Chère Advy,
Je suis une avocate formĂ©e Ă l’Ă©tranger et qui a immigrĂ© au Canada au dĂ©but des annĂ©es 2000. Comme vous pouvez l’imaginer, obtenir l’Ă©quivalence de mon diplĂ´me par le CNE, assurer un stage et enfin ĂŞtre admise au barreau de ma province a requis beaucoup de travail. L’obtention d’un emploi dans un cabinet semblait rimer avec encore plus d’obstacles Ă la pratique du droit, mais j’ai finalement dĂ©crochĂ© un poste dans un cabinet de juristes bien Ă©tabli dans le domaine du droit international. J’aime mon travail, mais j’ai l’impression d’ĂŞtre traitĂ©e un peu diffĂ©remment. J’ai souvent le sentiment de devoir travailler deux fois plus fort que les autres juristes pour faire mes preuves. J’ai mĂŞme rĂ©pondu Ă quelques questions sur mes Ă©tudes en droit Ă l’Ă©tranger, et les questions ne me semblaient pas toujours amicales. En gĂ©nĂ©ral, je trouve tout cela un peu dĂ©moralisant, et je ne sais pas comment aborder ce problème, ou mĂŞme si je dois le faire. J’aimerais connaĂ®tre vos conseils. Devrais-je partager mes prĂ©occupations? Et si cela aggravait la situation?
Sincères salutations,
Ne-pas-faire-de-vagues
Chère Ne-pas-faire-de-vagues,
Obtenir l’Ă©quivalence de votre diplĂ´me par le ComitĂ© national sur les Ă©quivalences des diplĂ´mes de droit (« CNE ») est un processus rigoureux qui requiert effectivement beaucoup de travail acharnĂ©, tout comme la participation Ă un stage et la recherche d’un emploi dans votre domaine. RĂ©ussir tout cela pour ensuite ĂŞtre confrontĂ©e Ă des commentaires sur la mesure dans laquelle vous ĂŞtes qualifiĂ©e doit ĂŞtre dĂ©moralisant, comme vous dites. Il est dĂ©jĂ assez difficile de gĂ©rer la pression et le stress d’ĂŞtre une juriste de nos jours sans avoir Ă subir la pression supplĂ©mentaire de devoir faire face Ă des insinuations que vous valez moins que vos pairs. Vous ne mentionnez pas d’oĂą vous venez, mais il y a souvent une discrimination sous-jacente dans les questions posĂ©es aux candidats et candidates issus du CNE sur « leur facultĂ© de droit d’origine » qui ne se limitent pas toujours Ă de la simple curiositĂ© et qui suggère que les gens de votre couleur de peau n’ont pas leur place ici. Montrer de la curiositĂ© Ă l’Ă©gard de ses collègues est une chose, mais le racisme est inacceptable.
Vous m’avez demandĂ© ce que vous pouviez faire. Comme je l’ai dit Ă plusieurs reprises, l’une des limites d’une chronique de conseils est qu’elle implique souvent de prodiguer des conseils Ă des personnes qui doivent composer avec de mauvais comportements. L’entente que j’ai avec vous est que je vous aide en vous prodiguant les conseils que vous recherchez. Cependant, je vous en prie, ne prenez pas le fait que je vous donne des conseils sur ce que vous pouvez faire comme une dĂ©claration voulant que ce soit Ă vous seule de rĂ©gler votre problème.
Puisque nous parlons de limites, en voici une autre : je n’ai pas Ă©tĂ© formĂ©e Ă l’Ă©tranger et je n’ai pas vĂ©cu ce que vous avez vĂ©cu. VoilĂ donc ma mise en garde par rapport Ă tout conseil que je pourrais vous donner. Heureusement, j’ai trouvĂ© deux juristes formĂ©s Ă l’Ă©tranger qui ont gĂ©nĂ©reusement acceptĂ© de m’aider pour rĂ©agir Ă votre lettre!
D’abord, j’ai discutĂ© avec Ola, qui m’a demandĂ© de donner uniquement son prĂ©nom. Ola est venue au Canada en provenance du NigĂ©ria et est diplĂ´mĂ© de la Nigerian Law School et de l’UniversitĂ© de l’État de Lagos. Elle est passĂ©e Ă travers le processus du CNE et son travail se concentre sur la gouvernance d’entreprise et la conformitĂ©. La première chose qu’elle m’a dite, c’est qu’elle compatissait avec votre sentiment de ne pas ĂŞtre Ă la hauteur, votre impression d’invisibilitĂ© et votre lutte pour ĂŞtre reconnue. Bien que la lutte de chacun soit unique, rappelez-vous que vous n’ĂŞtes pas seule.
