L’assurance pour exécuteurs

10 avril 2014 | Jordan M. Atin

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Au cours d’un séminaire la semaine dernière, des non-initiés se sont fait demander s’ils avaient déjà agi comme exécuteur testamentaire. Les trois quarts du groupe environ ont fièrement levé la main. Mais à la question suivante — le referiez-vous? —, il restait beaucoup moins de mains levées.

Pour les avocats qui conseillent des exécuteurs testamentaires, cette réaction n’est pas surprenante. La charge de travail, les appels incessants des bénéficiaires au sujet de leur héritage, le stress des échéances et du fait de travailler avec des professionnels, la nécessité de tenir une comptabilité méticuleuse et la quantité de documents à conserver, tout cela prend beaucoup de temps et génère beaucoup de frustration. En fait, ce travail est plus qu’ingrat. Combien de fois avons-nous vu des bénéficiaires mécontents critiquer le travail de l’exécuteur et chercher à réduire le dédommagement demandé par l’exécuteur?

La situation peut toutefois être beaucoup plus désagréable encore. Lorsqu’une personne endosse le rôle d’exécuteur testamentaire, elle met en jeu ses propres avoirs. Comme l’affirmait le juge Maurice Cullity dans son important article «Personal liability of trustees and rights of indemnification » : « Le rôle de fiduciaire implique un risque de responsabilité personnelle. »

Cette responsabilité personnelle peut être contractuelle ou délictuelle.

Responsabilité contractuelle

Un exécuteur testamentaire qui entre dans une relation contractuelle avec une succession est personnellement responsable envers la partie contractante (TRADUCTION):

Le point de départ du raisonnement est, évidemment, qu’un fiduciaire, en sa qualité de fiduciaire, traite avec des tiers en tant que principal responsable. Laissant de côté à ce stade les situations où les rôles de fiduciaire et de mandataire coïncident, la règle traditionnelle est qu’un fiduciaire contracte normalement une responsabilité personnelle entière lorsqu’il conclut un contrat avec un tiers. Le fiduciaire peut limiter cette responsabilité personnelle à la valeur des actifs de la fiducie, ou bénéficier d’un droit à une indemnisation sur ces actifs, mais tout dépend des termes du contrat conclu avec le tiers […].

Lorsqu’un exécuteur testamentaire embauche un avocat , un intermédiaire, un courtier immobilier ou un directeur de services funéraires, il devient le principal débiteur, mais le créancier qui a fourni les services peut être subrogé par le droit de l’exécuteur à une indemnisation versée par la succession s’il s’agit d’une dépenseconvenablement encourue . L’indemnisation ne sera versée à partir de la succession que si le contrat est un « contrat convenable dans les circonstances ».

Responsabilité délictuelle

Une négligence de l’exécuteur testamentaire peut rendre l’exécuteur personnellement responsable vis-à-vis des bénéficiaires et des créditeurs de la succession. Voici des exemples de situations où les exécuteurs pourraient être trouvés coupables de négligence:

  1. l’exécuteur a mal interprété les termes du testament, ou ne les a pas suivis;
  2. il a distribué les mauvaises sommes aux mauvaises parties;
  3. il a encouru des déboursements incorrects pour les funérailles et les réclamations des créanciers;
  4. il a préféré de façon inconvenante un créancier à un autre;
  5. il a omis un héritier;
  6. il a fait preuve d’imprudence dans le placement des actifs de la succession;
  7. il a manqué à la règle d’impartialité;
  8. il a commis un délit d’initié;
  9. il a différé les paiements aux bénéficiaires;
  10. il a mal protégé les biens de la succession, par exemple en ne changeant pas les serrures, en ne souscrivant pas une assurance incendie ou en n’entretenant pas la propriété;
  11. il a trop tardé à vendre les actifs;
  12. il a vendu les actifs à un prix déraisonnablement bas;
  13. il a omis de placer les fonds excédentaires;
  14. il a déraisonnablement engagé ou contesté une poursuite au nom de la succession;
  15. il a omis d’engager à temps une poursuite contre un tiers;
  16. il a incorrectement délégué ses responsabilités;
  17. il a accepté un règlement déraisonnablement avantageux pour la partie adverse; et
  18. il a omis de tenir un registre précis de l’administration de la succession.

