Communications avec la clientèle : évaluer votre compétence interculturelle

29 septembre 2014 | Jatrine Bentsi-Enchill

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En cette ère de mondialisation, la communication interculturelle est devenue une compétence importante que les juristes ont tout intérêt à maîtriser. Lorsqu’on a des relations au quotidien avec des clients, des clientes et des collègues, on est forcément confronté à un moment ou un autre à des questions culturelles. Qu’il s’agisse de comportement, de communication, de relations affectives, du statut de parent, de processus décisionnel, d’attentes ou autres, tous ces aspects revêtent une signification culturelle.

De bonnes communications interculturelles supposent la capacité de communiquer avec des personnes provenant d’autres cultures de manière à minimiser tout conflit, à promouvoir une meilleure compréhension et à maximiser votre habileté à établir une relation de confiance. Cette compétence exige des juristes qu’ils et elles apprennent comment interpréter correctement les signes verbaux et non verbaux.

Pour les juristes, la reconnaissance des différences culturelles peut favoriser la prospérité de leur entreprise, la conservation de leur personnel, améliorer le service à la clientèle et, plus important encore, les relations entre l’avocat et son client, sa cliente.

La communication interculturelle et la compétence en matière de culture

Nous interprétons toutes et tous le monde via notre prisme culturel. Ces interprétations peuvent mener à des jugements positifs, négatifs, voire parfois erronés, au sujet des agissements, des décisions et des choix faits par les clients et d’autres personnes.

La capacité de communiquer avec différentes cultures est liée à notre niveau de compétence culturelle. Plus ce dernier est élevé, plus nos capacités à communiquer avec d’autres cultures augmentent.

Alors, en quoi consiste cette compétence culturelle? Pour les individus, la compétence culturelle est l’habileté à fonctionner avec efficacité dans un contexte marqué par les différences culturelles et la capacité de s’adapter, d’accepter et d’interpréter un comportement propre à une autre culture que la sienne.

Tâchez de voir la compétence culturelle comme une « lentille » qui permet d’interpréter avec précision des agissements et des valeurs propres à une culture.

Comment évaluer votre compétence culturelle

Pour déterminer votre niveau de compétence culturelle, vous devez procéder à votre auto-évaluation. Le Dr Milton Bennett, concepteur du Development Model of Intercultural Sensitivity, fournit un excellent point de départ pour faire le point sur les perspectives actuelles entourant les notions de culture et de différence.

Son modèle propose 6 étapes permettant de mesurer le niveau de sensibilité interculturelle et de compétence culturelle d’une personne.

1er STADE : le déni

À ce stade, les juristes ignorent les différences culturelles.

L’attitude caractéristique de cette ignorance se manifestera souvent sous forme de réflexions telles que : « Les affaires sont les affaires n’importe où dans le monde » ou « Tout le monde réagirait de cette façon ». Les juristes à cette étape de leur développement peuvent être tellement obnubilés par l’aspect professionnel d’un mandat qu’ils et elles peuvent occulter les facettes culturelles de leurs relations d’affaires avec les clients, clientes et les collègues. À ce stade, on observe un manque manifeste de reconnaissance de la différence.

Et pourtant, cette conscience est un élément clé de la communication interculturelle. De bonnes communications interculturelles exigent des personnes qu’elles soient conscientes des différences et qu’elles les respectent. Une ou un juriste en situation de déni sera ainsi complètement insensible aux tabous culturels, aux attentes, aux valeurs familiales, aux modes de communication et aux types de conflits propres à son client ou sa cliente.

Des juristes dans cette situation seront incapables d’établir de solides relations de confiance avec des clients provenant de cultures différentes. L’incapacité de comprendre l’importance des différences culturelles peut inciter l’avocat ou l’avocate à adopter des stratégies inadaptées au règlement de la cause en raison de l’interprétation erronée du comportement de son client.

Les juristes, dans ce cas, risquent de susciter des conflits et des malentendus et feront en général preuve d’un manque de compréhension quant à l’importance des communications interculturelles.

2e STADE : l’attitude défensive

À ce stade, les juristes, s’ils reconnaissent l’existence de différences culturelles, auront plutôt tendance à les considérer de manière négative.

