Chère Advy,
Mon amie s’est rĂ©cemment jointe Ă un nouveau cabinet. Ce nouveau cabinet demande Ă tous les juristes de faire un don considĂ©rable Ă un parti politique prĂ©cis, don qui leur est ensuite remboursĂ©. Ils se sentent obligĂ©s de se plier Ă cette demande, ce qui constitue une source de stress importante. Comment leur proposeriez-vous de gĂ©rer la situation et leur stress?
Sincèrement,
Pression-Politique
Bonjour PP,
Je ne peux m’empĂŞcher de souligner qu’il y a de très bonnes chances que cette mesure soit illĂ©gale. Mais puisque je ne connais pas les dĂ©tails du territoire de compĂ©tence dont il est question ou du palier de gouvernement pertinent (fĂ©dĂ©ral, provincial, possiblement municipal?), je ne peux me prononcer de façon catĂ©gorique. Il est aussi possible que cela enfreigne le Code de dĂ©ontologie professionnelle rĂ©gissant les juristes de ce cabinet. Le Code type de dĂ©ontologie professionnelle stipule ce qui suit :
3.2-7 Le juriste ne doit jamais :
(a) faciliter ou favoriser sciemment la malhonnêteté, la fraude, le crime ou une conduite illégale;
(b) faire des choses, mĂŞme par omission, dont il devrait savoir qu’elles facilitent ou favorisent la malhonnĂŞtetĂ©, la fraude, le crime ou une conduite illĂ©gale;
(c) apprendre au client ou Ă d’autres comment violer la loi et Ă©viter le châtiment.
Ces juristes peuvent mettre leur carrière en jeu mĂŞme si le stratagème ne constitue pas une violation flagrante des lois rĂ©gissant les dons politiques. Votre amie peut Ă©galement avoir le devoir positif de signaler cela au barreau (consultez l’article 7.1-3 du Code type), de sorte qu’il lui faudrait en discuter avec un conseiller en exercice du droit.
Outre les objections juridiques et dĂ©ontologiques mentionnĂ©es ci-dessus, la politique du cabinet consistant Ă insister que quelqu’un fasse un don Ă une cause ou Ă un parti politique auquel il est possible qu’il s’oppose est terrible. Au XXIe siècle, faire un don Ă un parti politique ou Ă une cause politique n’est pas non plus une affaire ponctuelle. Cela signifie recevoir des courriels, des textos et d’autres communications demandant plus de dons dans un avenir prĂ©visible. Ă€ long terme, cela remet en cause le jugement du cabinet, de façon plus gĂ©nĂ©rale. S’il est prĂŞt Ă contourner la loi et Ă contraindre ses juristes Ă adopter un comportement contraire Ă la dĂ©ontologie, quelle autre demande pourrait-il leur faire Ă l’avenir? Si le cabinet est prĂŞt Ă violer l’intĂ©gritĂ© de votre amie dans une situation, il pourrait continuer de le faire.
Ce sont des questions juridiques et dĂ©ontologiques pour lesquelles une chronique de conseils n’est pas bien outillĂ©e pour rĂ©pondre. Comme mentionnĂ©, votre amie devrait parler Ă un conseiller et consulter le Code de conduite de son territoire de compĂ©tence, ou obtenir les conseils d’une personne ayant une expertise pertinente en loi Ă©lectorale. En revanche, ce qui est dans les cordes d’une chronique de conseils, c’est le fait qu’en mettant potentiellement leur carrière en danger, le cabinet soumet ces juristes Ă un niveau de stress qui dĂ©passe la norme.
Il serait facile pour quelqu’un d’Ă©tranger Ă la situation comme moi de conseiller aux juristes du cabinet de votre amie de simplement refuser de faire ce que la direction du cabinet demande. Je suppose que vous ne m’Ă©cririez pas si c’Ă©tait aussi simple. Nous supposons ici que toutes les objections juridiques et dĂ©ontologiques que votre amie peut soulever auprès de la direction ne vont nulle part et qu’elle doit ou se conformer Ă cette pratique ou chercher du travail ailleurs.
Que devrait faire votre amie?
Elle ne devrait pas traverser cette Ă©preuve seule. Votre amie vous a dĂ©jĂ parlĂ© pour obtenir du soutien extĂ©rieur et c’est une bonne première Ă©tape. Elle ferait aussi bien de demander de l’aide professionnelle pour faire face au stress associĂ© Ă cela et, je suppose, Ă d’autres mauvaises dĂ©cisions que prend le cabinet. Heureusement, ce soutien est gratuit et offert confidentiellement par le biais du programme d’aide aux juristes de votre province ou territoire. Votre amie peut aussi avoir accès Ă un rĂ©gime d’aide aux employĂ©s par l’entremise de son lieu de travail, ce qui peut ĂŞtre une autre source de soutien. MĂŞme si elle ne ressent pas ce qu’elle croit ĂŞtre des symptĂ´mes de dĂ©tresse psychologique, il n’est pas nĂ©cessaire d’attendre d’en arriver Ă ce point pour faire appel Ă un professionnel. Ce sont des services gratuits, et la plupart des reprĂ©sentants de ces programmes seront ravis d’aider votre amie pour empĂŞcher que ce problème dĂ©gĂ©nère et mène Ă une crise.