En vertu de la Loi sur les successions de l’Ontario et de plusieurs autres provinces, un juge peut imposer des dommages-intérêts à un exécuteur testamentaire reconnu coupable d’une action fautive, de négligence ou d’un manquement ayant donné lieu à une perte pour la succession.

Il existe plusieurs cas où les tribunaux ont déclaré que l’exécuteur testamentaire avait manqué à ses obligations en tant que fiduciaire. Dans certains cas, le dédommagement versé à l’exécuteur est réduit sans qu’aucun dommage-intérêt supplémentaire ne soit ordonné contre l’exécuteur.

Cependant, dans un arrêt récent rendu en Ontario par le juge George Strathy, Zimmerman v. McMichael Estate (2010 CarswellOnt 3481), le fiduciaire, reconnu coupable de négligence dans l’administration de la fiducie, s’est fait ordonné de rembourser la succession à partir de ses propres fonds, en plus d’être privé de dédommagement. Le fiduciaire devait également verser aux bénéficiaires des dépens de plus de 270 000 $.

Qu’une allégation de négligence contre un exécuteur testamentaire soit ou non retenue par un tribunal, l’exécuteur est néanmoins dans l’obligation de payer les frais de défense contre cette allégation. Dans plusieurs cas, les dépens accordés à un exécuteur qui a eu gain de cause ne l’indemnisent pas complètement; celui-ci est donc personnellement responsable, dans une certaine mesure, de ses propres frais de défense.

L’assurance de lawpro pour les exécuteurs/avocats

Comme avocats, nous disposons d’une assurance responsabilité professionnelle (ou assurance erreurs et omissions) qui peut nous protéger lorsque nous agissons à titre d’exécuteurs.

La police d’assurance responsabilité professionnelle standard de LawPro couvre les avocats en matière de « services professionnels ». L’expression est définie comme suit par la police de 2012 (TRADUCTION):

(z) L’expression SERVICES PROFESSIONNELS désigne l’exercice du droit du Canada, de ses provinces et de ses territoires, et plus précisément les services exécutés, ou qui auraient dû être exécutés, par ou au nom de l’ASSURÉ en qualité de CONSEILLER JURIDIQUE ou de membre du barreau d’un RESSORT PRATIQUANT LA RÉCIPROCITÉ, selon les conditions prévues à la disposition spéciale A de la partie II; ces services comprennent, sans limiter la portée générale de ce qui précède, les services pour lesquels l’ASSURÉ est responsable en tant que CONSEILLER JURIDIQUEdans le cadre de ses activités à titre de fiduciaire, d’administrateur, d’exécuteur testamentaire, d’arbitre, de médiateur, d’agent de brevets ou d’agent de licences.

La façon dont un avocat a été nommé liquidateur d’une succession est importante pour déterminer s’il est couvert par l’assurance. Selon le point de vue actuel de LawPro, si un avocat a été désigné liquidateur par un client du cabinet d’avocats, les services fournis par l’avocat en qualité de liquidateur dans le cadre de l’administration d’une succession entre dans la définition des « services professionnels ». Autrement dit, la nomination comme liquidateur relève de l’exercice du droit. Si, en revanche, l’avocat a été désigné liquidateur par un membre de la famille ou un ami qui n’est pas un client du cabinet, LawPro considère généralement que votre mandat d’exécuteur testamentaire n’est pas couvert par la définition des « services professionnels ».

Un avocat qui a été désigné liquidateur successoral par un client est couvert même s’il a retenu les services d’un autre conseiller juridique pour agir en son nom et qu’il n’exécute pas lui-même le travail juridique se rapportant à la succession.

Il existe une couverture pour les avocats à la retraite qui agissent comme liquidateurs successoraux dans les circonstances où ces avocats auraient été couverts s’ils n’avaient pas pris leur retraite (par exemple, si la nomination avait relevé de leur exercice du droit). Cette couverture s’applique ici, mais à moins d’avoir souscrit une assurance supplémentaire, elle est limitée à 250 000 $ au total. Dans tous les cas, LawPro recommande aux avocats à la retraite de les prévenir de toute nomination comme liquidateur successoral.