Au lieu de s’efforcer de comprendre ou d’interpréter les schémas de conduite ou de communication différents de leur propre culture, les juristes de type défensif seront plutôt enclins à qualifier erronément cette conduite à l’aide de qualificatifs tels que « inappropriée », « non intelligente », « malhonnête », etc. Dans cette étape, plus grande est la différence, plus elle sera perçue de façon négative.

Une ou un avocat criminaliste au stade du déni sera probablement perturbé de devoir défendre une femme en provenance de Chine accusée de meurtre, car elle aura tendance à défendre l’honneur de la famille plutôt que de revendiquer la légitime défense pour expliquer le meurtre de son conjoint. (Pour la plupart des Chinois et Chinoises, les questions d’honneur, de honte et de dévouement envers la famille ont préséance sur tout autre objectif ou préoccupation d’ordre personnel). Comment un avocat, dans cette position de déni, pourrait-il représenter avec efficacité cette cliente? De quelle manière les différences culturelles en matière de visions du monde et de comportements pourraient influencer les relations de l’avocat avec sa cliente?

Il est évident que les avocats et avocates dans cette situation éprouveront de la difficulté à communiquer et à travailler efficacement avec des clients qu’ils perçoivent comme différents. Cette perception peut en outre inciter des avocats par ailleurs bien intentionnés à porter un jugement erroné ou stéréotypé à propos d’un client ou d’une cliente. Des attitudes et des perceptions négatives au sujet de personnes provenant d’autres cultures ne peuvent que nuire à la compréhension et à la communication interculturelles, ce qui à la longue minera la capacité de l’avocat à établir une relation solide et respectueuse avec son client ou sa cliente.

3e STADE : la minimisation de la différence

Il est courant chez les avocats et les avocates, à ce stade, d’éviter les stéréotypes et de saisir les différences au plan de la culture et du langage. Cependant, bon nombre d’entre eux considéreront que leurs propres valeurs culturelles sont universelles et supérieures, plutôt que de les voir comme une simple composante de leur appartenance ethnique et de leur culture.

Il est donc fréquent d’observer chez ces juristes une tendance à minimiser les valeurs d’autrui et à croire que tout le monde partage leurs idéaux, leurs buts et leurs valeurs qu’il s’agisse de la famille, du travail, du professionnalisme, de l’humour, de la communication, etc. Lors de ses échanges avec les clients, les clientes, l’avocat ou l’avocate aura tendance à interpréter erronément leurs comportements, opinions et réactions parce qu’il ou elle croit à tort que le client partage systématiquement ses valeurs culturelles.

À titre d’exemple, dans la culture américaine, lorsqu’il s’agit d’évaluer la crédibilité d’un client ou d’un témoin, les avocats interpréteront comme un signe de malhonnêteté l’incapacité de cette personne à le regarder dans les yeux en parlant. Cependant, dans plusieurs cultures, le fait de baisser les yeux est une marque de respect envers une personne en position d’autorité. De quelle manière l’interprétation inexacte d’un type de comportement influencera-t-elle la capacité de l’avocat d’effectuer une évaluation précise de la crédibilité du témoin ou du client?

Les juristes dans cette situation s’efforcent de minimiser les différences et, ce faisant, ils et elles interprètent erronément les signaux de comportement et de communication pertinents fondés sur les valeurs culturelles de la personne. En prenant pour acquis, à tort, que tout le monde vit sur le même modèle, le juriste dresse un obstacle à une authentique communication interculturelle.

4e STADE : l’acceptation de la différence

Les juristes, dans ce cas, jugent fondamental de percevoir les différences culturelles importantes pour comprendre et améliorer les échanges avec des personnes provenant d’autres cultures.

À ce stade, on observe une connaissance de sa propre culture tout en reconnaissant que des personnes d’autres cultures puissent communiquer de manière différente et respecter d’autres idées et coutumes, sans que ce constat soit teinté de notions d’infériorité ni de supériorité. Les juristes, dans ce cas, sont donc enclins à interpréter la culture via un prisme culturellement impartial.

Les juristes capables d’accepter les différences culturelles sont aptes à modifier leur perspective afin de comprendre qu’un comportement considéré comme « ordinaire » dans sa culture peut revêtir différentes significations dans d’autres cultures.

