
Introduction
Dans un monde qui oblige les entreprises à respecter les droits de la personne dans l’ensemble de leurs activités et de leurs relations, nous espérons que ce guide aidera les entreprises et leurs conseillers juridiques à tirer parti des occasions pour un avenir plus juste et équitable.
A. L’entreprise au sein de la société
Les entreprises, y compris leurs filiales et leurs partenaires, ne sont pas isolées des sociétés dans lesquelles elles-mêmes exercent leurs activités et elles ne sont pas isolées des événements qui ont lieu dans des endroits où elles se procurent des matières premières et d’autres biens. Cette réalité s’illustre dans deux événements internationaux récents et très médiatisés, le coup d’état militaire de février 2021 au Myanmar et la persécution des Ouïghours et d’autres minorités dans la province chinoise du Xinjiang. En conséquence de ces événements, les entreprises au Canada et partout dans le monde doivent examiner leurs activités pour déterminer quels sont les liens, le cas échéant, avec toute atteinte continue aux droits de la personne dans ces territoires. De telles situations continueront de se présenter et obligeront les juristes canadiens et leurs clients à examiner leurs activités et à formuler des réponses. Le présent guide vise à aider les praticiens canadiens (à l’externe et à titre de conseillers internes) dans ces efforts.
B. Prévention et préparation
Plus fondamentalement, ce guide vise à empêcher les juristes canadiens et leurs clients de se retrouver empêtrés dès le départ dans de telles situations, ou leur permettre d’exécuter des façons d’y réagir s’ils sont impliqués. Les entreprises s’exposent de plus en plus à des risques juridiques et de réputation en cas de non-respect des droits de la personne devant les tribunaux canadiens et les instances non judiciaires qui examinent les allégations de violation des droits de la personne par des entreprises canadiennes actives à l’étranger. Les juristes sont bien placés pour conseiller leurs clients et les aider à évaluer leur besoin de sensibilisation aux droits de la personne dans leur entreprise en tant que composante du risque commercial. Cela a été reconnu dans un rapport de juillet 2018 présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui indiquait que « les avocats d’affaires — qu’il s’agisse de conseils juridiques internes ou de cabinets indépendants — sont uniquement placés pour indiquer la voie à suivre aux entreprises ». Le même rapport indiquait que ces juristes ne répondent pas à cette attente. « Ils sont souvent considérés comme l’un des principaux obstacles à l’adoption d’une diligence raisonnable efficace en matière de droits de l’homme, dans une optique traditionnelle étroitement centrée sur le risque juridique. » Le rapport préconisait un « changement de mentalité chez les avocats d’affaires traditionnels ».
C. Domaine de pratique émergent
Le droit des entreprises et des droits de la personne (EDP) est un nouveau domaine de pratique au Canada et à l’échelle mondiale. De nouvelles lois et mesures réglementaires ainsi qu’une jurisprudence croissante obligent les entreprises à rendre compte de leurs pratiques en matière de droits de la personne et à prendre des mesures pour s’assurer que leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement respectent les droits de la personne. La communauté des investisseurs intègre de plus en plus les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans son analyse financière. Les droits de la personne sont au cœur des facteurs sociaux qui exigent que les entreprises connaissent l’évolution des attentes internationales et nationales afin d’assurer le respect des droits de la personne dans l’ensemble de leurs activités commerciales et de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales.
Ce guide sur le droit EDP est en partie une réponse au rapport de 2018 l’Assemblée générale des Nations Unies. Son objectif est de :
- Présenter aux juristes canadiens les principaux concepts EDP applicables aux juristes et à leurs entreprises clientes.
- Souligner la nécessité pour les juristes d’intégrer la sensibilisation EDP à leur pratique juridique.
- Intégrer les préoccupations EDP aux conseils donnés par les juristes canadiens aux entreprises clientes.