La deuxième personne Ă qui j’ai parlĂ© m’a demandĂ© de ne pas donner son vrai nom dans cette chronique. Je l’appellerai « Anna » pour des raisons que je vais expliquer plus bas. Anna vient Ă©galement du NigĂ©ria, et elle a aussi passĂ© Ă travers le processus du CNE avant de trouver du travail dans une grande variĂ©tĂ© de domaines de pratique. Anna dit Ă©galement que ce que vous dĂ©crivez est une expĂ©rience très courante pour les candidats et candidates du CNE. Elle ajoute que, non seulement, vous n’ĂŞtes pas seule, mais que l’expĂ©rience de se sentir invisible est quelque chose que vivent mĂŞme les diplĂ´mĂ©s de facultĂ©s de droit canadiennes, particulièrement lorsqu’ils sont membres d’un groupe qui a historiquement Ă©tĂ© la proie de discrimination dans notre domaine. L’Étude nationale des dĂ©terminants de la santĂ© psychologique des professionnels du droit au Canada de 2022 nous a montrĂ© que les femmes, les personnes de couleur et les personnes LGBTQ+ sont plus susceptibles que les autres non seulement d’ĂŞtre victimes de harcèlement et de discrimination en milieu de travail, mais aussi de vouloir quitter la profession. S’il y a un cĂ´tĂ© positif Ă l’Ă©preuve que vous traversez, c’est que cela vous donne l’occasion de constater tous les gens qui vous entourent qui passent par lĂ . Encore une fois, cela ne justifie pas ce Ă quoi vous faites face, mais cela vous fournit des informations.
Anna et Ola insistent sur l’importance d’ĂŞtre consciente de votre propre valeur. Ce qui diffĂ©rencie votre parcours de celui de vos collègues est un atout, pas un handicap. Si votre cabinet ne traite pas votre expĂ©rience comme un atout, le problème rĂ©side dans le cabinet et n’a rien Ă voir avec vous.
Anna reprend ce thème : « Acceptez le fait que vous serez considĂ©rĂ©e comme diffĂ©rente ». Vous devez constamment penser Ă la façon dont la terminologie, les approches de rĂ©solution de problèmes et d’autres aspects de votre travail diffèrent entre l’endroit oĂą vous avez reçu votre formation et celui oĂą vous vous trouvez maintenant. Vos pairs qui ne sont pas passĂ©s par le CNE n’ont pas Ă rĂ©flĂ©chir Ă cela. Ă€ court terme, cela peut sembler un problème, mais rappelez-vous que le droit est en constante Ă©volution et que la supposition que les choses seront toujours comment elles le sont en ce moment crĂ©e souvent des angles morts qui sont dangereux pour les juristes. La capacitĂ© Ă « basculer l’interrupteur » entre votre environnement de pratique actuel et votre ancien environnement de travail est utile pour pouvoir remettre en question des hypothèses, et Ă long terme, plutĂ´t que de vous nuire, cela vous aidera. Ola ajoute qu’il ne s’agit pas d’un phĂ©nomène propre au milieu de travail juridique. De nombreux employeurs canadiens ne comprennent pas que ce qui semble ĂŞtre une courbe d’apprentissage plus longue au dĂ©but est une force Ă long terme.
Ola recommande d’avoir une conversation professionnelle, mais franche, Ă ce sujet. « Chacun considĂ©rera toujours son système d’Ă©ducation comme bon et de grande qualitĂ©. De plus, selon l’environnement de travail, les politiques des RH et les objectifs d’inclusion du cabinet, une conversation honnĂŞte et polie avec vos supĂ©rieurs et collègues pourrait vous ĂŞtre bĂ©nĂ©fique. Bien que ce soit intimidant, cela peut favoriser un environnement de travail plus respectueux, en plus de vous aider Ă comprendre si vos impressions sont valables ou si vous interprĂ©tez mal la culture du cabinet ». Pour obtenir des conseils plus gĂ©nĂ©raux sur la façon de persuader vos collègues de changer la façon dont ils travaillent avec vous, jetez un coup d’Ĺ“il Ă la chronique « PrĂŞcher-par-l’exemple » de Chère Advy.