La flexibilité, l’adaptabilité et l’ouverture d’esprit sont des éléments indispensables pour interagir efficacement dans le cadre d’une représentation juridique et entretenir des communications fructueuses avec vos clients et vos clientes d’autres cultures. Comprendre, admettre et apprécier les différences culturelles permet de supprimer les barrières culturelles et de diminuer le risque de « conflits culturels ». Ces procédés favorisent l’efficacité des communications, renforcent les relations et la confiance réciproque, et améliorent le service à la clientèle.

Il est important que les avocats et les avocates soient en mesure d’analyser correctement les besoins de leur clientèle pour pouvoir y répondre et que cette compétence forme la base de relations solides entre les deux.

Voici un exemple de situation réelle décrite par un avocat en droit de l’immigration. Il illustre tout à fait le type de communication interculturelle fructueuse que peuvent échanger un avocat et son client.

L’avocat en question représente un client désireux d’obtenir son statut de résident permanent, et ce, afin de pouvoir prendre de longues vacances pour rentrer dans son pays et revoir sa famille et ses amis.

Au cours de la discussion entourant la période requise pour l’obtention du statut de résident permanent, l’avocat explique gentiment à son client que ses attentes sont déraisonnables et impossibles à satisfaire. Afin d’accélérer le processus, le client décide d’offrir un pot-de-vin à l’avocat.

Dans cette situation, l’avocat connaissait les antécédents culturels de son client et savait que dans son pays il est coutumier de proposer des post-de-vins aux fonctionnaires afin d’accélérer certaines procédures; en fait, ces pots-de-vins sont souvent même un dû auquel le fonctionnaire s’attend.

La connaissance que l’avocat avait des us et coutumes de son client lui a permis de réagir de manière réceptive et judicieuse. En outre, l’avocat a fait preuve de compréhension plutôt que de porter un jugement, il a donc su préserver la qualité de ses relations avec le client.

Cet exemple illustre parfaitement notre propos, à savoir l’importance des connaissances et compétences en matière culturelle pour établir et conserver de solides relations avocat-client.

5e STADE : l’adaptation à la différence

À ce stade de développement, les avocats et avocates sont en mesure d’avoir une perspective éclairée sur une autre culture et de fonctionner tout à fait normalement au sein de cette culture différente.

Dans cette situation, les avocats auront probablement développé de solides aptitudes en matière de communication interculturelle. C’est grâce à leur reconnaissance, leur acceptation et leur capacité d’adaptation à d’autres cultures, que cette communication est devenue possible. Ils sont en outre davantage susceptibles de comprendre de leur propre chef les nuances caractéristiques à d’autres cultures, ce qui stimule chez eux une ouverture d’esprit plus large et les rend plus aptes à communiquer avec autrui.

6e STADE : l’intégration de la différence

À ce stade, les avocats et avocates ont la capacité d’évaluer le comportement d’une autre personne dans son propre cadre de référence, qu’il s’agisse de leur client, d’un adversaire, d’une ou d’un collègue ou d’un membre du personnel. Ils seront aptes à établir un rapport et à décrypter les signaux verbaux et non verbaux d’une personne provenant d’une autre culture.

Cette aptitude est utile pour apprendre « à interpréter » les gens avec exactitude et à respecter autrui contrairement à une attitude fondée sur des stéréotypes.

Les avocats à ce stade d’intégration deviennent experts dans l’évaluation d’une situation, quel que soit le cadre de référence culturel. En outre, les avocats à des postes de direction au sein d’organisations définiront les rôles de leurs employés avocats en exigeant qu’ils et elles possèdent une compétence en matière interculturelle, sinon en leur demandant de suivre une formation spécialisée en connaissances interculturelles. Ainsi, ils veillent à ce que toute forme de diversité culturelle soit abordée avec respect, ce qui favorise un personnel et une clientèle plus diversifiés. Les organisations qui ont mis en place de telles politiques de diversité possèdent un avantage supérieur par rapport à d’autres organisations lorsqu’il s’agit de traiter avec une clientèle diversifiée.

