Chère Advy,
J’ai rĂ©cemment vu une Ă©tude qui mentionnait que, souvent, les juristes n’obtiennent pas d’aide pour des problèmes de santĂ© mentale, car ils croient que « ça passera », ou que « tout le monde passe par lĂ ». Ma question est donc la suivante : quels sont les signaux d’alarme que je devrais rechercher chez moi et chez mes collègues qui traversent des moments difficiles ou qui se heurtent Ă des obstacles? S’agit-il de petits ou de grands problèmes? En tant que juristes, la rĂ©silience est abordĂ©e dès nos premiers pas Ă la facultĂ© de droit. On nous apprend Ă surmonter nos problèmes, et je ne peux m’empĂŞcher de me demander s’il y a des moments oĂą je devrais demander de l’aide au lieu de continuer Ă me heurter Ă des obstacles. Quels sont les signaux d’alarme que dois-je remarquer en cours de route? Je sais que certaines d’entre elles ne sont pas toujours Ă©videntes si mon expĂ©rience personnelle est quelque chose Ă quoi je dois m’attarder.
Sincèrement,
Sourd-aux-signaux-d’alarme
Cher Sourd-aux-signaux-d’alarme,
Vous avez tout Ă fait raison. Les juristes qui ont participĂ© Ă l’Étude nationale de 2022 des dĂ©terminants de la santĂ© psychologique des professionnels du droit au Canada affirmaient dans une très faible proportion rechercher de l’aide et expliquaient cette tendance en disant s’attendre Ă ce que leurs problèmes disparaissent. Les juristes, et les gens en gĂ©nĂ©ral, Ă©vitent souvent de demander de l’aide. Le rapport constatait aussi que, dans certains domaines de pratique et dans certaines rĂ©gions, les niveaux d’Ă©puisement professionnel et de dĂ©tresse psychologique Ă©taient si rĂ©pandus que ces problèmes Ă©taient probablement normalisĂ©s dans des segments de la communautĂ© juridique.
Avant de nous lancer dans l’analyse de l’enjeu que vous soulevez, prenons un moment pour faire une mise au point et pour renouveler nos hypothèses sur les signaux d’alarme Ă surveiller.
Vous avez Ă©galement raison de dire que de nombreux symptĂ´mes de dĂ©tresse psychologique ne sont pas Ă©vidents. Ce problème est aggravĂ© par la nature mĂŞme de la maladie mentale. La dĂ©pression, par exemple, amène souvent une personne qui en souffre Ă douter de son propre jugement. La dĂ©pression et l’anxiĂ©tĂ© (sans parler d’autres affections moins rĂ©pandues) dĂ©forment souvent la perception de la rĂ©alitĂ© d’une personne et l’empĂŞchent de rechercher de l’aide. Par exemple, une personne anxieuse est susceptible d’ĂŞtre plus inquiète qu’une personne qui ne ressent pas d’anxiĂ©tĂ© Ă l’idĂ©e de communiquer avec son programme local d’aide aux juristes de peur que les symptĂ´mes qu’elle signalera soient rapportĂ©s Ă l’organisme de rĂ©glementation de la profession, Ă son employeur ou Ă la communautĂ© juridique en gĂ©nĂ©ral, avec des consĂ©quences coĂ»teuses (consultez la chronique « Inquiet-de-la-confidentialitĂ© »). La dĂ©pendance aux substances peut entraĂ®ner une distorsion encore plus profonde de votre capacitĂ© Ă vous analyser et Ă Ă©valuer vos actions avec clartĂ©.
En bref, le problème lui-mĂŞme vous empĂŞche souvent de reconnaĂ®tre que vous avez besoin d’aide ou que vous ĂŞtes prĂŞt Ă demander de l’aide. Rappelez-vous Ă©galement la mention ci-dessus. L’Ă©puisement professionnel et d’autres problèmes qui peuvent vous amener Ă sombrer dans la maladie mentale sont si rĂ©pandus dans certains secteurs qu’ils sont devenus normalisĂ©s. Non seulement vous ĂŞtes dĂ©savantagĂ© en raison de votre propre constitution cognitive, mais il y a une forte probabilitĂ© que votre environnement vous conditionne Ă ignorer les signes de dĂ©tresse psychologique.
Je vais vous donner quelques Ă©lĂ©ments Ă surveiller, mais le point le plus important ici est que vous faites erreur si vous vous fiez Ă vos observations personnelles. Peu importe la mesure dans laquelle vous tentez d’ĂŞtre vigilant, vous devez composer avec un dĂ©savantage Ă©norme si vous ne vous fiez qu’Ă vous-mĂŞme.
La bonne nouvelle, c’est que vous n’avez aucune raison de le faire. Vous mentionnez qu’on nous inculque la rĂ©silience Ă la facultĂ© de droit. L’erreur fondamentale que nous commettons est de penser que la rĂ©silience est une qualitĂ© individuelle. Dans l’ensemble, la rĂ©silience n’est pas un Ă©lĂ©ment de votre caractère personnel. Elle est en grande partie un facteur de vos liens de soutien avec les autres. Un travail de recherche vraiment fascinant de l’UniversitĂ© Dalhousie appuie la conclusion que la clĂ© de la rĂ©silience est la connectivitĂ© et la communautĂ©, et non votre capacitĂ© Ă « tenir bon » sans demander de l’aide. En rĂ©alitĂ©, le fait que vous accrocher Ă l’idĂ©e que vous devriez ĂŞtre en mesure de surmonter tous vos problèmes sans aide peut nuire Ă votre capacitĂ© Ă traverser des moments difficiles.
