J’ai rĂ©cemment discutĂ© avec deux collègues de notre travail de conseiller juridique auprès de directeurs des plaintes dans des professions autonomes. Nous voulons donner un aperçu des aspects pratiques de ce travail et de la reprĂ©sentation devant un tribunal disciplinaire.
Qui est notre client?
Comme nous exerçons en Alberta, notre client est le directeur des plaintes d’un ordre rĂ©gissant les professionnels de la santĂ©. Cette personne est habituellement membre en règle de l’ordre professionnel. Son expertise de la profession l’aide Ă repĂ©rer les cas oĂą la conduite d’un praticien ne respecte pas les normes convenues.
Ses obligations et ses pouvoirs dĂ©lĂ©guĂ©s sont prescrits par la loi habilitante. En Alberta, il s’agit de la Health Professions Act. Le directeur reçoit les plaintes et supervise les enquĂŞtes, puis dĂ©cide s’il convient de clore le dossier ou de faire instruire la plainte par un tribunal indĂ©pendant. Ă€ l’audience, il dĂ©pose des accusations de conduite non professionnelle ou d’inconduite professionnelle.
Que fait le conseiller juridique d’un directeur des plaintes?
Le directeur des plaintes s’occupe habituellement de l’ensemble du processus disciplinaire prĂ©cĂ©dant l’audience.
En temps normal, son conseiller juridique participe peu aux enquĂŞtes. Il arrive toutefois que le directeur lui demande son avis sur les pouvoirs des enquĂŞteurs ou l’interprĂ©tation de la Health Professions Act (ou d’une loi similaire ailleurs qu’en Alberta). Pendant l’enquĂŞte, le directeur peut aussi consulter des experts d’un domaine prĂ©cis de la santĂ©. Le conseiller juridique peut alors formuler des questions distinctes Ă poser Ă un expert.
Ă€ l’issue d’une enquĂŞte, le directeur peut demander au conseiller un avis juridique sur d’Ă©ventuelles accusations et les chances de rĂ©ussir Ă prouver les accusations selon la prĂ©pondĂ©rance des probabilitĂ©s. C’est le directeur qui, en fin de compte, dĂ©cide s’il y a lieu de clore le dossier d’une plainte ou de le porter Ă l’audience. (Ă€ la diffĂ©rence des procureurs de la Couronne, les conseillers des directeurs des plaintes ne sont pas habilitĂ©s Ă dĂ©cider s’il existe ou non une « probabilitĂ© raisonnable d’obtenir une condamnation ». Nous ne pouvons qu’aviser ou conseiller.)
Lorsqu’il met fin Ă une enquĂŞte, le directeur des plaintes peut demander au conseiller d’examiner sa lettre au membre en règle et au plaignant. En Alberta, le plaignant peut demander qu’un comitĂ© d’examen des plaintes analyse la dĂ©cision de clore l’enquĂŞte. Ce comitĂ© peut confirmer la dĂ©cision, ordonner un travail d’enquĂŞte supplĂ©mentaire ou renvoyer le dossier Ă l’audience.
Ă€ l’audience, le conseiller plaide la cause pour prouver les accusations que le directeur des plaintes ou un comitĂ© d’examen a fait dĂ©poser. Il s’informe des actes mĂ©dicaux et consulte des spĂ©cialistes sur les pratiques Ă©tablies rĂ©gissant ces actes.
En Alberta, le membre en règle ou le directeur des plaintes peut faire appel auprès d’un comitĂ© d’appel composĂ© de membres du conseil d’administration de l’ordre professionnel concernĂ©. De lĂ , l’une ou l’autre partie peut faire appel auprès d’un tribunal. Le conseiller du directeur des plaintes assure la reprĂ©sentation Ă ces deux niveaux d’instance.
Il se peut que le directeur demande conseil Ă propos d’Ă©ventuelles modifications Ă la structure du processus disciplinaire d’une autoritĂ© de rĂ©glementation. Le conseiller formule par ailleurs des avis juridiques sur les modalitĂ©s de modification de certains Ă©lĂ©ments pour amĂ©liorer l’Ă©quitĂ© ou l’efficacitĂ© procĂ©durale. Vu l’augmentation observĂ©e du nombre de membres non reprĂ©sentĂ©s et la complexification des audiences, le conseiller juridique soupèse et Ă©value rĂ©gulièrement l’Ă©quitĂ© d’une procĂ©dure en tenant compte de la responsabilitĂ© gĂ©nĂ©rale de l’ordre professionnel d’avoir un processus disciplinaire efficace et rapide.
