Chère Advy,
J’aimerais avoir de vos conseils sur la façon de soutenir mes clients et mes tĂ©moins Ă toutes les Ă©tapes du processus judiciaire en ce qui a trait Ă leur bien-ĂŞtre. Avez-vous des suggestions pour que je puisse les aider Ă gĂ©rer leur stress et leur anxiĂ©tĂ©? Je lis de plus en plus d’histoires sur les personnes que le processus traumatise Ă nouveau et, bien que je n’aie pas beaucoup de temps pour les prĂ©parer, j’aimerais connaĂ®tre les mĂ©thodes que vous suggĂ©rez pour les aider Ă passer Ă travers cette expĂ©rience.
Sincères salutations,
Alléger-la-situation
Cher Alléger-la-situation,
Félicitations de prendre en considération le bien-être de vos clients et témoins dans le processus judiciaire.
Ce n’est pas seulement louable parce que vous dĂ©montrez ĂŞtre une personne attentionnĂ©e. MĂŞme d’un point de vue purement intĂ©ressĂ©, il est sage de garder Ă l’esprit que ces gens dont dĂ©pend votre cause sont eux-mĂŞmes des ĂŞtres humains qui vivent souvent l’une des expĂ©riences les plus stressantes de leur vie. Ce stress peut se traduire par des comparutions manquĂ©es devant un tribunal, des oublis, des trous de mĂ©moire, des emportements dĂ©favorables et d’autres Ă©lĂ©ments qui peuvent marquer la diffĂ©rence entre le succès et l’Ă©chec lors d’un procès. Maintenant, j’ai le sentiment que vous posez cette question par souci des besoins des tĂ©moins et des clients. Je ne mentionne pas ces prĂ©occupations stratĂ©giques seulement pour votre bien, mais parce que vous pourriez avoir Ă justifier les raisons pour lesquelles vous traiter des tĂ©moins avec tant d’humanitĂ© Ă des collègues qui ne sont peut-ĂŞtre pas aussi attentionnĂ©s que vous.
Chaque personne est différente
Je vais dĂ©signer les tĂ©moins et les clients collectivement comme des « tĂ©moins ». La partie la plus Ă©prouvante d’une participation Ă un procès est gĂ©nĂ©ralement celle de fournir des preuves. Ainsi, lorsqu’il est question de gĂ©rer un traumatisme, c’est le rĂ´le de tĂ©moin qui importe le plus. Il y a quelques exceptions Ă cela et je m’y attarderai ci-dessous.
Le stress qui vient avec un procès touche les personnes qui y participent de diverses façons. Chaque personne qui s’approche de la barre des tĂ©moins est non seulement unique, mais les diffĂ©rents rĂ´les qu’elle peut jouer dans la cause en question exercent une influence sur l’expĂ©rience vĂ©cue au cours du procès. Quelqu’un qui comparaĂ®t et risque la perte de la garde d’un enfant, un possible emprisonnement ou mĂŞme la perte d’une somme d’argent importante vit habituellement une expĂ©rience très diffĂ©rente d’une personne pour qui le rĂ©sultat a de moindres consĂ©quences.
Vous avez raison de souligner que beaucoup de personnes qui ont Ă©tĂ© traumatisĂ©es peuvent l’ĂŞtre Ă nouveau en raison de ce qu’elles vivent dans une salle d’audience. Si vous avez dĂ©jĂ passĂ© un certain montant de temps dans une salle d’audience, vous avez probablement remarquĂ© que vous avez souvent tort lorsque vous tentez de prĂ©dire les tĂ©moins qui seront les plus gravement touchĂ©s par l’expĂ©rience devant le tribunal et ceux qui seront les plus rĂ©silients. Les personnes qui allaient selon vous bien se dĂ©brouiller s’Ă©croulent parfois totalement, alors que celles que vous croyiez fragiles vous surprennent en gĂ©rant parfaitement bien la situation. Votre diagnostic approximatif de la rĂ©silience du tĂ©moin est souvent erronĂ©. Se souvenir de cette leçon d’humilitĂ© peut ĂŞtre très utile pour Ă©viter d’ĂŞtre pris de surprise dans un procès.
Votre tĂ©moin est l’expert
La meilleure source d’information sur la façon dont vos tĂ©moins rĂ©agiront face au stress que gĂ©nère un procès est vos tĂ©moins eux-mĂŞmes. Parlez-leur franchement et ouvertement de ce Ă quoi ressemblera l’expĂ©rience. Si c’est pratique, encouragez-les Ă regarder d’autres instances pour qu’ils se fassent une idĂ©e de ce qui se passe rĂ©ellement dans une vraie salle d’audience.