Les avocats paient de leur poche les primes de cette police, et en cas de réclamation, l’avocat doit payer la hausse des primes et la franchise.

L’assurance pour exécuteurs testamentaires

Un produit relativement nouveau — l’assurance pour exécuteurs testamentaires (executor’s insurance) — a été dévoilé à la profession et au public.

L’assurance pour exécuteurs testamentaires, comme l’assurance des titres de propriété il y a vingt ans, pourrait devenir un produit recommandé systématiquement aux exécuteurs. La police fournit aux exécuteurs une couverture pour les dommages-intérêts imposés à la suite d’une réclamation fondée sur une erreur, une omission ou de la négligence dans l’exécution de ses obligations ou l’omission d’exécuter ses obligations. Les dommages-intérêts comprennent:

  1. les frais de défense;
  2. les dommages-intérêts visant à redresser l’erreur ou à indemniser la succession;
  3. les dépens alloués contre l’assuré; et
  4. toute dépense raisonnable.

Les avantages de cette police

La police d’ERAssure contient quelques éléments notables:

  1. La couverture s’applique avant même qu’une réclamation n’ait été officiellement déposée.
  2. Les dommages-intérêts comprennent les dommages-intérêts compensatoires, mais pas la réduction du dédommagement de l’exécuteur.
  3. La police ne couvre pas les dettes fiscales relatives au revenu ou aux frais d’homologation, mais couvre cependant certains frais de défense dans certaines circonstances.
  4. L’assurance exige l’homologation du testament, mais s’applique néanmoins à des testaments multiples lorsque les exécuteurs et les bénéficiaires sont les mêmes.

Les avantages semblent clairs: un client n’aura pas à mettre sa propre maison en danger le jour où il aura l’« honneur » d’être nommé exécuteur testamentaire. L’exécuteur aura également une certaine protection contre les frais juridiques non couverts par la succession en cas de poursuite intentée par les bénéficiaires pour cause de négligence.

Par ailleurs, dans la mesure où, en cas de négligence de l’exécuteur, la succession elle-même peut s’adresser à l’assureur et obtenir une indemnisation sans avoir à poursuivre l’exécuteur, la police présente également des avantages pour les bénéficiaires. Dans l’affaire Zimmerman, par exemple, le fiduciaire est en fin de compte décédé avant d’avoir remboursé la succession. Selon le Globe & Mail, l’un des bénéficiaires aurait déclaré: « Je ne suis pas certain que nous pourrons récupérer quoi que ce soit, mais nous verrons. »

Les primes

Deux questions viennent immédiatement à l’esprit: Combien coûte cette police? Qui doit verser les primes?

Le prix de la police dépend de la taille de la succession. Pour une succession d’un million de dollars, le coût d’une police de trois ans est d’environ 2000 $. L’assurance peut couvrir toutes les tailles de succession, mais certaines conditions peuvent varier selon les circonstances des successions.

La réponse à la question de savoir si les primes peuvent être versées à partir de la succession ou si elles doivent être versées à même les fonds personnels de l’exécuteur testamentaire n’est pas certaine. Comme un exécuteur a généralement droit à une indemnisation pour les frais encourus dans l’exercice de ses fonctions, on peut certainement soutenir qu’une police d’assurance représente une indemnisation de ses frais potentiels. Il y a en outre un avantage probable pour les bénéficiaires, dans le cas par exemple où un exécuteur subirait des frais dans la défense contre une poursuite pour cause de négligence engagée par l’un des bénéficiaires et qu’il aurait gain de cause. Sans assurance pour exécuteurs, l’exécuteur se tournerait vers la succession pour le remboursement de ces frais. Avec une assurance pour exécuteurs, ces frais seraient pris en charge par l’assureur.

À ce jour, aucune décision judiciaire n’a été rendue sur cette question.