- Situer les efforts du Canada dans la progression mondiale afin d’intégrer les préoccupations EDP dans la prestation des services juridiques
Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU) de 2011 constituent le fondement du mouvement EDP actuel. Les PDNU ont été conçus pour répondre à un impératif de gouvernance mondiale. Alors que les entreprises fonctionnaient dans une économie de plus en plus mondialisée et sans frontières, un fossé croissant s’est creusé entre les impacts des entreprises et la capacité des gouvernements de gérer efficacement les activités commerciales et d’assurer la protection des droits de la personne. Dans les années qui ont suivi, le Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, les organismes de surveillance des traités des Nations Unies et d’autres organisations internationales ont formulé des directives spécialisées supplémentaires en matière de droits de la personne pour mieux guider les entreprises. Pour en savoir plus, consultez la section Ressources.
Les PDNU reposent sur la reconnaissance fondamentale que les activités commerciales peuvent avoir des effets négatifs sur les droits de la personne et que les entreprises et les États ont un rôle essentiel à jouer dans le respect des normes en matière de droits de la personne.
En dépit de leur caractère expressément volontaire, les PDNU établissent les jalons d’un paysage en évolution qui présente des risques juridiques, financiers et d’atteinte à la réputation des entreprises. Les PDNU ont également inspiré l’élaboration de lois dans plusieurs ressorts.
Les PDNU adoptent une approche à trois volets de l’EDP :
-
C’est aux États qu’il incombe en premier de protéger les droits de la personne.
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Les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits de la personne.
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Les personnes et les groupes dont les droits de la personne sont violés doivent avoir accès à un recours.
Ce guide aidera les cabinets juridiques, les juristes et leurs clients à répondre aux principales attentes des entreprises en matière de respect des droits de la personne, selon le deuxième Principe général des PDNU.
Le PDNU 13 précise ce qui suit :
La responsabilité de respecter les droits de l’homme exige des entreprises :
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Qu’elles évitent d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par leurs propres activités, et qu’elles remédient à ces incidences lorsqu’elles se produisent.
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Qu’elles s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services par leurs relations commerciales, même si elles n’ont pas contribué à ces incidences.
Le présent guide fournit aux juristes des renseignements pratiques pour conseiller les clients sur les mécanismes permettant de s’acquitter de ces responsabilités.
D. Aperçu des lois et tendances EDP au Canada
Le guide donne un aperçu des lois et des tendances EDP au Canada, de leur application aux entreprises et du rôle de la profession juridique. Il décrit également le paysage évolutif des mécanismes judiciaires et non judiciaires de règlement des différends en matière d’entreprises et de droits de la personne, l’évolution de ce domaine dynamique du droit et la manière dont ces mécanismes s’inscrivent dans les responsabilités des États et des entreprises de veiller à ce que les victimes d’atteintes aux droits de la personne aient accès à un recours.
Le présent guide vise à offrir une perspective canadienne en complément des ressources que les juristes et les entreprises du Canada peuvent utiliser. Par exemple, des documents d’orientation sur l’EDP et la profession juridique ont été publiés par l’Association internationale du Barreau, le Conseil de l’Europe, la Fédération des Barreaux d’Europe, le Law Council of Australia, la Norwegian Bar Association, la Law Society of England and Wales, et la Japan Federation of Bar Associations.
L’Association du Barreau canadien s’est déjà penchée sur certains enjeux EDP. Par exemple, en 2016, elle a adopté la résolution 16-03-M : Principes commerciaux de la lutte contre le travail forcé, la traite de la main-d’œuvre et le travail illégal des enfants et le travail qui leur est nuisible. Ces principes commerciaux, élaborés par un groupe de travail de l’Association canadienne des conseillers juridiques d’entreprise de l’ABC, proposent aux entreprises et à leurs juristes des mesures pratiques pour s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement ne sont pas liées à de telles violations des droits de la personne. Ils peuvent également servir d’exemple des types de processus que les entreprises peuvent adopter pour éviter de causer des violations des droits de la personne, d’y contribuer ou d’y être liées.
Enfin, ce guide traite d’EDP au sens transnational. Il ne traite pas de lois nationales sur les droits de la personne qui s’appliquent dans certains ressorts. Le respect des lois EDP transnationales complète ces lois nationales.