation Tsawwassen sur l’enfance et la famille : l’une des nombreuses lois de cette nation autonome négociées dans le cadre d’un traité moderne.
- La Cour de justice mohawk d’Akwesasne : répond à la volonté de rendre justice selon les principes mohawks traditionnels.
Jurisprudence
Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 : Les enfants des Premières Nations qui résident dans des réserves ou qui résident au Yukon reçoivent-ils des services équitables d’aide à l’enfance? Non. Le tribunal a conclu que le gouvernement du Canada fait preuve de discrimination fondée sur la race à leur égard en fournissant des fonds et des services de soutien de l’enfance inadéquats et inéquitables aux organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Cela incite à retirer les enfants de leur milieu familial comme solution de premier, et non de dernier, recours. Le gouvernement a également omis d’appliquer le principe de Jordan, au détriment des enfants des Premières Nations. Le tribunal a ordonné au gouvernement fédéral : (1) de mettre fin à ses actes discriminatoires concernant les services à l’enfance et à la famille; (2) de modifier le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Entente de 1965; (3) de cesser d’appliquer une définition étroite du principe de Jordan; (4) de prendre des mesures pour appliquer immédiatement le principe de Jordan en lui donnant sa pleine portée et tout son sens.
Hamilton Health Sciences Corp. v. D.H., 2014 ONCJ 603; 2015 ONCJ 229 : Une fille de 11 ans appartenant à la bande Six Nations of the Grand River peut-elle utiliser la médecine traditionnelle de sa culture après le retrait du consentement à poursuivre la chimiothérapie? Oui. Ce choix a été contesté par l’hôpital administrant la chimiothérapie au motif que l’enfant n’avait pas la capacité requise pour prendre une décision éclairée, et qu’elle avait besoin de protection. La Cour a convenu que l’enfant n’avait pas une capacité adéquate, mais elle a jugé que le droit de la mère de prendre des décisions à la place de l’enfant et de choisir la médecine traditionnelle était constitutionnellement protégé par l’article 35 de la Charte, et que l’enfant n’avait pas besoin de protection dans l’exercice de ce droit. Dans un addenda à la décision, la Cour a affirmé que la reconnaissance et l’application du droit de recourir à une médecine traditionnelle doivent demeurer compatibles avec le principe voulant que l’intérêt supérieur de l’enfant demeure primordial.
Conseil de la bande de Pictou Landing c. Canada (Procureur général), 2013 CF 342 : Le principe de Jordan doit-il être pris en considération lorsqu’une bande demande au Canada de rembourser des dépenses engagées pour un enfant habitant dans une réserve? Oui. Le remboursement a été demandé à hauteur du maximum provincial mensuel de 2200 $ pour des frais exceptionnels engagés après que la mère d’un adolescent souffrant de déficiences multiples eut été victime d’un accident vasculaire cérébral. Le principe de Jordan est un principe qui met de l’avant l’intérêt de l’enfant et selon lequel le ministère, fédéral ou provincial, qui a été sollicité en premier pour un service généralement offert à l’extérieur de la réserve doit en assumer le coût pendant qu’il cherche à obtenir le remboursement des dépenses de l’autre ordre de gouvernement. Le principe de Jordan est un mécanisme qui a pour but d’éviter que les enfants des Premières Nations se voient privés d’un accès égal aux prestations ou aux protections offertes à tous les autres Canadiens en raison de leur statut d’Autochtone.
Descheneaux c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 3555 (CanLII) : Les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’appartenance à une bande sont-elles discriminatoires à l’égard des femmes et des filles des Premières Nations? Oui. La Cour a déclaré que les alinéas 6(1)a), c) et f) et le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens portent atteinte de manière injustifiée à l’article 15 de la Charte et sont inopérants. Toutefois, la prise d’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendue pour une période de 18 mois afin de permettre au Parlement de modifier la loi. L’effet éventuel de cette décision sera que la discrimination fondée sur le sexe présente dans les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant l’inscription cessera et que les femmes touchées auront le droit de transmettre leur statut à leurs enfants et à leurs petits-enfants, de la même façon que les hommes, sans que ce statut soit refusé à cause de la règle d’exclusion après la deuxième génération. Le gouvernement du Canada a retiré l’appel qu’il avait interjeté contre cette décision.
Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173 : Est-il dans l’intérêt supérieur d’une enfant d’une Première Nation d’être adoptée par un couple formé d’un Métis et d’une non-Autochtone? La Cour a jugé que l’adoption était dans l’intérêt supérieur de l’enfant et que la famille adoptive était en mesure de fournir un soutien culturel suffisant à l’enfant de la Première Nation. Les critiques de cet arrêt soulignent que la Cour a accordé à la nature individuelle de l’intérêt supérieur de l’enfant une valeur supérieure à celle de l’intérêt collectif des Premières Nations [voir Kline, Marlee, « Child Welfare Law: Best Interests of the Child Ideology and First Nations », 1992 30 Osgoode Hall LJ, aux p. 375 et 396].
Brown v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 251 : Dans cette procédure engagée au nom des survivants de la « rafle des années 1960 » en Ontario, la Cour a jugé qu’un recours collectif pouvait être autorisé relativement à la question suivante : [traduction] « En Ontario, entre le 1er décembre 1965 et le 31 décembre 1984, lorsqu’un enfant autochtone était confié à la garde d’une famille d’accueil ou de parents adoptifs qui ne l’élevaient pas conformément à ses propres coutumes, traditions et pratiques autochtones, la Couronne fédérale avait-elle, et a-t-elle enfreint, une obligation fiduciaire ou en common law de prendre des mesures raisonnables pour empêcher que l’enfant ne perde son identité autochtone? ». Après huit ans de litiges procéduraux prolongés, la Cour a tranché en faveur des parties demanderesses du recours collectif, jugeant que le Canada est responsable devant la loi puisqu’il a manqué à son obligation de diligence, prévue par la common law, de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les enfants autochtones confiés à la garde d’une famille d’accueil ou de parents adoptifs non autochtones ne perdent pas leur identité autochtone. Des recours collectifs similaires relativement à la rafle des années 1960 ont été intentés en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.
Ressources
- Gouvernement du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (Winnipeg : Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015) en ligne.
- Gouvernement du Canada, Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action (Winnipeg : Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015) en ligne.
- Government of Canada, Royal Commission on Aboriginal Peoples, « Gathering Strength: vol 3 “Chapter 2 – The Family”, Royal Commission Report on Aboriginal Peoples » (1996) en ligne.
- Ontario, Ministry of the Attorney General, « Child First – The Aboriginal Advisors Report on the Status of Aboriginal Child Welfare in Ontario », par J Beaucage, (Toronto: Ministry of the Attorney General, 2015) en ligne.
- Commission to Promote Sustainable Child Welfare, « Aboriginal Child Welfare in Ontario – A Discussion Paper », (Ontario: Commission to Promote Sustainable Child Welfare, 2011) en ligne.
- Manitoba, The Aboriginal Justice Implementation Commission, « Child Welfare, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba », (Winnipeg: Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, 1991) en ligne.
- Ardith Walken, « Wrapping Our Ways Around Them: Aboriginal Communities and the CFCSA Guidebook », (Toronto: First Nations Child and Family Caring Society of Canada, 2006) en ligne.
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- Vandna Sinha & Anna KozlowskI, « The Structure of Aboriginal Child Welfare in Canada » (2013) 4:2 The International Indigenous Policy Journal 1 (en ligne).
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- Friedrich, Delaine, « Child Apprehension: Taking the Indian Out of the Child » (2015) [document inédit archivé à l’Association du Barreau canadien, disponible sur demande.]
- Friedrich, Delaine, « Paper on Aboriginal Identity » (2015) [document inédit archivé à l’Association du Barreau canadien, disponible sur demande.]