Plus l’avocat ou l’avocate entretiendra et enrichira sa compétence en matière culturelle, plus il ou elle sera à même de communiquer avec efficacité avec ses clients, clientes, et d’autres personnes de diverses origines culturelles.

La compétence en matière culturelle est un processus évolutif qui s’étend sur une période à long terme grâce à un processus opportun d’évaluation de cette compétence, de formation et de supervision.

Les programmes de formation en matière de compétence culturelle doivent suivre une approche multidimensionnelle et se concentrer sur l’acquisition d’aptitudes, de connaissances et d’attitudes qui englobent les cinq éléments suivants :

  1. reconnaissance, acceptation et appréciation de la différence;
  2. connaissance de ses propres valeurs culturelles;
  3. compréhension des dynamiques de la différence;
  4. développement des connaissances culturelles;
  5. faculté d’adaptation et aptitudes pratiques à s’ajuster au contexte culturel d’autrui, qu’il s’agisse de ses collègues, de ses supérieurs, ou de ses clients.

Et plus important encore, les programmes doivent répondre aux besoins de tous les participants et participantes, et être conçus de manière à créer un environnement d’apprentissage sécurisant où l’opinion de chaque participant est respectée et appréciée, peu importe le niveau d’aptitude de l’individu en matière de compétence culturelle.

Conseils pour améliorer vos communications interculturelles

Bien que la formation et l’assistance professionnelle soient les méthodes les plus efficaces pour améliorer vos aptitudes à la communication interculturelle, voici quelques conseils pour les juristes désireux d’améliorer leurs aptitudes en matière de communication culturelle :

  1. Développez votre sensibilité. Tâchez d’avoir toujours à l’esprit que même si un geste, un mot ou une réaction peut revêtir une signification précise dans votre culture, sa signification peut être complètement différente pour une personne provenant d’une autre culture.
  2. Réévaluez vos propres valeurs culturelles. Comprendre la manière dont votre vision du monde et votre culture influencent votre perception d’autrui vous aidera à relever les situations où vous auriez tendance à vous fonder sur des préjugés ou des stéréotypes dans vos relations avec des personnes que vous percevez comme différentes.
  3. Faites preuve de compréhension. En vous efforçant de mieux comprendre vos clients et leurs motivations, vous aurez une vision plus large de l’incidence de la culture sur leurs valeurs, perspectives et agissements.
  4. Soyez à l’écoute et prêtez attention. Essayez de vous concentrer sur les signaux verbaux et non verbaux et le comportement de votre client ou cliente. S’il semble distrait, tourmenté ou mal à l’aise, posez-lui des questions.
  5. Réservez le plus possible votre jugement. En abordant les personnes d’autres cultures avec des idées préconçues, vous nuisez à la compréhension claire et objective de leur situation.
  6. Faites preuve de souplesse. La flexibilité, l’adaptabilité et l’ouverture d’esprit sont des éléments indispensables pour interagir efficacement dans le cadre d’une représentation juridique et entretenir des communications fructueuses avec vos clients d’autres cultures. Comprendre, admettre et apprécier les différences culturelles favorisent les communications efficaces et renforcent les relations et la confiance réciproque entre les avocats et leur clientèle.

Les avocates et avocats désireux de traiter des questions culturelles dans leurs rapports avec des clients amélioreront les relations avec eux et leur capacité de résoudre des problèmes et de négocier. N’oubliez pas que l’amélioration des communications interculturelles et de la compétence en matière culturelle est un processus évolutif, un parcours de longue haleine, alors soyez patient. Votre engagement et votre désir d’amélioration seront les éléments clés de la qualité de votre service à la clientèle et du perfectionnement de vos talents d’avocat.

Jatrine Bentsi-Enchill est avocate, formatrice professionnelle accréditée, conférencière et directrice du Esq. Development Institute (EDI). Le Esq. Development Institute est spécialisé dans l’assistance personnelle aux juristes et les programmes de formation pour les cabinets dans les domaines du leadership, de la communication, de la compétence culturelle, de la compétence culturelle, du développement des qualités de gestionnaire et de la conciliation travail/vie privée. On peut joindre Mme Bentsi-Enchill par courriel à JBE@esqdevelopmentInstitute.com ou par téléphone, au 704-814-6135.