La leçon de la rĂ©silience est bonne, mais la plupart d’entre nous ont une notion dĂ©formĂ©e de la signification de ce concept. Comment faire pour dĂ©velopper une communautĂ© de soutien? Il n’y a pas de rĂ©ponse unique. Une solution facile est de mettre en place une relation de travail avec un conseiller professionnel dès maintenant. Le programme d’aide aux juristes (PAJ) de votre rĂ©gion est lĂ pour combler ce besoin potentiel. Il n’y a aucune raison d’attendre de constater que vous n’allez pas bien pour Ă©tablir cette relation. Tout comme vous n’attendez (probablement) pas d’avoir une carie avant d’aller chez le dentiste, vous n’avez pas besoin d’attendre une crise pour prendre rendez-vous avec un conseiller. Le point de vue extĂ©rieur de quelqu’un qui est formĂ© pour dĂ©tecter les signaux d’alarme que vous mentionnez est beaucoup plus efficace que vos rĂ©flexions, souvent peu fiables. Il est prĂ©fĂ©rable de tenter de surmonter ce genre de dĂ©fi lorsque vous avez quelqu’un pour vous aider. Ces services sont gratuits, dans une certaine mesure. Vous payez dĂ©jĂ d’une manière ou d’une autre. Pourquoi attendre avant d’utiliser les recours qui sont Ă votre disposition?
Plusieurs des programmes d’aide aux juristes font plus que fournir un accès Ă des conseils officiels et professionnels. Ils offrent aussi souvent du soutien par les pairs et des programmes de soutien de groupe. Ceux qui n’offrent pas de tels services peuvent probablement vous rĂ©fĂ©rer Ă des organismes et Ă des groupes externes qui peuvent vous aider Ă dĂ©velopper un rĂ©seau de soutien. L’un des remèdes prĂ©ventifs les plus efficaces pour la dĂ©tresse psychologique est l’accès Ă une communautĂ© de personnes attentionnĂ©es qui peuvent vous aider Ă remarquer les difficultĂ©s auxquelles vous ĂŞtes possiblement confrontĂ©es et – mieux encore – Ă les empĂŞcher de se dĂ©velopper dès le dĂ©part. Composez le numĂ©ro de votre PAJ local, examinez ce qui est Ă votre disposition et considĂ©rez cela comme un investissement dans la construction d’une rĂ©silience rĂ©elle.
Je vous ai promis quelques conseils sur les Ă©lĂ©ments Ă surveiller. Lorsque vous ĂŞtes en bonne santĂ© mentale, vous contrĂ´lez vos pensĂ©es et votre comportement, qui n’interfèrent pas avec votre fonctionnement dans la vie de tous les jours. Si vous ĂŞtes en bonne santĂ© mentale, vous ne vous faites pas de mal et vous n’en faites pas aux autres.
Quels sont les signaux d’alarme de la dĂ©tresse psychologique? La liste des comportements ou des modèles de pensĂ©e est trop longue pour ĂŞtre fournie ici, mais ils ont tous en commun de reprĂ©senter une dĂ©tĂ©rioration de la santĂ© mentale. La santĂ© mentale et la maladie mentale ne sont pas un postulat, elles sont un spectre. Nous sommes tous plus ou moins en bonne santĂ© Ă un moment ou un autre. Pour les raisons expliquĂ©es ci-dessus, il est difficile et parfois impossible pour vous de juger oĂą vous vous trouvez dans ce spectre Ă un moment donnĂ©. Si vous vous surprenez Ă vous demander pourquoi vous avez fait ou dit quelque chose, cela ne signifie pas que vous ĂŞtes mentalement « malade », mais il vaut la peine de vĂ©rifier si un peu d’aide vous ferait du bien.
Vous mentionnez aussi que vous ĂŞtes prĂ©occupĂ© par la surveillance de ces problèmes chez vos collègues. Il est bon pour vous que vous sachiez que le bien-ĂŞtre est un problème collectif. Nous nous aidons mieux en aidant les gens qui nous entourent. Envisagez de suivre une formation sur les premiers soins en santĂ© mentale et sur la santĂ© mentale en milieu de travail. Puisque de nombreux programmes d’aide aux juristes offrent ce genre de formation dans leur rĂ©gion, votre programme local est encore une fois un bon point de dĂ©part.
D’une certaine manière, ces rĂ©pondants avaient pour la plupart raison. Lorsque vous traversez une crise de santĂ© mentale, il est probablement vrai qu’elle « passera » d’une manière ou d’une autre. La clĂ© est de prendre le contrĂ´le de votre santĂ© mentale maintenant afin de pouvoir prĂ©venir une crise et attĂ©nuer ses effets si elle se produit.
J’espère que certaines des explications que je partage avec vous dans cette chronique vous permettront de rester Ă l’affĂ»t de tout problème qui pourrait surgir en cours de route.
Prenez bien soin de vous.
Advy