Ce n’est pas pour rien que je mentionne le stress associĂ© au fait de contraindre des juristes Ă faire des choses qu’ils jugent contraires Ă la dĂ©ontologie ou, Ă tout le moins, qui sont incompatibles avec leurs valeurs. Votre amie Ă©prouve une dissonance cognitive. « Pourquoi est-ce que je fais un don Ă une cause politique avec laquelle je ne suis pas d’accord? Je suis une juriste Ă©thique, mais, ce faisant, je participe Ă ce qui peut ĂŞtre un stratagème contraire Ă la dĂ©ontologie et possiblement illĂ©gal pour aider Ă dĂ©guiser les propres dons politiques de la direction du cabinet. » Ă€ long terme, cela peut ĂŞtre très nuisible et, encore une fois, il y a de bonnes raisons de croire que ce ne sera pas la dernière fois que le cabinet demandera Ă ses employĂ©s de faire une telle chose. Le fardeau Ă©motionnel et l’incompatibilitĂ© des valeurs sont une source de stress cernĂ©e dans le rapport de la phase I de l’Étude nationale des dĂ©terminants de la santĂ© psychologique des professionnels du droit au Canada (9). Ces facteurs et plusieurs autres peuvent mener Ă l’Ă©puisement professionnel, Ă la dĂ©pression et Ă d’autres dĂ©fis psychologiques. Si votre amie est curieuse de savoir Ă quoi cela peut mener si elle ne fait rien pour rĂ©soudre la situation, il y a beaucoup d’exemples dĂ©crits dans la phase II du rapport de la mĂŞme Ă©tude.
Une fois que votre amie aura obtenu du soutien professionnel, elle devrait Ă©galement dĂ©velopper son rĂ©seau de juristes Ă l’extĂ©rieur du cabinet. Les politiques comme celle que vous dĂ©crivez ne sont pas la norme dans la profession, bien qu’elles ne soient malheureusement pas rares. Parfois, la chose la plus importante dont vous avez besoin dans de telles situations est un son de cloche diffĂ©rent qui vous amène Ă vous demander si ce qui se passe Ă votre lieu de travail est normal. Bien sĂ»r, votre amie devrait faire preuve d’une certaine discrĂ©tion avant de poser une question de ce genre Ă un parfait inconnu, mais le fait de pouvoir compter sur des mentors et mĂŞme simplement des homologues de l’extĂ©rieur du cabinet peut ĂŞtre une bonne bouĂ©e de sauvetage lorsque vous vous demandez si vous ĂŞtes seule Ă ressentir le sentiment de dissonance cognitive dĂ©crit ci-dessus ou si cela montre l’existence d’un problème dans les dĂ©cisions du cabinet. Vous pouvez aider votre amie en la prĂ©sentant Ă des pairs d’autres cabinets et en l’encourageant Ă passer du temps avec eux. Elle peut aussi profiter d’une participation Ă des rĂ©unions de sections offertes par l’ABC, Ă la fois Ă l’Ă©chelle locale et nationale, ou Ă d’autres organisations qui offrent des occasions d’Ă©changer avec diffĂ©rentes personnes. Dans le pire des cas, ces rĂ©seaux pourraient aider votre amie Ă trouver un autre endroit oĂą travailler. D’ici lĂ , ils peuvent l’aider Ă maintenir un sentiment de dĂ©cence, sachant qu’elle n’est pas seule.
La prĂ©occupation de votre amie donne Ă©galement Ă penser qu’il y a un problème de culture plus important dans le cabinet. La direction est prĂŞte Ă imposer une mĂ©thode de type descendante pour obtenir ce que veut le dirigeant du cabinet – fournir un soutien financier Ă un parti politique qu’il appuie – et Ă©chapper Ă une restriction qui empĂŞche le cabinet de verser directement des dons. Avec le temps, ce genre d’approche de gestion de cabinet et de juristes est plutĂ´t toxique pour le milieu de travail. En supposant que la remise en question de cette politique n’est pas une option (ou qu’elle n’en est plus une, du moins), votre amie peut tenter de contribuer au changement de la culture globale du cabinet. Le but serait d’Ă©viter que ce genre d’incident ne devienne la norme en milieu de travail. Vous pouvez en savoir plus sur la façon de changer la culture de votre cabinet dans une prĂ©cĂ©dente chronique de Chère Advy.
Votre amie a plus de pouvoir pour changer la culture du bureau qu’elle, ou mĂŞme vous, le croit probablement. Avec patience et persĂ©vĂ©rance, vous pouvez faire du cabinet un meilleur endroit oĂą travailler.
Prenez bien soin de vous.
Advy