MalgrĂ© l’importance de parler franchement du stress, il est Ă©galement essentiel que vous puissiez vous occuper de la dĂ©licate tâche d’expliquer que les processus juridiques ne se dĂ©roulent habituellement pas comme nous le souhaitons. La comprĂ©hension des faits par un client peut bien ĂŞtre contredite par d’autres Ă©lĂ©ments de preuve et une constatation de fait nĂ©gative est toujours possible. Les juges et les autres personnes chargĂ©es de prendre des dĂ©cisions juridiques ne sont pas des gens qui voient tout et savent tout. Ce sont des ĂŞtres humains qui doivent travailler avec des preuves imparfaites pour comprendre ce qui s’est passĂ©. Cela peut vous sembler Ă©vident, mais c’est loin d’ĂŞtre Ă©vident pour toute personne qui n’est pas un juriste. ĂŠtre surpris que la cour, le tribunal, la commission ou tout autre organisme d’Ă©tablissement des faits ne voie pas les choses de la mĂŞme façon que vous peut ĂŞtre incroyablement traumatisant.
« Brisez la vitre en cas d’urgence »
Vous devriez Ă©galement parler Ă vos tĂ©moins de ce que vous faites vous-mĂŞme pour assurer votre bien-ĂŞtre lorsque vous prenez part Ă un procès. Vos solutions personnelles pour gĂ©rer le stress ne s’appliquent peut-ĂŞtre pas bien Ă la situation du tĂ©moin, mais ce n’est pas l’objectif de cet exercice. L’important est de lui faire comprendre qu’il est acceptable de ne pas se sentir Ă l’aise, et de dĂ©velopper une stratĂ©gie pour vous aider si vous ressentez ce malaise.
Il y a parfois dans les bâtiments des compartiments avec du matĂ©riel de sĂ©curitĂ© en cas d’incendie. Le message « Brisez la vitre en cas d’urgence » est Ă©crit en caractères rouges gras sur ces compartiments. Quelqu’un a pris le temps de comprendre ce dont une personne aurait besoin s’il y avait un incendie, puis de mettre ces choses dans une boĂ®te vitrĂ©e sur un mur pour qu’il soit facile d’y avoir accès au moment opportun. Vous n’avez pas Ă chercher un boyau ou un objet pour briser une fenĂŞtre pour vous Ă©chapper en cas d’incendie. Tout est lĂ pour vous. La planification de ce que vous (et, par ricochet, vos tĂ©moins) ferez si l’Ă©quivalent psychologique d’un incendie violent se dĂ©clare correspond au contenu de cette boĂ®te d’urgence. Soyez le meilleur ami possible de la version stressĂ©e de la personne que vous pourriez ĂŞtre dans un avenir proche. Voici la partie vraiment positive de cela : si vous mettez au point un plan de secours, vous aurez l’impression d’ĂŞtre en contrĂ´le de la situation, mĂŞme dans les pires cas. Ce sentiment de contrĂ´le Ă lui seul vous aidera Ă vous en sortir lorsque de mauvaises choses se produiront. Vous pourrez littĂ©ralement vous calmer en sachant que vous aviez prĂ©vu cette Ă©ventualitĂ©.
Je parle ici de faire cela pour vous-mĂŞme, ce qui peut sembler peu pertinent compte tenu de votre question. Comme je l’ai dit, si vous Ă©laborez de façon proactive un plan de secours pour vous-mĂŞme, cela aidera le tĂ©moin Ă en faire de mĂŞme. Comme ils disent dans le milieu du cinĂ©ma, il faut montrer l’histoire, pas la raconter. Si votre tĂ©moin vous voit planifier avec calme ce que vous ferez si les choses tournent mal, il se sentira habilitĂ© et encouragĂ© Ă en faire de mĂŞme.
Prise de précautions supplémentaires
Si vous savez qu’un tĂ©moin a un diagnostic Ă©tabli en matière de santĂ© mentale, vous devez ĂŞtre conscient de ses besoins particuliers. Puisque la maladie mentale est encore extrĂŞmement stigmatisĂ©e dans notre sociĂ©tĂ©, vous devez trouver le moyen d’entamer une conversation sur ce sujet avec respect et discernement. Le tĂ©moin peut avoir de bonnes raisons de ne pas vouloir partager un diagnostic avec vous. Vous devez non seulement faire comprendre au tĂ©moin que vous ne le traiterez pas comme un ĂŞtre humain qui vaut moins qu’une personne n’ayant reçu aucun diagnostic de cette nature, mais vous devez aussi joindre le geste Ă la parole.
L’un des Ă©lĂ©ments les plus insidieux de la stigmatisation sociale entourant la maladie mentale est la croyance omniprĂ©sente que les personnes atteintes d’une maladie mentale diagnostiquĂ©e soient moins crĂ©dibles ou moins fiables. PrĂŞtez attention Ă ce que vous dites Ă votre tĂ©moin pendant et après la discussion Ă ce sujet. Évitez de lui donner l’impression que vous ne pouvez plus lui faire confiance en raison de ce que vous savez. D’ailleurs, des recherches convaincantes suggèrent que les personnes avec certains types de problèmes de santĂ© mentale sont des tĂ©moins plus fiables, et pas le contraire. En particulier, la dĂ©pression est souvent associĂ©e Ă une comprĂ©hension accrue de la rĂ©alitĂ©, et non Ă une perception entravĂ©e.