Ă€ l’audience, quelles sont les diffĂ©rences entre un procureur au criminel et un directeur des plaintes?
L’exercice du conseiller du directeur des plaintes comporte quelques particularitĂ©s qui diffèrent du travail d’un procureur au criminel. Les poursuites criminelles se plaident en cour et sont rĂ©gies par les règles de preuve. Les poursuites des ordres professionnels en santĂ© relèvent du droit administratif, domaine oĂą les règles de preuve n’ont pas d’application stricte. Les instances d’audience peuvent tenir compte des motifs sous-tendant ces règles, ce qui peut finir par influer sur la force probante attribuĂ©e Ă la preuve ou sur les dĂ©cisions concernant la procĂ©dure d’audience.
Les tribunaux devant lesquels comparaissent les conseillers se composent de membres d’une profession et du public. En gĂ©nĂ©ral, ces personnes ne sont pas juristes et les gens du public proviennent de tous les horizons.
Dans son travail auprès du directeur des plaintes, le conseiller doit convaincre un tribunal disciplinaire que les faits se sont bel et bien produits selon la prĂ©pondĂ©rance des probabilitĂ©s et non satisfaire Ă la norme criminelle exigeant la preuve « hors de tout doute raisonnable ». Les dĂ©cideurs doivent ĂŞtre convaincus que tel fait a plus de chances de s’ĂŞtre produit que non.
MĂŞme si les enjeux d’une audience sont moindres que ceux d’une procĂ©dure criminelle, oĂą l’accusĂ© peut ĂŞtre passible d’une peine d’emprisonnement, la procĂ©dure disciplinaire peut ĂŞtre lourde de consĂ©quences pour la carrière et le bien-ĂŞtre du principal intĂ©ressĂ©. Le travail de reprĂ©sentation du conseiller doit servir l’intĂ©rĂŞt public tout en veillant Ă ce que la mesure disciplinaire soit proportionnĂ©e Ă la faute prouvĂ©e.
Conseils pour la représentation devant les tribunaux des ordres professionnels de la santé
Les styles de représentation à une audience ne sont pas les mêmes que devant un juge en cour. Au moment de préparer un dossier pour une audience, voici des éléments à considérer :
- Les membres prĂ©sents Ă l’audience ne sont pas des juristes. Ce sont habituellement des membres de la profession et du public qui peuvent mĂ©connaĂ®tre le processus d’audience ou les subtilitĂ©s des questions de fait ou de droit.
- Ils peuvent avoir un parti pris contre les avocats. Leur expĂ©rience varie. Certains participent Ă une ou deux audiences par annĂ©e. Il se peut qu’ils ne connaissent que peu les mĂ©thodes suivies par les avocats pour interroger ou contre-interroger les tĂ©moins ou pour plaider leur cause. MĂŞme chose pour certains styles de contre-interrogatoire ou de « reprĂ©sentation vigoureuse » qui fonctionnent bien en cour devant un juge aguerri qui connaĂ®t parfaitement la procĂ©dure.
- Ils ont chacun leur parcours professionnel. ConnaĂ®tre ces parcours peut donner des indications sur la capacitĂ© du membre de comprendre la preuve ou les arguments. Il arrive qu’une personne pose une question issue de son expĂ©rience professionnelle antĂ©rieure. La question peut sembler peu pertinente de prime abord, mais peut avoir son effet sur les rĂ©actions Ă©motionnelles des membres prĂ©sents Ă l’audience par rapport Ă l’affaire.
Quelles sont les tendances observées dans les pratiques disciplinaires des ordres professionnels de la santé?
Dernier point : les tendances récentes observées dans la discipline professionnelle. Bien que nos données de référence soient limitées (des études à ce chapitre seraient les bienvenues), nous sommes du même avis :
- On note une augmentation substantielle du nombre de plaintes déposées auprès des ordres professionnels au sujet de professionnels de la santé;
- On constate une hausse des plaintes sur la conduite d’un professionnel de la santĂ© hors exercice;
- Nous en sommes aux derniers dossiers de plainte liés à la COVID.
Ashley Reid est avocate chez Shores Jardine LLP Ă Edmonton, en Alberta, et coprĂ©sidente du comitĂ© de direction de la Section du droit de la santĂ© de l’ABC au sein de cette division.