Les avantages et les risques pour les avocats

L’assurance pour exécuteurs testamentaires peut fournir une protection aux avocats. Les avocats sont de plus en plus poursuivis en justice par leurs clients exécuteurs lorsque l’exécuteur a été poursuivi par le bénéficiaire. Souvent, l’exécuteur prétend qu’il n’a pas été adéquatement conseillé par l’avocat, par exemple qu’il n’a pas été avisé de tenir une comptabilité adéquate ou qu’il n’a pas été informé des exigences de la Loi sur les fiduciaires en matière de placement. Ces poursuites surviennent une fois que les bénéficiaires ont engagé leur propre poursuite contre l’exécuteur.

Les exécuteurs qui disposent d’une assurance n’auront pas à poursuivre leur avocat. Les dommages-intérêts et les frais encourus par l’exécuteur seront couverts et il sera inutile d’impliquer l’avocat comme tierce partie.

Le titulaire d’une police d’ERAssure renonce à ses droits de recours contre l’avocat dans tous les cas.

Pour les avocats agissant à titre d’exécuteurs, l’assurance pour exécuteurs peut également leur éviter d’avoir à mettre en jeu leur assurance responsabilité professionnelle. Si une action est intentée contre eux pour cause de négligence à l’égard de l’administration de la succession, ils pourront compter sur l’assurance pour exécuteurs, qui ne prévoit aucune hausse des primes ou frais administratifs.

Toutefois, l’existence même d’une assurance pour exécuteurs présente également des risques pour les avocats.

Conseiller ses clients au sujet de l’assurance pour exécuteurs

Supposons que vous êtes engagé par un exécuteur testamentaire et que vous ne lui mentionnez pas l’existence de l’assurance pour exécuteurs. Il est ensuite poursuivi par un bénéficiaire pour ne pas s’être acquitté adéquatement de ses obligations d’exécuteur et est déclaré personnellement responsable du préjudice. Son avocat vous écrit pour vous demander pourquoi vous ne l’avez pas avisé qu’il pouvait souscrire une assurance pour exécuteurs.

Du point de vue de la gestion du risque, que l’on soit ou non un partisan de l’assurance pour exécuteurs, une simple déclaration de l’existence d’une telle assurance permettra d’éviter ce risque.

« J’atteste que je vous ai informé que:

• les exécuteurs testamentaires peuvent se faire reconnaître une responsabilité personnelle pour ne pas s’être acquittés adéquatement de leurs obligations; ainsi, vos avoirs personnels peuvent être en danger si vous êtes déclaré(e) responsable;

• il existe une assurance qui protège les exécuteurs testamentaires contre le risque d’encourir des dommages-intérêts ou des frais judiciaires en cas de poursuite pour cause de négligence.

Si vous désirez en savoir davantage sur l’assurance pour exécuteurs testamentaires, veuillez m’en aviser. »

Si le client ne désire pas souscrire une assurance pour exécuteurs, vous pouvez également attester de ce choix dans votre lettre.

Aviser le testateur

De même, les testateurs qui souhaitent protéger leur exécuteur d’une éventuelle responsabilité personnelle devraient être informés de l’existence de cette assurance. Si le testateur désire que l’exécuteur souscrive une telle assurance, on lui conseillera de prévoir une disposition autorisant son achat et le versement des primes à partir de sa succession:

« J’autorise mon fiduciaire à acheter, aux frais de ma succession, l’assurance erreurs et omissions qu’il jugera suffisante pour se protéger contre toute poursuite en justice et toute perte découlant d’une erreur ou d’une omission dans son administration de la succession. Le coût de cette assurance ne devrait pas être déduit du dédommagement auquel mon fiduciaire a droit pour l’exercice de ses fonctions. »

Conclusion

Bien qu’il soit évident que l’assurance pour exécuteurs testamentaires ne couvrira pas toutes les responsabilités possibles, elle fournit dans les faits une couverture similaire à l’assurance de LawPro à l’égard de la responsabilité de l’exécuteur et peut-être même de circonstances plus larges.

Que l’on choisisse d’utiliser ou non l’assurance pour exécuteurs testamentaires pour soi-même, son existence devrait néanmoins être signifiée à tout client agissant comme exécuteur testamentaire afin de protéger non seulement le client, mais aussi l’avocat.

Jordan M. Atin, J.D., C.S., TEP, 416 369-0335, jatin@hullandhull.com.