Travaillez avec vos tĂ©moins et, s’ils le souhaitent, faites participer leurs thĂ©rapeutes ou leurs proches aidants Ă l’Ă©laboration d’une stratĂ©gie avant le dĂ©but des audiences pour attĂ©nuer les consĂ©quences du processus. Certains troubles de santĂ© mentale sont diurnes, c’est-Ă -dire que les symptĂ´mes changent au cours de la journĂ©e. Il peut y avoir des moments de la journĂ©e oĂą le tĂ©moin est en meilleure santĂ© ou le tĂ©moin peut devoir prendre des mĂ©dicaments Ă des moments prĂ©cis de la journĂ©e. Vous devez mettre au point un plan afin de vous assurer que cet horaire n’est pas bouleversĂ© par l’heure prĂ©vue de l’audience. Les symptĂ´mes de certains problèmes, comme la schizophrĂ©nie, et les effets secondaires de certains mĂ©dicaments peuvent ressembler Ă ce que nous voyons gĂ©nĂ©ralement comme des indicateurs de malhonnĂŞtetĂ©, mĂŞme lorsque le tĂ©moin est tout Ă fait honnĂŞte. Concevez une stratĂ©gie avec votre tĂ©moin afin que vous puissiez prĂ©senter leur tĂ©moignage au meilleur moment de la journĂ©e et dans les meilleures conditions possibles. Cela l’aidera non seulement Ă offrir un meilleur tĂ©moignage, mais il aura aussi une plus grande probabilitĂ© de passer Ă travers le procès sans subir de prĂ©judice.
Il est parfois difficile de prendre en compte ces considĂ©rations. Rappelez-vous qu’un problème de santĂ© mentale n’est pas quelque chose de honteux. Il s’agit simplement d’un Ă©lĂ©ment Ă prendre en compte dans votre travail avec le tĂ©moin. Si le tĂ©moin Ă©tait en fauteuil roulant, vous ne dĂ©tourneriez pas le regard en agissant comme si vous ne l’aviez pas remarquĂ©. Vous veilleriez Ă ce qu’il puisse se rendre Ă la barre des tĂ©moins pour tĂ©moigner, puis en ressortir lorsqu’il aurait terminĂ©. C’est la mĂŞme chose avec la santĂ© mentale.
Encore une fois, rappelez-vous que mĂŞme si vous comprenez bien ce qu’est la santĂ© mentale et que vous en ĂŞtes un champion, il est probable que votre tĂ©moin ait vĂ©cu des expĂ©riences oĂą le dĂ©voilement d’un diagnostic a menĂ© Ă un rejet et Ă un prĂ©judice, et non Ă une aide. Il vaut la peine d’essayer de savoir si votre tĂ©moin a une maladie qui requiert des soins particuliers parce que la possibilitĂ© de prĂ©judice est encore plus aiguĂ« qu’avec d’autres tĂ©moins. Cependant, vous devez aussi vous assurer que les efforts que vous dĂ©ployez pour vous enquĂ©rir de sa situation ne le traumatisent pas. Il n’y a pas de solution facile et vous devrez faire preuve de jugement et de professionnalisme pour trouver cet Ă©quilibre. Si cet Ă©quilibre est difficile Ă trouver, essayez d’obtenir des conseils professionnels d’un psychologue ou d’un travailleur social. Malheureusement, la plupart des codes de dĂ©ontologie des juristes canadiens n’exigent pas que ceux-ci s’assurent de ne pas porter prĂ©judice aux tĂ©moins. Cependant, il est plutĂ´t injustifiable de causer un prĂ©judice psychologique ou Ă©motionnel durable Ă un tĂ©moin pour gagner une cause.
La rĂ©alitĂ© de la « rĂ©silience »
Nous sous-estimons souvent la mesure dans laquelle ce que nous appelons la rĂ©silience dĂ©pend du type de soutien que nous obtenons d’autrui. La rĂ©silience est moins une caractĂ©ristique personnelle et dĂ©pend davantage du rĂ©seau de soutien auquel une personne a accès pour passer Ă travers des Ă©vĂ©nements traumatisants. L’isolement social est l’un des effets les plus malheureux de la stigmatisation associĂ©e Ă la maladie mentale. Si votre tĂ©moin a vĂ©cu un traumatisme, il risque Ă©galement de s’ĂŞtre brouillĂ© avec des membres de sa famille et avec des amis qui auraient pu lui apporter du soutien. PrĂŞtez attention aux Ă©lĂ©ments sur lesquels votre tĂ©moin peut compter et apportez-lui l’aide que vous pouvez pour renforcer cet appui.
Je vous encourage Ă jeter un coup Ă l’Ă©pisode de la sĂ©rie « L’heure du bien-ĂŞtre » sur la prise en compte des traumatismes dans la pratique, disponible sur le site Web de l’ABC.
La chose la plus imprĂ©visible que nous ayons jamais rencontrĂ©e dans cet univers jusqu’Ă prĂ©sent est la matière grise entre nos deux oreilles. PrĂ©dire comment un procès aura une incidence sur l’Ă©tat mental et Ă©motionnel d’une personne est loin d’ĂŞtre simple. Merci de prĂŞter attention aux besoins de vos clients et de vos tĂ©moins. EspĂ©rons qu’il y a d’autres juristes attentionnĂ©s comme vous.
Prenez bien soin de vous.
Advy