« Anna » (un petit rappel : ce n’est pas son vrai nom) m’a dit qu’elle avait postulĂ© avec succès pour un emploi en donnant ce prĂ©nom plutĂ´t que son vrai prĂ©nom, et qu’elle continue Ă le porter lorsqu’elle travaille, mĂŞme si son employeur connaĂ®t son vrai prĂ©nom. La raison? Elle a constatĂ© qu’elle perdait beaucoup de temps Ă rĂ©pondre Ă des questions de clients et de collègues curieux au sujet de son histoire, de ce que son nom signifiait, de la façon dont elle Ă©tait arrivĂ©e au Canada, etc. Il s’agissait presque toujours de questions bien intentionnĂ©es de la part de personnes qui montraient de l’apprĂ©ciation pour elle, dit-elle, mais elle consacrait nĂ©anmoins du temps Ă rĂ©pondre Ă ces questions plutĂ´t que de se concentrer sur son travail. En tant que personne occupĂ©e, elle qui est la mère de deux enfants, elle dit qu’elle n’a pas eu le temps de raconter l’histoire intĂ©ressante, mais distrayante des raisons pour lesquelles son nom est si inhabituel dans cette partie-ci du monde. Quand vous faites la paix avec la façon dont les autres vous voient, dit-elle, vous pouvez prendre l’Ă©nergie que vous pourriez autrement dĂ©penser en ressentiment (pourquoi ne devriez-vous pas ĂŞtre en mesure d’utiliser votre vrai prĂ©nom, après tout?) et le canaliser de manière stratĂ©gique pour surmonter les problèmes que ces perceptions font naĂ®tre en vous. En fin de compte, vous ne pouvez changer les perceptions que les autres ont de vous qu’en faisant un excellent travail et en prouvant votre fiabilitĂ©. Ce que vous pensez de vous-mĂŞme, ajoute-t-elle, dĂ©pend de vous, pas des autres.
Ola vous recommande d’effectuer des recherches sur la culture Ă laquelle vous essayez de vous identifier dans votre milieu de travail. En dehors du travail, elle vous suggère de vous joindre Ă des groupes et Ă des clubs locaux qui correspondent Ă vos intĂ©rĂŞts, mais aussi d’assister Ă des Ă©vĂ©nements communautaires et Ă des festivals pour rencontrer des gens du pays et en apprendre davantage sur la culture. Cela aidera Ă mettre beaucoup de choses en perspective. Selon Ola, il est important de comprendre et de respecter les normes culturelles locales et l’Ă©tiquette, d’aborder les nouvelles expĂ©riences avec ouverture d’esprit et curiositĂ©, et de rĂ©flĂ©chir rĂ©gulièrement aux expĂ©riences que vous vivez en adaptant votre approche au besoin pour assurer une transition plus fluide et plus agrĂ©able. D’ailleurs, votre division de l’ABC offre une foule d’occasions d’apprendre Ă connaĂ®tre les membres de votre profession et de vos domaines de pratique.
Anna vous conseille de regarder attentivement comment vos collègues parlent de votre travail aux autres. Lorsqu’ils adaptent votre recherche juridique Ă un mĂ©moire ou Ă un factum, par exemple, prĂŞtez attention aux changements souvent subtils qu’ils apportent pour transmettre vos idĂ©es Ă des personnes Ă l’extĂ©rieur de votre cabinet. Ces petites modifications peuvent souvent ĂŞtre la clĂ© pour apprendre comment vous pouvez vous-mĂŞme « traduire » vos idĂ©es sous une forme que les gens autour de vous peuvent comprendre facilement. Tout comme l’apprentissage d’une nouvelle langue vous donne la chance de converser avec d’autres personnes sans devoir recourir Ă un interprète ou Ă un intermĂ©diaire, apprendre Ă parler la langue du droit dans votre territoire de compĂ©tence peut vous ouvrir de nouvelles portes au sein de votre communautĂ© juridique.
Bien sĂ»r, je manquerais Ă mon devoir si je ne mentionnais pas aussi que le programme d’aide aux juristes (PAJ) de votre rĂ©gion a peut-ĂŞtre des programmes de soutien par les pairs qui peuvent vous aider si vous vous sentez seule et invisible. Ces programmes peuvent non seulement vous offrir des possibilitĂ©s de jumelage officiel avec des homologues, mais de nombreux ressorts ont Ă©galement des programmes informels qui vous permettent d’obtenir directement du soutien sans prendre rendez-vous. Consultez le programme d’aide aux juristes de votre rĂ©gion pour voir les services qu’il propose qui sont susceptibles de vous ĂŞtre utiles. S’il n’existe pas dĂ©jĂ un programme qui rĂ©pond Ă vos besoins, envisagez de former votre propre groupe de soutien par les pairs. Les programmes d’aide de la plupart des territoires de compĂ©tence seront plus que ravis de vous apporter l’aide dont vous avez besoin pour mettre en place ce genre de soutien.
Prenez bien soin de vous.
Advy